Le verdict est finalement tombé à un peu plus d’un mois de la compétition. Sans surprise, le public européen pourra bien se délecter des frappes de Megan Rapinoe et des crochets d’Amandine Henry ou Ada Hegerberg lors la coupe du monde féminine de football, qui aura lieu en Nouvelle-Zélande et en Australie du 20 juillet au 20 août. Après des mois de négociation, la Fédération internationale de football (FIFA) et l’Union européenne de radio-télévision (UER) ont annoncé un accord le 15 juin 2023 pour diffuser dans 34 pays européens les matchs de la compétition.
Dès le mois d’octobre 2022, la diffusion était assurée dans 28 pays d’Europe. Problème : il manquait les plus importants, les « Big Five », soit la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Dans ces pays, principaux consommateurs de football, les chaînes de télévisions publiques comme privées refusaient de se plier au prix minimum demandé par la FIFA, estimé entre 10 et 15 millions d’euros.
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Un prix de marché difficile à estimer
« Nous avons l’obligation morale et légale de ne pas sous-estimer le montant des droits », se justifiait Gianni Infantino, président de la FIFA, en mai 2023. « Les femmes le méritent », ajoutait-il, menaçant d’un « black-out », soit de la non-diffusion de la compétition. De son côté, le directeur de la chaîne publique allemande ARD dénonçait un « chantage » de la part de la fédération internationale.
« La FIFA n’avait aucun intérêt à ne pas diffuser. Il était évident que cette menace n’était pas sérieuse », assure Harry Årne Solberg, professeur d’économie du sport à l’université de science et technologie Trondheim (Norvège).
En France, les matchs seront retransmis sur France 2, France 3 et W9 (groupe M6), un tandem qui permet de faire baisser la facture. Les chaînes n’ont pas révélé la somme dépensée, estimée « entre 6 et 10 millions d’euros », d’après les déclarations de Jean-Michel Aulas, membre du comité exécutif de la FFF, dans Le Monde.
Dans les « Big Five », l’accord a aussi été scellé avec des chaînes publiques, comme la BBC en Angleterre ou la RAI en Italie. Reste la Suède, le Danemark, la Norvège et le Portugal qui, malgré une sélection nationale en compétition, n’ont acheté aucun droit.
Sur le marché des droits de diffusion du football, comme sur tous les marchés, tout est affaire de rencontre entre l’offre et la demande pour déterminer un prix de marché. La FIFA, propriétaire des droits de diffusion, cherche à les vendre le plus cher possible. En face, les chaînes de télévision espèrent payer le prix le plus faible possible et se financer grâce aux revenus publicitaires et aux sponsors.
« La coupe du monde féminine de football n’est pas un produit structurant pour les chaînes, elles ne sont pas prêtes à se battre pour miser sur ces droits », rappelle Antoine Feuillet, maître de conférences en économie à l’Université Paris-Saclay. Dans un marché des droits télé « de plus en plus compliqué », les chaînes disposent de budgets restreints alors que les droits sont de plus en plus chers : en 20 ans, à l’échelle mondiale, leur prix a triplé. Les diffuseurs doivent donc faire les choix les plus rentables possibles.
Preuve que les chaînes savent mettre la main à la poche quand elles flairent une bonne affaire, le groupe TF1 avait misé avec trois ans d’avance pour acheter les droits de la coupe du monde féminine de 2019, jouée en France. La chaîne avait alors déboursé entre 10 millions d’euros, d’après TF1, et 19 millions d’euros dont 8 millions versés par Canal +, d’après Le Parisien. Les dernières éditions de la coupe du monde ont montré que les équipes féminines avaient leur fans. En 2019, un total de 1,12 milliards de téléspectateurs et téléspectatrices ont suivi les matchs féminins, contre 1,5 milliards de vues pour l’édition masculine au Qatar en 2022.
Booster l’attractivité des compétitions féminines de football
Pour la coupe du monde 2023, les chaînes européennes ont exprimé des réticences sur la date et le lieu de la compétition. La période, du 20 juillet au 20 août, est connue pour être une période creuse d’audience. Le public profite des vacances, pas de sa télévision. De plus, la compétition se joue en Australie et en Nouvelle-Zélande, soit avec 8 heures d’avance sur l’Europe de l’Ouest. Difficile, par exemple, d’attirer le public italien qui devra mettre son réveil à 8 heures pour voir les joueuses de la Squadra Azura affronter l’Argentine le 24 juillet.
Mais cela ne suffit pas à expliquer pourquoi les droits de diffusion de la Coupe du monde féminine valent 6% de ceux de la compétition masculine. « Il n’y a pas d’écart rationnel », explique Antoine Feuillet, « ce qui définit la valeur du produit, c’est l’intérêt pour s’approprier les droits ».
L’intérêt pour le football masculin, sport roi en Europe, est tel que la demande s’avère inélastique. « La courbe de demande pour les compétitions masculines de football est très pentue : les prix peuvent augmenter significativement sans faire baisser la demande », explique Harry Årne Solberg. Ce n’est pas le cas pour les compétitions féminines.
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Jusqu’en 2015, la Fédération vendait les droits de diffusion de la coupe du monde féminine couplés avec ceux de l’édition masculine. Cela garantissait la diffusion mais contribuait à considérer les tournois féminins comme un bonus. « Quand la fédération internationale donne elle-même peu d’importance à un tournoi, pour les fédérations, les diffuseurs, les sponsors agiraient différemment ? », écrit Suzanne Wrack, journaliste anglaise spécialiste du football, sur son blog édité par The Guardian.
Depuis plusieurs mois, la FIFA se targue à longueur d’interviews d’un progrès : la somme remise aux équipes s’élèvera au total à 150 millions de dollars, contre 50 en 2019 et 15 en 2015, encore loin des 440 millions de dollars de la dernière coupe du monde masculine. L’objectif est de distribuer un même montant aux hommes et aux femmes en 2026 et 2027.
D’après plusieurs spécialistes, il serait ironique de voir la FIFA faire peser l’exposition du football féminin sur les chaînes de télévision. L’instance semble avant tout intéressée par le fait de faire grimper le montant des droits, beaucoup moins par une politique de développement du football chez les femmes. « Il y a un retard à rattraper pour le football féminin. C’est aux instances de subventionner et redistribuer l’argent obtenu avec le football masculin », suggère Antoine Feuillet. Suzanne Wrack propose plutôt de « baisser le montant des droits masculins pour réduire l’écart avec la coupe féminine ».
« Il y a un équilibre à trouver entre maximiser les revenus ou l’exposition. Aujourd’hui, dans les grands compétitions, la FIFA aurait plus intérêt à fidéliser l’audience et créer un fort intérêt avant d’envisager une augmentation des droits. En voulant à tout prix maximiser son revenu, la fédération risque de réduire l’intérêt des diffuseurs », conclut Antoine Feuillet.
L’UEFA, par exemple, a fait le choix de diffuser en clair, sur Youtube, tous les matchs de Champions’ League féminine : une manière de prioriser, à court terme, l’exposition des joueuses et de leur jeu aux rentrées d’argent.
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