Cet article est extrait de notre hors-série consacré à l'amour. À retrouver en kiosque.
Devant le maire, et souvent devant le curé, 393 700 mariages avaient été célébrés en 1970 en France. Un demi-siècle plus tard, en 2019, ce chiffre est tombé à 227 000.
Soit un taux de nuptialité – le rapport entre le nombre de mariages de l’année et la population de l’année – divisé par deux (de 7,8 en 1970 à 3,5 en 2017).
Cette baisse touche la grande majorité des pays européens, elle est particulièrement forte en Italie, en Bulgarie et au Luxembourg. Dans le même temps, en France, le nombre de Pactes civils de solidarité (PACS), initialement créés pour permettre l’union civile des couples de même sexe, est passé de 25 000 en 2002, à 209 000 en 2018.
À ce rythme, d’ici trois à quatre ans, le nombre de PACS annuels pourrait dépasser celui des mariages. Pour la sociologue Florence Maillochon, directrice de recherche au CNRS, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet1, le mariage est de moins en moins recherché par les plus jeunes générations parce que la société a beaucoup évolué, lui faisant perdre son sens initial : « Dans les années 1970, le mariage était la porte d’entrée dans la vie de couple, puis la vie de famille, car la cohabitation avant le mariage n’était pas acceptée. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire pour vivre à deux ou faire des enfants. Dès lors, pourquoi se marier ? ».
Le budget moyen par invité qui augmente
Est-ce à dire que les organisateurs de mariages doivent se hâter de se reconvertir ?
La question fait sourire Stéphane Seban, fondateur, il y a 17 ans, du Salon du mariage : « Ce marché représente entre 3 et 3,5 milliards d’euros par an et nous ne pensons pas qu’il soit voué à disparaître. Au contraire, nous constatons que le budget moyen par invité augmente. Et comme le budget total par mariage reste deux fois moins élevé en France qu’au Royaume-Uni, et quatre fois moins élevé qu’aux États-Unis, cela nous laisse une belle marge de progression. »
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De plus, contrairement à une idée reçue, le nombre d’invités dans les mariages n’a pas baissé.
Car les futurs mariés, plus âgés – 36,4 ans en moyenne pour les femmes et 38,9 pour les hommes – invitent moins de lointains cousins, mais plus d’amis, comme l’explique Florence Maillochon : « Dans les années 1970, un mariage moyen comptait 84 invités, contre 108 aujourd’hui. Idem pour les 5 % de mariages les plus chers : nous sommes passés de 200 invités en moyenne il y a 50 ans à plus de 300 aujourd’hui. »
Le marché du marché eprésente entre 3 et 3,5 milliards d’euros par an et nous ne pensons pas qu’il soit voué à disparaître.
Stéphane Sebon,fondateur du Salon du mariage.
Aux couleurs de Harry Potter
Surtout, l’évolution du sens du mariage, de « passage quasi obligé vers l’âge adulte » à « célébration du couple existant » a généré de nouvelles attentes de la part des mariés, qui souhaitent personnaliser leur cérémonie pour se distinguer des autres tout en répondant à des codes qui varient d’une classe sociale à l’autre.
« Ces injonctions contradictoires, couplées au culte de la réussite, de la réalisation de soi, et au développement des réseaux sociaux, poussent les futurs mariés à dépenser et les entreprises du secteur l’ont bien compris : elles contribuent à formater leurs attentes, aidées en cela par les séries et les films », souligne Florence Maillochon.
« Le mariage d’aujourd’hui est plus qu’un repas suivi d’une soirée dansante », complète Virginie Mention, wedding planner depuis 13 ans et cofondatrice de l’Association des consultants en mariage (Assocem).
« Les futurs mariés d’aujourd’hui veulent tous un mariage à thème avec un fil conducteur, une couleur, des animations et des jeux pour amuser les invités… Ainsi, j’ai déjà eu à organiser un mariage autour du thème de Harry Potter ! Et plus on personnalise chaque petit détail de son mariage, plus le budget grimpe. »
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150 heures de préparation
Dans ces conditions, la maîtrise du budget peut être complexe.
Si le coût moyen d’un mariage en France s’établissait, en 2019, à 12 704 euros, dont la moitié consacrée au traiteur et à la location des lieux où seront reçus les invités, « le budget initial est souvent dépassé en raison des dépenses en décoration », avertit Virginie Mention.
Et il ne faut pas oublier les alliances, le photographe mais aussi les faire-part qui restent « incontournables en dépit des réseaux sociaux », souligne notre wedding planner, tout comme la location d’un véhicule – de luxe, vélos ou attelage de chevaux… – pour embarquer les tout frais mariés à la sortie de la mairie…
Un budget majoritairement assuré par les futurs époux, quitte à faire pour cela un emprunt bancaire – une simple recherche sur Google permet d’ailleurs de constater que de nombreux organismes de prêts proposent des crédits « spécial mariage ».
Le mariage d’aujourd’hui est plus qu’un repas suivi d’une soirée dansante.
Virginie Mention,Wedding planner et cofondatrice de l’Association des consultants en mariage (Assocem).
« Les parents ne financent plus la cérémonie de leurs enfants, confirme Virginie Mention. En revanche, ils paient la robe ou le costume. »
Parce que les parents ne règlent plus l’addition, les mères et belles-mères, autrefois très investies dans la préparation de cette grande fête, sont plus rarement sollicitées. La pression et la charge mentale liées à l’organisation d’un tel événement, souvent une première, repose donc beaucoup sur les futures mariées – ou sur un wedding planner, pour les couples qui en ont la possibilité financière.
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Ceux qui font appel à l’entreprise de Virginie Mention, Ceremonize, disposent d’un budget moyen de 30 000 à 35 000 euros. S’ils choisissent une organisation clés en main, qui inclut toute l’organisation de la cérémonie, soit cent cinquante heures de travail environ, et la présence sur place le jour J d’un wedding planner pour gérer tous les imprévus, il leur en coûtera au minimum 3 500 euros.
Le prix à payer pour vraiment profiter du « plus beau jour de leur vie ».
Il était une fois le féminisme…
Mais le coût d’un mariage ne se limite pas à ce fameux jour J.
Depuis quelques années, Florence Maillochon a noté le développement d’un marché de la demande en mariage, avec des agences spécialisées dans cette activité, pour les touristes étrangers mais aussi pour les futurs mariés français.
Alors que les couples des années 1980 et 1990 prenaient ensemble la décision de s’engager devant le ou la maire, les fiancés des années 2010 et 2020 semblent beaucoup plus « traditionnels » : ainsi, selon un sondage IFOP, 40 % des personnes interrogées considèrent que, dans un mariage hétéro, c’est à l’homme de « faire sa demande »2.
Laquelle, comme dans les films américains, devra se dérouler selon un cérémonial élaboré, dans un cadre choisi, avec restaurant ou soirée dans un lieu d’exception. Encore une source de dépenses.
Une « machine à cash »
Mais aussi de déception, comme le souligne la sociologue : « Je suis frappée par les témoignages de jeunes femmes qui se désespèrent que leur amoureux ne se déclare pas. Elles sont dans une forme de passivité qui tranche avec l’époque. » Autre marché en pleine santé – hors Covid : celui des enterrements de vie de garçon et de jeune fille.
« C’est une machine à cash », résume la sociologue. Avec des activités très genrées, là encore en apparente contradiction avec l’époque : saut en parachute pour les garçons et journée en institut de beauté pour les filles – au prix de quelques centaines d’euros, au minimum, pour les amis des couples.
Certaines villes bénéficient de ce nouveau passage obligé avant le mariage. En Europe, Prague ou Barcelone sont ainsi devenues des destinations très prisées pour « enterrer » les vies de célibataires.

Dernière tendance, signalée par Virginie Mention, la « session d’engagement, une séance photo qui permet au couple de faire connaissance avec le photographe du mariage, plusieurs mois avant la fête, en faisant une série de clichés, à leur domicile ou dans un lieu de leur choix. » Photos qui seront ensuite partagées sur les réseaux sociaux, évidemment.
Vers un mariage « durable » ?
Tout comme les photos du voyage de noces. Car une fois la journée de mariage terminée, les dépenses continuent : si les listes de couverts en argent et autres plats en faïence sont tombées en désuétude – d’autant plus que les mariés vivent déjà ensemble depuis des années avant de se dire « oui » –, le voyage de noces ou la lune de miel font encore plus qu’autrefois partie du « package », et sont financés pour tout ou partie par les invités.
Certaines villes ou régions du monde vivent d’ailleurs de ce marché parallèle au mariage, comme Venise, les Maldives ou l’île Maurice, avec un montant moyen qui tourne autour de 6 000 euros par couple, selon nos experts.
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Et demain ? La crise sanitaire mondiale a évidemment été un coup très dur pour le marché du mariage – mais aussi pour les futurs mariés, dont certains ont dû reporter une, deux, voire trois fois une fête souvent préparée plus d’un an à l’avance.
Sans surprise, l’année 2020 a marqué une chute historique du nombre d’unions : seulement 148 000 ont été célébrés en l’an un de l’ère Covid. Soit un recul de plus de 34 % par rapport à 2019.
Difficile de savoir si et quand le nombre de mariages reviendra à son niveau d’avant la crise sanitaire.
Le Covid-19, cet inconnu
Florence Maillochon en doute : « Nous sommes arrivés à la fin d’un cycle commencé au début des années 2000. Le nombre d’invités ne va pas continuer à grimper sans fin, prédit la sociologue, et les mariages hyper-personnalisés, où le choix d’une couleur de décoration prend des heures, vont peut-être finir par devenir ringards. »
Il est possible également, glisse la sociologue, que « tous les mariages annulés depuis deux ans à cause du Covid poussent les couples ayant un projet de mariage à hésiter avant de s’engager dans l’organisation d’une fête coûteuse un an à l’avance. »
Assez pour envisager un mariage plus simple, moins cher, plus écolo et plus durable ? Car, quel que soit le coût de cette fête, 45 % d’entre eux se terminent par un divorce !
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1. La Passion du mariage, Florence Maillochon, PUF, 2016.
2. « Pourquoi les Françaises ne font pas le premier pas ? », IFOP, 2021.