Sociologie
Baiser forcé de Rubiales : exemple de dérive de gouvernance et d’inégalités
Après la finale de la coupe du monde féminine remportée le 20 août par la sélection espagnole, un événement a interpellé la planète football et au-delà : Luis Rubiales, président de la fédération, s'est permis d'embrasser sur la bouche l'attaquante Jennifer Hermoso. Un comportement symptomatique du sexisme qui règne dans la gouvernance sportive.
Adrien Palluet© hannah Mckay / REUTERS
« Cela ne m’a pas plu… ». Dans la nuit du 20 août, l’attaquante de la sélection espagnole féminine de football, Jennifer (Jenni) Hermoso, est amère. Quelques heures plus tôt, elle remportait pourtant la première Coupe du monde de l’histoire de sa sélection. Un immense bonheur gâché par le comportement du président de sa fédération, Luis Rubiales, qui lui a imposé un baiser sur la bouche au moment de la remise du trophée.
Depuis, la pression s’accentue sur Luis Rubiales, suspendu par la FIFA, soumis à une enquête préliminaire pour agression sexuelle et sommé de démissionner par le gouvernement espagnol et sa propre fédération.
Pourtant, le 25 août, il refusait de démissionner devant cette même fédération, tout acquise à sa cause, puisque notamment composée des présidents des fédérations régionales du football espagnol et des sélectionneurs des équipes masculines et féminines, qui dépendent tous de la fédération espagnole. Pire encore, au lendemain de ce discours où Rubiales défendait un « baiser consenti », la fédération espagnole a même tenté de discréditer Jenni Hermoso en publiant des photos censées prouver le caractère consenti du geste.
Ce scandale, qui n’est pas sans rappeler celui qui a touché la Fédération française de football et de son président Noël le Graët, un peu plus tôt dans l’année, pose la question de la mauvaise gouvernance des institutions sportives, notamment en matière d’inégalités de genre.
La gouvernance désigne l’ensemble des processus, des règles et des institutions qui permettent de diriger et de contrôler une organisation. Elle définit qui détient le pouvoir, qui prend les décisions et qui rend des comptes. Elle repose sur des valeurs, des normes et des codes de conduite qui reflètent la culture et la vision de l’organisation.
Or, dans le monde du sport, la gouvernance fait face à de nombreux défis structurels : les enjeux économiques sont colossaux et la pression des supporters intense. D’ailleurs, les instances internationales de régulation comme la FIFA ou l’UEFA sont régulièrement accusées de manquer de transparence et d’éthique, et font l’objet de pressions politico-économiques : Qatargate, lors de l’attribution de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, scandales de corruption impliquant Michel Platini et Sepp Blatter, projet avorté de SuperLeague et réformes très contestées de la Ligue des Champions par les instances de l’UEFA etc.
En outre, la gouvernance du sport présente une spécificité majeure : les femmes en sont très largement absentes.
Pour aller plus loin > Pourquoi les filles pratiquent moins le foot que les garçons ?
Source : Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes
En 2015, seulement 14 % des postes décisionnels au sein des confédérations européennes de sports olympiques étaient occupés par des femmes.
Cette gouvernance souvent défaillante et l’absence de femmes contribuent à maintenir de fortes inégalités de genre dans le monde du football. Alors que leur visibilité et leur légitimité ne font que s’accroître, les joueuses peinent à gagner en crédibilité aux yeux des différentes parties prenantes, comme les chaînes de télévision, qui ont par exemple longtemps rechigné à diffuser la dernière Coupe du monde.
L’affaire Rubiales montre à quel point des joueuses, même auréolées d’une grande victoire, peuvent être aussitôt rabaissées par un comportement sexiste. De nombreuses actrices et dirigeantes du monde du sport dénoncent un système de gouvernance « verrouillé et pensé par et pour les hommes ».
Pour aller plus loin > Droits de diffusion de la Coupe du monde féminine de football : montant trop élevé ou chaînes de télé irresponsables ?
Preuve supplémentaire de ces dysfonctionnements et inégalités persistantes, les bras de fer entre les équipes féminines nationales et leur fédération se sont multipliées ces dernières années. Déjà en 2022, les joueuses espagnoles étaient entrées en conflit avec leur fédération au sujet du sélectionneur de l’équipe nationale.
Les joueuses américaines, pionnières de la visibilité du football féminin, ont dû faire appel à la justice pour obtenir des rémunérations alignées sur celles de leurs homologues masculins. Même combat pour la Ballon d’or - première du nom - Ada Hegerberg. La Norvégienne a boycotté sa sélection nationale, et fait le choix de louper une Coupe du monde, pour protester contre les inégalités salariales homme-femme dans le football et marquer sa volonté d’homogénéiser les primes versées aux joueurs et aux joueuses par la fédération.
Alors qu’en 2010 la sélection masculine espagnole a pu profiter de la liesse populaire provoquée par le titre de champion du monde, la sélection féminine voit, elle, son sacre gâché par le comportement inapproprié de Luis Rubiales.
« L’affaire Rubiales a montré qu’il existe encore des problèmes de sexisme dans les secteurs dominés par les hommes, où il y a beaucoup d’argent en jeu. C’est le cas du sport. Le scandale a aussi un côté positif : les revendications des femmes, en termes de dignité et de salaires, ne peuvent plus être ignorées. »
Irune Aguirrezabal, spécialiste des questions de genre et autrice d’une étude sur la démocratie paritaire en Amérique latine (éditions Marcial Pons, non traduit).
Utile pour ces chapitres
- Accueil
- Consommation
- Culture et Sport
Baiser forcé de Rubiales : exemple de dérive de gouvernance et d’inégalités