Dans les championnats de football européen, le racisme reste un phénomène endémique. On ne compte plus le nombre de matchs où les joueurs n’ayant pas la peau tout à fait blanche sont victimes d’injures racistes ou de jets de bananes. Les harcèlements racistes, au stade ou ailleurs, sont intolérables, mais dans les enceintes sportives, ils visent aussi à déstabiliser certains joueurs afin qu’ils commettent des fautes ou que leurs jeux perdent en efficacité. Cette « stratégie » s’avère hélas payante. Les manifestations de racisme ont effectivement un impact sur les performances sportives des joueurs qui les subissent.
La pandémie de Covid-19 a constitué une « expérience naturelle » permettant d’aboutir à cette conclusion dans le cas de l’Italie, pays où les manifestations racistes dans les stades sont particulièrement fréquentes.
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Le 9 mars 2020, le championnat de la Série A italienne – l’équivalent de la Ligue 1 française – a été interrompu afin d’empêcher la propagation du virus et a repris le 20 juin avec des matchs joués sans aucun spectateur. Dans un tel environnement, les joueurs noirs ne subissent évidemment aucune manifestation de racisme. Une équipe d’économistes italiens a eu l’idée de comparer les performances des joueurs noirs en l’absence de public avec celles qu’ils affichaient avant mars 2020 en présence de public1.
L’étude s’est appuyée sur une riche base de données qui répertorie toutes les actions des joueurs : buts marqués, passes aux partenaires, passes décisives, tacles, dribbles, fautes diverses, etc. Toutes ces données ont ensuite été compilées par un algorithme très utilisé dans les jeux de football virtuel et qui attribue, entre autres, une note (comprise entre 0 et 10) synthétisant les performances d’un joueur lors d’un match. Par ce procédé, les auteurs trouvent que la note moyenne d’un joueur d’origine africaine atteint respectivement 6.012 quand les stades sont vides et 5.859 quand il y a des spectateurs.

En d’autres termes, les footballeurs d’origine africaine jouent en moyenne (un peu) mieux quand il n’y a pas de spectateurs. En écartant, par des tests statistiques adéquats, un grand nombre de causes possibles comme la peur des grandes foules ou une moindre préparation physique, les auteurs montrent que ce résultat est principalement dû à l’absence de manifestations racistes dans cet environnement.
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Journalistes biaisés
Le gain, égal à 0.153, n’est pas quantitativement considérable, mais le résultat important est que tous les autres joueurs, quelles que soient leurs origines, n’améliorent pas leurs performances, voire les diminuent quand les stades sont vides. Les auteurs constatent aussi que les scores des joueurs africains dans des stades vides de tout public s’améliorent d’autant plus que leur équipe fait partie de celles ayant subi le plus « d’incidents » racistes avant le confinement. Ce qui confirme que la « productivité » d’un joueur dépend de manière inverse de l’intensité du racisme à son égard.
Une étude récente réalisée par Francesco Principe et Jan van Ours2, laisse aussi penser que les journalistes sportifs italiens ne seraient pas complètement objectifs dans leurs jugements sur la qualité du jeu des footballeurs noirs. Les trois plus grands journaux sportifs italiens ont l’habitude d’attribuer des notes aux joueurs, allant encore de 0 à 10, selon leurs propres critères d’analyse pour chaque journée de championnat.
Francesco Principe et Jan van Ours ont rassemblé ces notes sur une dizaine d’années (entre 2009 et 2018) et ils ont constaté que la note moyenne d’un joueur noir était sensiblement inférieure à celle d’un joueur non noir dans les trois journaux. Ils ont ensuite mené une analyse économétrique pour voir si cet écart pouvait s’expliquer par des critères objectifs analogues à ceux utilisés par l’algorithme évoqué plus haut.
Ils trouvent que ce n’est pas le cas : pour les mêmes performances sportives, un joueur noir a tendance à être moins bien noté qu’un joueur non noir. Il y a donc un biais lié à la race dans les jugements de certains journalistes sportifs italiens. Concernant ces derniers, des stéréotypes plus ou moins conscients les amènent vraisemblablement à attendre plus des joueurs noirs que des joueurs non noirs.
Pour aller plus loin
1. “When the Stadium Goes Si lent: How Crowds Affect the Performance of Discriminated Groups”, Mauro Caselli, Paolo Falco et Gianpiero Mattera, VOX CEPR Policy Portal 22 juillet 2021.
2. “Racial Bias in Newspaper Ratings of Professional Football Players”, European Economic Review n° 141, 2022, pp.1-16.