Ah, le style à la française… Ce mélange de chic et de choc que le monde entier nous envie… Cette passion pour la mode nous pousse à acheter chaque année en France pas moins de huit kilos d’habits neufs par personne, soit 2,8 milliards de vêtements en tout ! Ces deux dernières décennies, la production mondiale de textile a doublé alors que les prix ont chuté de 15 %.
Une bonne affaire ? L’ennui, c’est que la qualité est en chute libre et que la mode devient jetable. Plus de 95 % des vêtements achetés en France sont désormais fabriqués ailleurs, souvent dans des pays pratiquant le moins-disant social et écologique. Selon diverses études, l’industrie mondiale du textile représenterait à elle seule entre 4 et 8 % des émissions globales de gaz à effet de serre, beaucoup plus que les 2 % de l’aviation.
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« Produire, c’est polluer »
Le constat est glaçant, mais il faut bien s’habiller ! En choisissant mieux, on doit pouvoir acheter sans culpabiliser. C’est ce que je me suis dit quand j’ai commencé mon enquête dans les allées climatisées d’un centre commercial parisien. Un repérage de terrain pour constater par moi-même ce que les grandes marques proposent face à la crise climatique.
À première vue, rien… Ce n’est qu’une fois l’œil acclimaté à la surabondance de biens et de couleurs que l’on distingue, ici ou là, un rayon « Join Life » ou une collection « upcyclée ». Mais les étiquettes sont peu bavardes et les messages parfois… ambivalents : que penser d’un imperméable en polyester recyclé fabriqué en Chine ou d’un pull en coton bio venu du Bangladesh ?
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Pour deux T-Shirts « Conscious » achetés, le troisième est offert : l’écologie aussi est en promo, alors ? Mes réponses n’étant pas en rayon, les vendeurs, interloqués, me renvoient vers les services de communication de leur marque… qui esquivent tous, sans exception.
C’est donc avec soulagement que j’obtiens la possibilité de parler avec une représentante du collectif d’entrepreneurs En mode climat, qui milite pour une meilleure régulation du secteur. Julia Faure est également cofondatrice d’une marque de vêtements durables (Loom).
Pourtant, quand je lui demande quoi faire pour s’habiller sans culpabiliser elle me répond : « Il faut faire avec ce qu’il y a dans nos placards. » Et c’est déjà bien suffisant puisque « seuls 20 % à 30 % de nos vêtements sont portés régulièrement ».
J’apprends au passage que l’industrie textile a déjà produit assez pour habiller la planète jusqu’en 2100. Pour préserver le climat, elle doit vite diviser son empreinte carbone par trois. « Produire, c’est polluer », insiste l’entrepreneuse. Je crois que j’ai compris le message.
Quel pays, quelle matière première ?
Malgré tout, certains achats restant inévitables, Julia Faure s’est spécialisée dans la fabrication de vêtements durables, c’est-à-dire solides et éco-conçus. Pour repérer ce genre d’habits dans les magasins, deux indices à chercher sur les étiquettes : « D’abord, le pays de fabrication. »
En plus de faire passer au second plan l’aspect social, les grands pays de textile – Chine, Bangladesh, Inde ou Turquie – ont un mix énergétique très carboné. Or 70 % du bilan carbone d’un vêtement est lié à l’énergie utilisée par les machines lors des étapes de fabrication : filature, tricotage ou tissage, ennoblissement (teinture, délavage, etc.) et confection.
Rajoutez 3 % pour le transport par avion ou bateau. Selon l’Union (française) des industries textiles, un kilo de textile produit en Chine génère deux fois plus d’émissions de CO2 qu’un kilo produit en France.
La deuxième information à prendre en compte porte sur la matière première employée, responsable d’environ 30 % du bilan carbone d’un vêtement. Aujourd’hui, 65 % de nos habits sont tissés à partir de fibres synthétiques issues de la pétrochimie (Nylon, élasthanne, acrylique) tandis que la part de matières naturelles ne fait que décroître.
Pourtant, si leur prix est nettement supérieur, leur durabilité aussi, à la fois pour la solidité et le confort. « Quand on enfile un T-shirt en polyester, les odeurs de transpiration et l’inconfort physique que l’on peut ressentir font qu’on arrête rapidement de le porter, illustre Julia Faure. À l’inverse, les pulls en laine ne nécessitent presque pas de lavage, ils éliminent les odeurs naturellement. »
Attention, les matières naturelles ont bien un impact environnemental. Par exemple, 91 % du coton conventionnel est aujourd’hui issu de semences Organisme génétiquement modifié (OGM) et sa culture absorbe 22 % des pesticides mondiaux et 4 % des engrais pour seulement 2,5 % des terres arables. Privilégier les fibres issues de l’agriculture biologique présente donc un réel intérêt pour la préservation de la biodiversité.

Ce que les étiquettes ne nous disent pas
Beaucoup d’autres paramètres techniques, sociaux et environnementaux seraient à prendre en compte, mais ils ne figurent pas sur les étiquettes. « S’y retrouver dans ce secteur très opaque demande une expertise et un temps que vous n’avez pas », prévient Julia Faure. En naviguant sur internet, j’ai tout de même réussi à trouver deux personnes coriaces, Rym Trabelsi et Marguerite Dorangeon.
Depuis 2019, elles évaluent les marques sur la base de 55 critères environnementaux, sociaux et sanitaires. L’application Clear Fashion est le fruit de leur travail, en collaboration avec des organismes certificateurs. Elle permet de visualiser en un coup d’œil le niveau d’engagement de plus de 300 marques – les notes varient de 2 à 97/100. En plus, grâce aux retours utilisateurs, on en sait plus sur la tenue des vêtements dans le temps. De quoi acheter en toute conscience, à défaut d’acheter sans culpabiliser.