Note de la rédaction. Ce récit d'anticipation vous entraîne directement dans l'économie funéraire de 2061, dans 40 ans, grâce aux projections d'experts et aux grandes tendances de consommation qui se dessinent. Pour une entrée plus conventionnelle dans le sujet, lire nos épisodes précédents.
Zzzz - les portes automatiques des pompes funèbres coulissent devant vous. Aujourd’hui, vendredi 11 mars 2061, est un grand jour : vous vous apprêtez à décider comment vous mourrez.
Enfin, comment se dérouleront vos obsèques. C’est votre père qui vous en a convaincu : comme 25 millions d’autres Français, il a investi dans un contrat obsèques.
À lire : Anticiper son décès, un bon plan économique ?
Un tiers de la population de l’Hexagone, tout de même ; mais après tout, c’est ce que les prévisions de croissance des années 2020 laissaient présager. Alors, vous aussi, vous allez faciliter la future tâche de vos proches, et préparer votre départ.
La boutique est aérée, spacieuse. L’hôtesse vous dirige avec un sourire vers les bornes de commande, qui vous permettront en quelques clics de choisir votre formule obsèques, personnalisée. L’ultra-personnalisation : encore un aspect du métier qui se développe depuis plusieurs années.
“Les familles sont en attente profonde de personnalisation, analyse Jean Ruellan, directeur marketing pour le groupe leader du marché OGF. C’est une demande qui n’existait pas en 2000. Aujourd’hui, on veut des obsèques qui nous ressemblent, en travaillant la diversité et la couleur des cercueils, la possibilité d’arborer des emblèmes laïques sur le cercueil, ou encore la scénarisation des obsèques.”
Mourir en ligne
Prévoir votre cérémonie sur Internet ne vous fait pas peur - tout le monde le fait. C’est l’entreprise Advitam qui a ouvert la voie en 2016, avec un service entièrement web. Le Grand Confinement de 2020 avait facilité la tâche au cofondateur de la start-up francilienne.
“Pendant la pandémie, on a réalisé quatre fois plus de commandes que d’habitude, atteste Philippe Meyralbe. Notre offre était adaptée.” L’entrepreneur l’avait prédit : “À l’instar des autres services, comme le tourisme, le funéraire n’a pas vocation à conserver uniquement une présence physique.”
Effectivement, en 2061, prévoir sa mort en ligne est devenu la norme. Il faut dire que tout est tellement simplifié… Advitam, dès 2020, proposait par exemple non seulement de commander son propre cercueil personnalisé, mais aussi de clôturer automatiquement comptes en banque, contrats avec des fournisseurs d’énergie, et même comptes sur les réseaux sociaux.
C’est ce qu’il vous faut. Bip ! Formule sélectionnée. Bien sûr, depuis, les grands opérateurs comme OGF ou Funecap s’y sont mis, au numérique. À l’ultra-personnalisation web. À “l’ubérisation”.
Cela n’a pas été sans peine, et nombreux furent - et sont encore en 2061-, les détracteurs de ces nouvelles pratiques.
Le funéraire évolue plus lentement que d’autres secteurs, ce qui n’étonne pas Philippe Meyralbe : “Si le funéraire n’a pas encore basculé dans le numérique, c’est parce que la demande est beaucoup plus âgée qu’ailleurs.” Ce que confirme la sociologue Pascale Trompette : “Dans les cimetières, on voit peu de choses modernes. La personne qui meurt à 85 ou 95 ans souhaite généralement quelque chose d’assez traditionnel…”
Défunt écolo
C’est votre cas… enfin presque. Cérémonie discrète, arrivée dans un corbillard tout simple - certains, aujourd’hui, décident d’acheminer le cercueil sur le toit d’une deuch’ (NDLR : Citroën 2 CV) ou même dans le side-car d’une Harley Davidson, bière couverte d’un voile. Corbillard pour vous, donc, puis inhumation classique.
La crémation, vous y avez réfléchi (après tout, environ 50 % des Français y ont recours aujourd’hui), avant d’écarter l’option. Dans les années 2020, la crémation était tendance, et en forte croissance. “Certains pensent qu’on pourrait atteindre 70 % de crémations… Je n’y crois pas, expliquait le sociologue Tanguy Châtel. Cela devrait s’équilibrer. Notamment pour des considérations écologiques.”
200 mg de dioxyde de soufre, 100 mg d’acide chlorhydrique, 100 mg de monoxyde de carbone et 700 mg d’oxydes d’azote par mètre cube : voici le coût environnemental d’une crémation, et vous ne tenez pas à le faire payer à la planète.
Alors, vous choisissez d’un clic sur la borne l’option “inhumation”, et réduisez au minimum le soin de thanatopraxie, cette technique qui permet de préserver les corps de défunts humains de la décomposition naturelle et de les présenter avec l’apparence de la vie pour les funérailles. La thanatopraxie emploie de nombreux produits chimiques susceptibles de contaminer les nappes phréatiques.
Mieux : vous sélectionnez un cercueil en carton recyclé, produit en France. Pas question de laisser le plomb d’un cercueil traditionnel suinter au fil des âges dans la terre. Selon plusieurs études, l’aspect écologique des obsèques comptait pour environ 10 % des Français dans les années 2010, un chiffre qui n’a fait que croître depuis.
Tout en ligne
Vous cochez, enfin, la possibilité pour vos proches d’assister à une diffusion simultanée de la cérémonie. Pas sûr que tout le monde puisse - ou souhaite - se déplacer. De nombreuses entreprises proposent ce service depuis des années, à l’image du site Inmemori. “Encore une tendance qui a connu un boom avec ce satané Grand Confinement de 2020-2021”, pensez-vous en appuyant sur le bouton “Éditer mon devis”.
Comme Advitam, de nombreux opérateurs proposent désormais des devis en ligne, qui apparaissent en quelques secondes et permettent au client de comparer efficacement les tarifs des prestations d’une pompe funèbres à l’autre - dans la plus stricte application de la loi Sueur de 2010.
Le prix est élevé - environ 2 000 € -, mais heureusement largement relativisé par le choix d’un cercueil en carton, qui ne coûte que 300 €, soit près de 700 € de moins qu’un cercueil traditionnel bas de gamme. Le devis inclut l’équipement, les soins, la cérémonie et la prestation du maître de cérémonie, l’acheminement du cercueil, l’inhumation.
Vous payez. “Nous vous remercions d’avoir préparé vos obsèques avec OGF ! À bientôt !”, grésille la borne d’une petite voix enthousiaste.
Cimetières verts
Zzzz - vous sortez de la boutique. À deux pas se trouve le cimetière dans lequel vous serez inhumé - vous en avez la confirmation dans votre poche, sous la forme d’un reçu estampillé “OGF”.
Pourquoi ne pas se promener un peu ? C’est une belle après-midi, et le cimetière, vous le savez, a été réaménagé après l’arrêté du 15 janvier 2021 interdisant l’utilisation de produits phytosanitaires dans les nécropoles françaises.
“L’idée, c’est de créer des parcs, des jardins, dans nos cimetières, explique Isabelle Court, gestionnaire des cimetières de Saint-Germain-en-Laye. Des endroits fleuris, où les gens se sentiront bien.”
Comme l’estime Tanguy Châtel, les cimetières sont devenus “plus paysagés, moins minéraux - des lieux de promenade, pas seulement de repos.”
Sur certaines dalles, vous repérez des petites plaques ornées de curieux symboles. Ce sont des QR codes. Vous sortez votre Iphone XXS de votre poche, et en scannez un, par curiosité. Un diaporama commence à jouer : la vie du défunt !
Photos, vidéos, agrémentées d’un petit texte à la mémoire de celui qui gît désormais sous vos pieds… C’est vrai, il vous semble vous rappeler que Pour L’Éco avait effectivement mentionné une telle technologie, expérimentée notamment par l’entreprise Histoires de vie, dans le dernier article de sa série sur l’économie du funéraire, il y a des années.
Autour de vous, des enfants courent en riant, comme dans n’importe quel parc. “L’avenir réserve bien des surprises, même aux morts”, songez-vous, reprenant votre promenade entre les sépultures de votre futur cimetière.