Pour 2,5 milliards de dollars sur 10 ans, Apple a décidé de racheter les droits de la Major League Soccer (MLS, ligue de football aux Etats-Unis) pour en devenir le diffuseur exclusif dans le monde entier. Pour le même montant annuel, Amazon a obtenu les droits de 8 matchs de la Ligue 1 française de football (2021-2024). Et la liste ne s’arrête pas là : la bataille fait même rage autour des droits du cricket en Inde ! Ces dernières années, les GAFAM n’ont cessé d’acquérir des droits sportifs, considérés comme des aimants à futurs clients.
Un intérêt commercial avant d’être sportif
Valorisés à plusieurs centaines de milliards de dollars, ces cinq géants de la tech aux poches profondes voient dans le rachat des droits télés du sport une opportunité unique : « capter une clientèle la plus large possible », explique Jean-Pascal Gayant, économiste du sport.
L’un d’eux est en avance : Amazon. Sous la direction de Jeff Bezos, le géant de la tech n’a cessé d’investir ces dernières années, en particulier dans le football, quitte, grâce à ses moyens bien supérieurs, à concurrencer les diffuseurs “traditionnels” : les chaînes du câble (ESPN, Sky Sports, Canal +…).
Ces dernières années, en plus du championnat français, Amazon a acquis en Italie les droits de diffusion de la meilleure affiche du mercredi pour chaque journée de Ligue des Champions sur la période 2021-2024. Un droit de diffusion qu’il possède en Allemagne depuis 2019 (meilleure affiche du mardi de chaque journée de Ligue des champions (C1) ). Au Royaume-Uni, Amazon Prime diffuse également une vingtaine de rencontres du championnat de football, sur deux journées.
« Ils s’intéressent aux sports où la captation de potentiels clients est la plus importante », commente Jean-Pascal Gayant, professeur d’économie à l’Université du Mans. « Si le bilboquet était le sport n°1, Amazon diffuserait le bilboquet »
Des investissements parfois difficiles à rentabiliser
Les fédérations et ligues qui vendent ces droits sont ravies. Elles voient évidemment d’un bon œil ces nouveaux venus, qui font monter les enchères face aux chaînes de télévision traditionnelles. Mais les fédérations et les ligues devraient se méfier : rentabiliser l’acquisition de droits reste très difficile.
Le scandale Mediapro, du nom de la chaîne espagnole qui avait acheté les droits de la Ligue 1 française avant de jeter rapidement l’éponge, plongeant le foot français dans la crise, a rappelé cette difficulté. Autre exemple : Bein Sport n’existerait plus sans le soutien économique du Qatar.
Et il y a plusieurs années, TPS, Orange ou Free s’étaient positionnés sur le segment de la diffusion sportive, avant de mettre fin à ces accords, faute de revenus suffisants.
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Alors, risquons-nous de voir des GAFAM renoncer après avoir pris une part majoritaire dans la diffusion ? Pour Jean-Pascal Gayant, ce n’est pas imaginable : « Les droits sportifs en direct restent l’un des rares contenus extrêmement valorisés par les consommateurs. Il me semble peu probable que ces immenses entreprises quittent le marché pour des raisons de rentabilité moyenne, car ce n’est pas le sport directement qui les intéresse. ». L’objectif n°1 d’Amazon : créer de la donnée à travers des abonnements.
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Si un consommateur de sport s’abonne à Amazon Prime pour regarder Roland-Garros, il commandera plus régulièrement tous ses produits avec Amazon. Le chercheur poursuit : « Pour Amazon, l’idéal serait que la terre entière soit abonnée à Prime. Ainsi, le groupe aurait une maîtrise complète de l’e-commerce et des données. Amazon veut capter dans chaque pays, sur chaque marché, un maximum de consommateurs et les rendre captifs du système. C’est inquiétant ».
Selon l’universitaire, il existe un risque de surenchère, avec une volonté de fixer la clientèle sans forcément prendre en compte l’événement sportif en tant que tel : « Si les GAFAM se concurrencent et font monter les prix trop haut, les droits cesseront mécaniquement d’être rentables. Pour nous consommateurs, le risque est qu’un jour les GAFAM quittent le marché des droits sportifs si elles estiment que la clientèle est assez nombreuse et captive des différentes plateformes ».