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Avec la fréquentation des salles en baisse, le financement du cinéma français doit-il changer ?
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Avec la fréquentation des salles en baisse, le financement du cinéma français doit-il changer ?
Sélection abonnésLe financement public du cinéma d’auteur français a permis l’avènement d’une cinématographie française reconnue. Et le contexte actuel de baisse de la fréquentation des salles de cinéma, et de la place prise par les plateformes ne doit pas remettre en cause ce système expliquent des experts.
Stéphanie Bascou
© Bruno LEVY/CHALLENGES-REA
Le Festival de Cannes, qui fêtait ses 75 ans cette année, a eu le mérite de remettre quelques instants sous le feu des projecteurs le 7e art, en difficulté depuis la crise sanitaire. En cause, une baisse massive de la fréquentation des salles et de la concurrence de plus en plus pressante des plateformes de streaming.
Face à cette baisse de la demande et l'émergence d'une offre quasi-illimitée par ailleurs, faut-il maintenir un financement public du cinéma français, qui a souvent bien du mal à trouver son public ?
Cette aide publique n'a d'ailleurs pas toujours existée. Il y a plus de sept décennies, en 1939, date de son tout premier festival de Cannes, les pouvoirs publics n’avaient pas encore décidé d'extirper - en partie - le cinéma des lois du marché.
En 1946, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la France signe même l’accord Blum-Byrnes : contre un prêt conséquent, l’hexagone accepte d’ouvrir son marché aux exportations américaines : les cinémas font partie du deal. La diffusion des films français est alors soumise à un quota, limité à un tiers des séances.
Le Festival de Cannes, qui fêtait ses 75 ans cette année, a eu le mérite de remettre quelques instants sous le feu des projecteurs le 7e art, en difficulté depuis la crise sanitaire. En cause, une baisse massive de la fréquentation des salles et de la concurrence de plus en plus pressante des plateformes de streaming.
Face à cette baisse de la demande et l'émergence d'une offre quasi-illimitée par ailleurs, faut-il maintenir un financement public du cinéma français, qui a souvent bien du mal à trouver son public ?
Cette aide publique n'a d'ailleurs pas toujours existée. Il y a plus de sept décennies, en 1939, date de son tout premier festival de Cannes, les pouvoirs publics n’avaient pas encore décidé d'extirper - en partie - le cinéma des lois du marché.
En 1946, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la France signe même l’accord Blum-Byrnes : contre un prêt conséquent, l’hexagone accepte d’ouvrir son marché aux exportations américaines : les cinémas font partie du deal. La diffusion des films français est alors soumise à un quota, limité à un tiers des séances.
« Le cinéma va aider le cinéma »
En réaction, la profession s’organise. Un premier fonds d’aide financière est créé, première brique du système de redistribution d’aujourd’hui. Car les pouvoirs politiques ont eu une idée unique au monde, s’enthousiasme le cinéaste Frédéric Sojcher : au lieu de verser de l’argent qui viendrait directement de l’État à des réalisateurs ou des producteurs, et qui aurait la forme d’une subvention, le gouvernement décide de mettre en place un système de mutualisation, qui fait que « le cinéma va aider le cinéma ». En 1946, le Centre national du cinéma (CNC) apparaît.
Tout part d’une idée simple. À chaque place de cinéma achetée, une partie du prix va venir alimenter une cagnotte, un fonds du CNC. Ce dernier va ensuite redistribuer toute une série d’aides à la production et à la diffusion des films français. Et ce même si la place est achetée pour aller voir un blockbuster américain.
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Les producteurs vont aussi bénéficier d’une aide automatique. À chaque film réalisé correspondra une ligne de crédit qu’il pourra utiliser pour un autre film. Les cinéastes peuvent également bénéficier d’aides sélectives du CNC. « Là vous déposez un dossier, il y a une commission, un jury qui choisit de donner une avance sur recettes qui est l’aide la plus importante pour les longs métrages », décrit Rosalie Brun, déléguée générale de la Société des Réalisateurs français.
Éco-mots
Avance sur recette
Aide financière délivrée par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à des projets de longs-métrages. Elle est accordée après avis d'une commission (un comité de lecture), où siègent des personnalités du secteur (réalisateurs, scénaristes, producteurs, techniciens). Normalement remboursée par les recettes du film, ce n'est en réalité que rarement le cas (autour de 10% des films selon la Cour des comptes).
Par la suite, les pouvoirs publics ont l’idée de faire participer l’ensemble des opérateurs de l’audiovisuel à ce fonds : avec l’avènement de Canal + qui amène le cinéma sur le petit écran, on contraint en 1986 les chaînes de télévision publiques et privées à automatiquement réinvestir dans les productions cinématographiques et télévisuelles une part de leur chiffre d’affaires.
Et c’est ce même principe qui s’applique désormais aux plateformes de streaming, qui doivent reverser au moins 20 % de leur chiffre d’affaires réalisé sur le sol français.
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Le chiffre est cohérent pour les uns, insuffisant pour les autres. À côté de cela, d’autres formes d’aides sont apparues, comme les aides régionales et des aides fiscales. En 2022, le budget du CNC devrait être de l’ordre de 694 millions d’euros, estimait le gouvernement en septembre dernier.
« Le cinéma français n’est pas une économie communiste »
Pour autant, « le cinéma français n’est pas une économie communiste, payée par l’État et les impôts des Français », souligne Chloé Delaporte, maîtresse de conférences en socioéconomie du cinéma à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Car contrairement au Brésil, où la part du financement public dans le budget moyen d’un film avoisine les 90 %, en France, la part du soutien public est bien plus basse : elle avoisinait les 10 % en moyenne en 2021, selon le CNC.
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Le reste est complété par du financement privé apporté par des acteurs qui vont rechercher un retour sur investissement, à l’inverse du CNC. « C’est là que l’argent public peut être essentiel », souligne Rosalie Brun, car « parmi les films soutenus, il y aura peut-être des films qui vont certes faire très peu d’entrées, mais qui vont permettre à des artistes de s’exprimer, de continuer à créer des œuvres très diverses, et aux spectateurs de permettre de découvrir, demain, un nouveau Jean-Luc Godard, ou quelque chose que le public n’attend pas », rapporte la productrice.
« La force du cinéma français repose sur deux jambes », abonde Frédéric Sojcher dont le prochain film, Le cours de la vie, sortira sur grand écran en décembre prochain. « Il y a d’un côté des films conçus dès le départ pour le marché, avec l’espoir qu’il y ait un maximum de spectateurs, et qui sont dans une approche commerciale et de l’autre des films qui sont plus dans une approche d’expérimentation », et qui vont faire émerger de nouveaux talents.
D’un point de vue économique, ils sont complémentaires l’un de l’autre. Et « si on venait à affaiblir trop l’une des deux jambes, c’est l’ensemble de l’équilibre d’un écosystème qui peut péricliter ».
Résultat : grâce à ce système qu’on désigne parfois comme l’exception culturelle française, le cinéma français a pu exister à côté du cinéma américain.
Éco-mots
Exception culturelle française
Désigne la mise en place en France, par le biais d’un certain nombre de dispositifs législatifs et réglementaires concernant la création artistique dans le théâtre et le cinéma, d’un statut spécial pour les œuvres et la production audiovisuelles visant à les protéger des règles commerciales de libre-échange.
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340 films produits en France : « ça ne correspond pas au besoin du marché »
Aujourd’hui, le pays compte « le plus grand réseau art et essai du monde. On a 1 200 cinémas art et essai en France, contre 400 en Allemagne, 300 en Italie, 50 en Espagne », énumère François Aymé, le président de l’Association française des cinémas art et essai.
Éco-mots
D’art et d’essai
Classification juridique donnée à des films dont le but est la promotion du cinéma indépendant. Juridiquement ce sont des œuvres : - ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique, - reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France, - de reprise présentant un intérêt artistique ou historique…
Le système permet aussi un volume de production conséquent. En 2021, un record de production a été battu. 340 films ont été créés, contre 301 en 2019. Mais « ce n’est pas une offre démesurée que cela au vu de ce que propose Netflix sur sa plateforme », estime Rosalie Brun.
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Mais pour certains, c’est tout simplement trop. « Aujourd’hui on distribue 700 films (moitié films français, moitié films internationaux, ndlr), c’est-à-dire deux par jour. Cela ne correspond pas au besoin du marché », rétorque Claude Forest, enseignant-chercheur en économie et sociologie du cinéma à la Sorbonne Paris 3.
Le marché se réduirait d’ailleurs comme peau de chagrin selon une étude du CNC présentée lors du festival de Cannes qui inquiète les acteurs du cinéma : les premiers mois de 2022 ont connu une baisse « historique » de la fréquentation des salles de cinéma de l’ordre de 34 % (tout cinéma confondu) par rapport à la période avant la crise sanitaire. Les salles d’art et d’essai s’en sortent un peu mieux, avec 25 % de fréquentation en moins.
Le choix de produire un volume d’œuvre n’est pas remis en question
Mais le chiffre reste élevé pour ces salles qui n’attiraient déjà qu’une majorité de « CSP + et de personnes un peu plus âgées », concède François Aymé, qui met néanmoins en avant le travail effectué de ces structures « avec les scolaires qui touche toutes les classes sociales ».
Le cinéma a toujours été une distraction bourgeoise.Chloé Delaporte,
Sociologue du cinéma
De quoi remettre en cause le financement public ? Absolument pas, répondent à l’unisson les économistes interrogés. D’abord, il faudrait regarder sur le long terme si cette tendance se confirme, argue Chloé Delaporte, pour qui le constat est loin d’être nouveau : « le cinéma est une distraction bourgeoise, cela a toujours été le cas. Il n’y a aucune période dans l’histoire où le ‘cinéma d’auteur’ a été populaire et faisait plusieurs millions d’entrées ».
Le prix de la place qui dépasse souvent les dix euros, bien au-dessus de celui d’un abonnement à une plateforme qui peut profiter à toute la famille, a-t-il joué le rôle de repoussoir en cette période de forte inflation ? La question du prix fait bien partie des sujets de réflexion du moment de la profession, relate Frédéric Sojcher. Et pour nombre de Français qui cumulent plusieurs boulots, et qui essaient de s’en sortir financièrement, le cinéma d’auteur n’est clairement pas la priorité, ajoute Chloé Delaporte.
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Selon l’enquête du CNC, les raisons de la baisse de fréquentation sont multiples, comme le changement d’habitude pris pendant le Covid de ne plus se déplacer au cinéma, ou encore la place prise par les plateformes. « Aujourd’hui, le cinéma d’auteur est, avec l’arrivée des plateformes, à sa troisième mise en danger » après la prédominance du cinéma américain pendant l'après-guerre, et l'arrivée de Canal +, s’alarme Rosalie Brun.
La filière cinématographique est bien dans une période transitoire, estime Chloé Delaporte, mais « les discours alarmistes des professionnels du cinéma » qu’on entend en ce moment, « posent le débat dans des mauvais termes » en opposant les anciens (producteurs, studios) et les nouveaux acteurs (les plateformes comme Netflix, Amazon Prime et Disney).
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Or, la plateforme « se surajoute, c’est un financeur de plus. Pas en moins. Il faut raisonner en termes de complémentarité et non de substitution », complète Claude Forest.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il existe des logiques de création qui diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. « Dans le droit anglo-saxon, c’est le système du copyright qui s’applique. Aux Etats-Unis, celui qui finance le film, le producteur, est celui qui a le pouvoir : il va donc produire « un cinéma de la demande », qui répondra aux demandes des consommateurs, explique Claude Forest. C’est ce modèle qui prédomine sur les plateformes. »
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En France au contraire, « le marché est régulé par ce qu’on appelle le droit d’auteur. Autrement dit, l’offre (de films, ndlr) correspond à ce que souhaite l’auteur. C’est lui qui propose sa vision du monde, et qui dit, en quelque sorte : 'qui m’aime me suive' », ajoute l’enseignant-chercheur.
Conséquence : avec l’écosystème actuel français, « la création est bien protégée ». Jusqu’à présent, la France a fait le choix de produire beaucoup d’œuvres, dont seulement quelques-unes atteindront la rentabilité.
« La question, éminemment culturelle et politique, est de savoir : est-ce-que toutes ces œuvres doivent exister ou pas », souligne Claude Forest. La réponse de la France est oui. Et tant qu’elle dit oui, même sous ce gouvernement où il n’y a pas eu remise en question, les inquiétudes du monde du cinéma d’auteur sont de l’ordre… du fantasme ».
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