Cet article est extrait de notre hors-série consacré à l'amour. À retrouver en kiosque.
Un appartement pour maman, l’autre pour papa, reliés par la chambre des enfants, Raoul et Rose.
Dans le film L’Amour flou (2018), Romane Bohringer et Philippe Rebbot nous ouvraient les portes de leur « sépartement », un logement qu’ils occupaient alors réellement. Trois ans plus tard, ils racontent la suite, dans une série diffusée sur Canal +.
Situé à Montreuil, ce double appartement accueille le couple fraîchement séparé, mais souhaitant continuer à élever ses enfants sans qu’ils aient à déménager une semaine sur deux.
« Je m’entends très bien avec mon ex-femme. Je m’étais déjà dit que ce serait idéal d’avoir un logement communiquant. Un jour, j’ai rencontré Romane Bohringer qui cherchait une solution pour continuer à vivre avec ses enfants malgré la séparation avec son conjoint. Je lui ai parlé de cette idée. J’ai vu ses yeux s’illuminer et le projet était lancé », témoigne Nicolas Ségal, le promoteur qui a eu l’idée du sépartement.
« Ce cas nous a ouvert les yeux sur une réalité : les situations personnelles évoluent, la volonté de vivre ensemble aussi », confie Gaylord Le Chequer, premier adjoint délégué à l’urbanisme à la mairie de Montreuil.
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« C’est révélateur d’une évolution du mode de vie que nous avons intégrée. Dans la Charte de la construction pour une ville résiliente qu’elle vient d’adopter, la ville encourage les opérateurs fonciers à “anticiper d’éventuelles futures adaptations du logement (mutation et flexibilité) en lien avec les évolutions des modes de vie (par exemple, éviter les murs de refend porteurs qui pourraient gêner à terme un regroupement de logements.” »
Mieux vaut « favoriser une unité de vie autonome dès le T4 pour s’adapter aux nouveaux besoins (télétravail, famille recomposée, décohabitation plus tardive des grands enfants) ».
Décohabitation
Depuis 1990, plus de 40 % des mariages débouchent sur un divorce d’après l’Insee. Au moment de la séparation, tous les parents rencontrent la même difficulté : financer un nouveau logement avec suffisamment de chambres pour accueillir leurs enfants, mais avec un budget réduit de moitié.
« Le sépartement permet de faire des économies », avance Nicolas Ségal, fondateur d’une entreprise spécialisée dans la conception de lofts. Il travaille actuellement sur un projet similaire pour un couple de femmes mamans de jumeaux.
Si cet exemple reste inédit, le promoteur confirme qu’il reçoit de très nombreuses demandes pour des logements modulables. « J’ai de plus en plus de clients qui n’ont leurs enfants qu’une semaine sur deux, des familles recomposées. Je conçois des logements où les cloisons sont amovibles, pour créer des pièces plus ou moins grandes selon les besoins », décrit-il.
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« Le marché du logement est directement impacté par l’augmentation du nombre de divorces. Le nombre de foyers augmente de 0,9 % par an en France, alors que la population ne progresse que de 0,4 % », souligne Pascale Hébel, directrice du pôle Consommation et entreprise au Crédoc.
Pour elle, « la multiplication des séparations explique en partie la crise du logement dans les grandes métropoles. Et les prix augmentant de plus en plus, la colocation progresse ».
Or « on anticipe les évolutions démographiques, pas les évolutions sociologiques, constate Pierre Madec, économiste à l’OFCE. On fait des projections à horizon 2070 en faisant des hypothèses sur l’espérance de vie, l’immigration… En revanche, les situations de décohabitation sont plus difficiles à anticiper ».
L’inadéquation de l’offre avec la demande se constate aussi dans le parc de logements sociaux : « Près de la moitié des personnes qui sollicitent un logement social sont seules, or par le passé, on a construit surtout des logements pour plusieurs personnes », ajoute l’économiste.
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Une chambre de 120 m2
Il existe aussi des situations de cohabitation forcée : « L’âge de la décohabitation, c’est-à-dire du départ des enfants du domicile familial, augmente depuis le début des années 2000. Cela coïncide avec l’explosion du coût de l’immobilier et une précarisation accrue du marché du travail », observe Pierre Madec.
Autre évolution des mœurs : les unions homosexuelles. « Avant, on ne s’intéressait pas aux besoins de ces couples. Un grand logement était forcément composé d’au moins trois ou quatre chambres. Or de plus en plus de couples homosexuels sans enfants ni projet d’enfant me contactent pour créer un logement d’au moins 120 m2, avec seulement une ou deux chambres et une très grande pièce de vie », constate Nicolas Ségal.
Yankel Fijalkow, sociologue et urbaniste, attire l’attention sur une autre réalité : les familles monoparentales. « Elles sont de plus en plus nombreuses dans les logements sociaux (environ 20 %), ce sont en grande majorité des femmes avec enfants. Faute de place, beaucoup de ces mères cèdent la chambre aux enfants et dorment dans le salon, avec des conséquences évidentes sur l’intimité. Or il n’y a pas de réflexion en termes de production de logement qui prenne en compte cette réalité », déplore-t-il.
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Par ailleurs, aujourd’hui, la mise en couple et l’arrivée du premier enfant sont plus tardives, voire n’arrivent jamais.
« Ces nouvelles situations créent des tensions sur le marché du logement français, qui n’est pas pensé pour un besoin de logements aussi petits. Résultat : les étudiants et les jeunes travailleurs peinent à se loger », confirme Pierre Madec.
Toutefois, pas question de ne construire que des petits logements : « Nous ne sommes pas à l’abri que ces nouvelles dynamiques s’inversent. L’observation du passé nous apprend l’importance d’imaginer des logements modulables pour s’inscrire dans le temps long », conclut-il.
Et si l’on se lance dans l’achat d’un sépartement… mieux vaut vérifier que chaque parent pourra vendre sa partie unilatéralement !