Economie

Cinéma : comment réinventer les salles obscures ?

Face à la crise sanitaire et économique et au développement des plates-formes de VOD, les exploitants de salles de cinéma doivent réinventer leur métier. Entre formats innovants, programmation affirmée et modernisation des lieux, les idées ne manquent pas.

Marie Frumholtz
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© Robert KLUBA/REA

Avec 213 millions d’entrées, 2019 a été l’une des meilleures années pour les salles obscures, selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Le bilan de 2020 et des années à venir sera évidemment tout autre.

La crise sanitaire et économique n’a épargné ni les exploitants indépendants ni les grands groupes. « Mais des crises émergent parfois de nouvelles idées qui font progresser une industrie, pour paraphraser Schumpeter », philosophe Kira Kitsopanidou, professeure à l’université Sorbonne Nouvelle.

Cette spécialiste de l’économie du cinéma pense qu’une nouvelle génération de salles indépendantes pourrait faire son apparition, multipliant les propositions à l’intention du public.

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La Forêt Électrique à Toulouse, par exemple, après avoir pris la forme d’un cinéma éphémère, en partie soutenu par une opération de crowdfunding, se prépare à ouvrir deux salles permanentes d’ici 2024 dans un ancien atelier industriel. « Les entrées ne représenteront que la moitié de notre chiffre d’affaires », signale Agnès Salson, la cofondatrice du projet.

En effet, en plus d’un bar et d’activités événementielles, le lieu intégrera une structure de production que les instigateurs souhaitent ouvrir aux créateurs locaux. « En pleine crise, nous préfigurons le nouveau cinéma en nous saisissant de certaines dynamiques en cours. Nous ne voulons pas être un simple espace de diffusion dépendant de productions externes ou de distributeurs qui ouvrent désormais leur propre plate-forme, comme Disney. Notre programme sera pluriel et construit avec notre public. »

Le Covid a-t-il boosté les films français ?

Avec 162 jours au total de fermeture en 2020, la fréquentation atteint 65,1 millions d’entrées, soit 30 % de celle observée en 2019, indique le Centre national du cinéma et de l’image animée. Un contexte inédit qui a également bouleversé la distribution des films.

Alors que les sorties de nombreux blockbusters américains ont été repoussées ou déplacées sur des plateformes de streaming comme Disney+, les films français ont multiplié par deux leurs parts de marché en France. Le cinéma hexagonal a donc réalisé davantage d’entrées que les films hollywoodiens, du jamais-vu depuis 2006. 

Une situation qui pourrait perdurer : « Les studios américains vont se tourner à l’avenir vers de plus grands marchés, notamment vers l’Asie. Leurs productions correspondront moins au goût du marché européen et engendreront moins d’entrées », estime Jean-Marie Dura, consultant et ancien directeur général des cinémas UGC.

Le déclic Avatar

Si aujourd’hui, l’heure est à la diversification de l’offre dans les cinémas, c’est avant tout grâce au numérique, qui a permis aux programmations de gagner en flexibilité. Le tournant est clairement daté à la sortie d’Avatar, réalisé par James Cameron, en 2009. « Un vrai coup de maître. Pour la première fois, le marketing était orienté pour valoriser le film et pas la technologie de projection. Aujourd’hui, une salle doit s’équiper pour le long-métrage, pas fanfaronner sur un énième gadget », estime Clémence Allamand, maîtresse de conférences en socio-économie du cinéma et de l’audiovisuel à l’université de Montpellier. De fait, depuis fin 2014, toutes les salles françaises sont équipées de projecteurs numériques financés grâce au soutien de l’État.

Cette vague a ouvert une large voie au progrès technique avec des innovations toujours plus immersives – les écrans enveloppants Imax –, les plus spectaculaires – les sièges 4DX qui s’animent en fonction des effets spéciaux. Des technologies que l’on retrouve essentiellement en France, dans quelques salles du groupe Pathé Gaumont. Ce dernier mise sur une expérience haut de gamme pour concurrencer, surtout chez les 15-25 ans, les plates-formes VOD.

« À terme, il sera possible de faire disparaître le projecteur, grâce à des écrans du type de l’Onyx LED de Samsung, et de reconfigurer complètement les salles. Mais ces technologies sont chères. Au lieu d’acheter, les exploitants de salles pourraient choisir de louer le matériel de diffusion auprès des équipementiers », suggère Clémence Allamand. Avec une condition de rentabilité : les films doivent proposer les effets spéciaux adaptés au matériel innovant. Quant aux spectateurs, sont-ils prêts à payer leur place 20 euros ?

Fixer les familles

La programmation hors film, regroupant la diffusion en direct de spectacles vivants, la projection en avant-première de séries ou encore des compétitions de jeux vidéo, reste, elle, moins coûteuse à mettre en place. « Cette partie événementielle représente encore moins de 1 % des activités des salles de cinéma, mais elle a le mérite de faire venir de nouveaux publics », remarque Kira Kitsopanidou.

À Charleroi, en Belgique, le cinéma Quai10 dispose, en plus de ses cinq salles de projection, d’un espace comportant 13 bornes de jeux vidéo accessibles gratuitement. De nombreux événements sont également organisés autour de ces deux médias, pour le grand public, comme pour les scolaires.

« On ne peut plus se contenter de projeter des films, il faut proposer au spectateur, de plus en plus exigeant, une vraie expérience : 75 % de nos clients passent d’office par notre brasserie avant ou après leur séance et avec nos activités autour des jeux vidéo, les familles peuvent rester longtemps sur place. Si on veut se développer, il faut réinventer l’attractivité », analyse Matthieu Bakolas, le directeur de Quai10.

Le poids des seniors

Comment séduire tout le monde ? Représentant un peu plus du quart de la population totale en 2019, les moins de 25 ans constituent la tranche d’âge la plus attirée par le cinéma. Plus de 70 % des 13-24 ans sont allés au moins une fois par an au cinéma sur la période 2015-2019, annonce une étude du CNC intitulée « Le public du cinéma en 2019 ».

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Mais ce sont les seniors qui génèrent le plus d’entrées. Les jeunes, moins. La faute aux plateformes VOD ? « Sans doute, mais la question avait déjà été soulevée avec l’arrivée de la télévision. Aujourd’hui encore, la disparition des salles n’est pas envisagée, mais des initiatives doivent être prises, et pas seulement en matière de nouvelles technologies. La communication, les prix, l’architecture des salles, comptent aussi », conclut Clémence Allamand, de l’université de Montpellier l.

Quand la salle est dans le casque

Et si le meilleur moyen d’aller au cinéma était d’inviter le 7e art chez soi ? C’est ce que propose, depuis juillet 2020, CineVR. Chaque propriétaire de casque de réalité virtuelle peut télécharger gratuitement l’application et assister à une projection payante de son choix.

« Nous projetons beaucoup de blockbusters, ce sont des produits faciles d’accès qui nous permettent de démocratiser l’usage de la VR. Le visionnage est classique, en 2D ou en 3D, afin d’éviter tout mouvement déstabilisant. Il est aussi possible de créer sa propre séance avec ses amis et de communiquer avec eux », explique Vincent Tessier, dirigeant de Cinemur, société à l’origine de CineVR.

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Pour sa première année d’exploitation, ses créateurs espèrent atteindre le million d’utilisateurs partout dans le monde. Toutefois, Vincent Tessier ne se considère pas comme un concurrent des salles de cinéma : « Nous sommes concurrents des jeux vidéo, qui constituent le premier usage des casques de VR. Quant aux salles, nous travaillons avec certains exploitants pour créer une offre commune. »

Cela supposerait une démocratisation massive des casques de réalité virtuelle.

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