« Je viens d’une famille nombreuse pour laquelle un sou était un sou, certains avaient connu la guerre. Mon père tenait une épicerie orientale, il travaillait beaucoup. On recevait aussi des aides de l’État. Voilà mon premier contact avec l’économie : l’État prend les cotisations des uns et reversent à ceux qui en ont besoin.
C’est bien et d’ailleurs, c’est vrai pour tout. Je me souviens d’un dicton qu’on nous apprenait à la maison : pour faire fructifier ton argent, il faut bien qu’à un moment, tu le sortes de ta poche !
Alors pour moi, l’économie, c’est d’abord gérer l’argent. La grande économie, c’est peut-être l’épargne, les flux, les reflux, la Bourse et tout, mais pour moi, c’est la trésorerie. J’ai vite senti que la clé de la vie quotidienne, c’est de savoir se faire un budget. Mettre de côté pour pouvoir tenir, parce qu’il y a toujours des mauvais moments. Surtout dans ma partie.

J’ai passé un bac de sciences économiques puis, à la fac, j’ai étudié les statistiques et l’économétrie, mais ça n’a pas duré longtemps, je préférais de loin les sciences sociales. J’ai vite choisi la carrière artistique. Et là, j’ai coiffé plusieurs casquettes : acteur, metteur en scène. Un peu entrepreneur, aussi.
Comme je voulais monter une compagnie théâtrale, l’ai créé une association loi 1901 pour pouvoir recevoir des subventions, capter des mécénats. Et on a produit des spectacles pour des scènes nationales ou des théâtres municipaux. Donc, à ma petite échelle, j’ai amorcé une sorte de pompe économique.
À côté du théâtre, le cinéma, c’est beaucoup plus industrialisé, structuré. J’ai un agent qui s’occupe de mes cachets et du suivi administratif, des fiches de paye, des congés payés, des frais d’hébergement et de transport quand je tourne loin.
Acteur de cinéma et de télé, ce n’est pas comme le théâtre. On est un peu plus mercenaire. Au coup par coup, on choisit de faire de l’argent ou pas. Pour un rôle formidable, je peux accepter un cachet un peu bas. Si c’est un rôle sans trop d’intérêt, mon agent se bat pour que je touche le plus possible. »
508 heures sur 10 mois
« Pendant un an et demi, c’était la pandémie, les tournages étaient en berne et j’ai très peu travaillé. J’ai été soutenu par l’état, oui, mais vraiment faiblement. Heureusement, j’avais des économies et des droits de diffusion, pour faire la soudure. Je bénéficie du régime des intermittents du spectacle [250 000 affiliés en France, NDLR], mais c’est très dur, très exigeant, le régime intermittent, quand vous faites du cinéma : pour en bénéficier, il faut travailler 508 heures sur 10 mois.
Un cachet d’acteur, c’est en général huit heures par jour. Un second rôle au cinéma, par exemple Georges Mandel dans De Gaulle, c’est entre 3 et 10 jours. Vous voyez combien de films il faut faire pour atteindre ce seuil !
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Quand je ne joue pas, je ne touche pas les Assedic tout de suite. Comme mes cachets sont plutôt élevés, il y a une carence, une franchise de salaire. C’est équitable, je le reconnais mais, du coup, j’ai intérêt à prévoir.
En plus, le système est sous pression, car beaucoup de gens du théâtre montent des structures en province, ouvrent des comptes à l’Urssaf et à Pôle Emploi, ils fabriquent des spectacles bradés pour des municipalités. Et avec leurs cachets, ils rentrent dans le système et pèsent dessus.
Ça craque de partout. Au bout du compte, tout le monde est tiré vers le bas. Les gouvernements n’y touchent pas, par peur de la réaction des artistes, mais ça donne une mauvaise image de la profession. Le problème de fond, avec ce statut, c’est qu’il crée des vocations d’intermittents plus que des vocations d’artistes. »