Economie
Cimetières, pourquoi sont-ils de plus en plus cher ?
SÉRIE - Le marché du décès est florissant. Mais un de ses plus anciens acteurs en pâtit plutôt qu’il n’en bénéficie. Les cimetières français, saturés, sont contraints d’augmenter leurs tarifs… mais ne font pas recette pour autant. ["Marché funèbre", épisode 1/5]
Pierre Garrigues (Texte et illustration)
© Pierre Garrigues
“Proposer une tombe, pour moi, c’est comme faire visiter un appartement.” À bientôt 37 ans, Nicolas Dubois, responsable administratif des deux cimetières de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), ressemble plus à un étudiant d’école de commerce qu’au croque-mort de Lucky Luke.
“Quand j’ai accepté le poste, se remémore-t-il, ma prédécesseure m’a dit : le baptême du feu, c’est ta première inhumation. C’est là que tu testes ton rapport à la mort.” Depuis, il y a eu des dizaines et des dizaines d’inhumations. Et d’exhumations, parfois de corps en état avancé de décomposition. “Et ça ne m’a jamais embêté. Cela ne me gêne pas du tout de jeter, parfois, un regard au fond du trou pour voir comment les choses avancent.”
Un cercueil sous la terre, un achat immobilier comme un autre ? “Le piège, justifie Nicolas Dubois, c’est de trop rentrer dans l’émotionnel. Il faut toujours rester pro. C’est ce que veulent les familles en face de toi. Si tu commences à te poser des questions, il va y avoir du pathos. Et pour ne pas tomber en larmes à chaque mise en terre, il faut construire des barrières.” C’est parti pour la visite immobilière, dans ce cas.
Proposer une tombe pour moi, c’est comme faire visiter un appartementNicolas Dubois,
Responsable administratif des deux cimetières de Saint-Germain-en-Laye
Habitation (éternelle) à loyer immodéré
L’ancien cimetière de Saint-Germain, inauguré en 1774 et agrandi en 1827, compte 3 hectares. Le nouveau, un peu à l’écart, a ouvert en 1887, et abrite les restes de nombreux militaires décédés pendant la Première Guerre mondiale à l’hôpital de la ville. Ce cimetière s’étend sur 7 hectares. C’est beaucoup : 95 % des 40 000 cimetières français mesurent moins d’un hectare et demi.
Qui veut loger pour l’éternité aux côtés du réalisateur Jacques Tati (1907-1982), dans l’ancien cimetière de Saint-Germain, devra mettre la main au porte-monnaie. Les cimetières d’Île-de-France sont onéreux, et celui-là n’échappe pas à la règle : pour 30 ans d’une concession de 2m², il faudra débourser 1 340 €, et 5 200 pour 4m² pendant 50 ans.
“Dans la plupart des cimetières de villes moyennes, une concession de 2m², c’est 1 000 € pour 50 ans, compare François Michaud-Nérard, ancien directeur des services funéraires de la ville de Paris. Et encore, c’est cher.”
Les prix des concessions varient selon les endroits. Depuis quelques années, ils grimpent en flèche. À Paris, qui enregistre chaque année 5 000 demandes pour 150 emplacements libres, le prix d’une concession perpétuelle de 2 m² est ainsi passé de 11 086 euros en 2008 à 15 528 euros en 2017. Les cimetières extra-muros, également gérés par la ville, comme ceux de Bagneux ou d’Ivry, n’échappent pas à une hausse des tarifs de l’ordre de 40 % sur la même période. À Aix-en-Provence ou à Marseille, c’est la même histoire.
Les prix sont fixés par chaque commune, qui se doit de garantir à ses administrés le droit d’être inhumés sur son territoire. Problème : avec le vieillissement démographique, le nombre de décès en France ne cesse d’augmenter, et les places libres, dans les cimetières, de se réduire : 550 000 décès en France métropolitaine en 1982, selon l’INSEE, 614 000 en 2019 et en 2020, plus de 667 000.
“Ce n’est pas nouveau, tempère François Michaud-Nérard. Colbert disait, à peu près : "s’il existait encore tous les caveaux de tous les temps, on labourerait entre les tombes". Un cimetière, ça se gère.”
15 528 euros
Prix d’une concession perpétuelle de 2 m² à Paris en 2017. La demande dépasse largement l’offre : 5 000 demandes pour 150 emplacements disponibles.
Au XIXe siècle, la disposition des cadavres devient un problème de santé publique, et, rapidement, champignonnent dans toutes les villes des cimetières, construits à l’écart des habitations, pour remplacer les charniers des centres-villes. Les premières concessions sont toutes perpétuelles. Ensuite, face à la saturation, les cimetières décident de revoir leur modèle économique. Naissent alors les concessions temporaires.
L’éternité… temporairement
Dans l’ancien cimetière de Saint-Germain, certaines tombes sont mieux entretenues que d’autres. Les marbres des unes resplendissent, ceux des autres sont couverts de mousse et autres lichens bleu vert. Sur celle-ci, brille une petite plaque ornée d’un “Nous ne t’oublierons pas.” Sur celle-là, une autre plaque luit : “Cette concession est échue. Veuillez vous adresser au conservateur.”
La loi est claire : c’est à la commune de gérer le cimetière et de garantir son bon entretien. Mais c’est au particulier, aux proches du défunt, de veiller à la propreté des sépultures. Deux ans après l’échéance d’un bail, ou bien lorsqu’une tombe n’est plus correctement entretenue, l’emplacement revient à la ville. Alors s’engage le processus de la “réduction” : la tombe est ouverte, les ossements récupérés et placés dans un ossuaire. Puis, l’emplacement est à nouveau disponible.
Remplacement des tombes, réduction et restauration des cimetières sont quasiment partout sous-traités par les communes à des entreprises, comme CCE France. “C’est un service qui se développe, parce que ça n’a jamais été fait avant, indique Julien-Alexandre Caradeuc, qui dirige l’entreprise. Certaines communes ont 3 000, 4 000 concessions à reprendre, des cimetières entiers à réorganiser.” Le coût de tels travaux ? Entre 500 et 1 000 euros par tombe, selon la taille et la nature du monument.
La mode de la crémation, péril financier ?
“De toute façon, le cimetière est un service public, remarque Nicolas Dubois. Nous n’avons pas d’obligation de rentabilité. Si on est à l’équilibre, c’est déjà bien.” Gardiennage, sécurité, tenue des archives : les coûts pour la ville dépassent largement les recettes, qui dépendent exclusivement du prix des emplacements. “Prix qui ne répondent pas à aucun calcul économique”, précise Dubois.
“Pour qu’un cimetière soit à peu près rentable, il faudrait augmenter les prix des concessions de manière significative, échafaude François Michaud-Nérard. Mais à ce moment-là, la crémation exploserait…” Et les cimetières seraient les premiers à en pâtir, l’ancien directeur des services funéraires de Paris en est certain. “Dans le centre-ville de Londres, la crémation représente 90 % des pratiques funéraires, relate-t-il. Et, là-bas, les cimetières sont en déshérence complète. Ils sont abandonnés, les tombes sont couvertes de mousse…”
En France, la crémation est tendance. De pratique marginale il y a encore vingt ans, elle constitue aujourd’hui 35 % des pratiques funéraires dans l’Hexagone. Résultat : depuis 2008, chaque commune de plus de 2000 habitants doit disposer d’un “site cinéraire” - un columbarium, dans lequel la location d’une case coûtera, en moyenne, entre 500 et 800 € pour 15 ans.
Encore moins qu’une tombe, donc ; qui plus est, de nombreuses personnes optant pour la crémation le font pour des raisons économiques, et préfèrent par la suite ne pas inhumer les cendres ni même les stocker dans un columbarium, mais les disséminer en pleine nature. Des recettes en moins pour les nécropoles françaises.
Les cimetières doivent s’adapter à une nouvelle donne. Celle de la dispersion de la famille, celle des visites de plus en plus espacées, celle du tourisme remplaçant peu à peu le recueillement. Tout en maintenant leur rôle originel : maintenir le lien entre morts et vivants… et parfois, en créer entre deux personnes bien vivantes.
Fleury a rencontré Costinela dans le cimetière de Paris Pantin, en arpentant ses 108 hectares. Sa fille de 32 ans y est enterrée. Le fils de Costinela, qui ne fêtera jamais ses 3 ans, également. Les deux ont vécu la pire chose qui puisse arriver à une mère. Les deux ont subi le déluge d’informations, irréel, qui s’abat sur la famille d’un défunt dont la mort n’avait pas été anticipée.
Les deux sont devenues amies. “On a beaucoup parlé, dit Fleury. On se remonte le moral. On s’est bien trouvées. Costinela, c’est la seule bonne chose qui soit arrivée dans ce cimetière.”
Épisode 2 - Anticiper la faucheuse
Retrouvez l’histoire de Fleury et Costinela dans le prochain épisode de notre série.
Face à la hausse du prix des obsèques, de nombreux Français se tournent vers les contrats obsèques, qui leur permettent d’orchestrer et de payer, “à distance”, leurs futures funérailles. Mais sur le marché en pleine croissance de la mort, flou et opacité règnent en maîtres.
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