Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d'achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
Les Français ont beau déclarer leur soutien aux commerçants locaux, dans les faits, ils continuent d’effectuer le plus gros de leurs dépenses dans les grandes enseignes : 70 % des achats alimentaires se font dans les points de vente de la grande distribution, selon Fédération du commerce et de la distribution.
L’argument du prix bas reste imbattable aux yeux de la plupart des consommateurs, très attentifs à leur budget.
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Prenons l’exemple des couches-culottes jetables. Leur prix unitaire varie entre 15 et 40 centimes d’euros et les promotions sont habituelles dans ce rayon. Pour un distributeur, proposer des prix intéressants sur ces couches est extrêmement important : il s’agit d’un achat contraint, indispensable, qui pèse lourd dans les dépenses des jeunes parents, pour lequel l’« élasticité prix » est donc très élevée.
Les distributeurs s’en servent comme produit d’appel, c’est-à-dire capable de convaincre un acheteur de venir dans son magasin (et d’y effectuer le reste de ses courses !) plutôt que chez un concurrent.
Cela pousse même les enseignes à rogner leurs marges : « Ils rabotent leur marge à 20 % sur les couches, contre 25 % en moyenne », précise Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution.
Marge brute
Différence entre le chiffre d’affaires (montant des ventes au cours d’une période donnée) et le coût de revient des biens ou prestations vendus. C’est un élément clé qui permet de savoir si l’entreprise est bénéficiaire ou pas.
Depuis 10 ans, les prix de la grande distribution sont orientés à la baisse.
« La consommation ne progresse plus, ou très peu – de seulement 0,5 % par an contre 2 à 3 % auparavant – et dans le même temps, l’offre commerciale augmente (de plus en plus de magasins ouverts de plus en plus longtemps), d’où cette agressivité sur les prix, qui demeure le seul levier pour garantir une progression des ventes », explique Olivier Dauvers.
Dès lors, les distributeurs jouent sur deux leviers : améliorer les conditions d’achat auprès de ses fournisseurs et réduire les coûts d’exploitation.
Gagner par le volume
Les négociations ont justement lieu en ce début d’année. Avant la fin du mois de février, des accords de distribution doivent être négociés avec les industriels.
Un industriel consentira une remise au distributeur qui a la dynamique de chiffre d’affaires la plus forte. En ce moment, il s’agit de Leclerc.
Philippe Goetzmann,Consultant et ancien directeur de magasins.
Dans cette bataille des prix, la première arme de la grande distribution, c’est le volume de ventes. Elles achètent les yaourts par wagons entiers, les bouteilles de sodas par centaines de palettes. « Pour négocier, on joue sur la volumétrie, le nombre de magasins dans lequel on va distribuer le produit, la place qu’on lui accordera en linéaire, les promotions, la présence dans les catalogues, les données que l’on transmettra au sujet du comportement d’achat », énumère une négociatrice auprès de marques nationales chez Carrefour.

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Outre le volume de ventes lui-même, la dynamique de croissance des ventes est également un argument essentiel à faire valoir pour un distributeur auprès de ses fournisseurs. « Un industriel consentira une remise au distributeur qui a la dynamique de chiffre d’affaires la plus forte. En ce moment, il s’agit de Leclerc », précise Philippe Goetzmann, consultant et ancien directeur de magasins. Selon lui, les achats représentent 75 à 80 % des coûts d’un distributeur.
Marge arrière
Ristourne consentie par un fournisseur à son distributeur, reversée en fin d’année en fonction du volume de ventes. Elles sont consenties en échange de contres-parties comme : une progression des ventes du produit, une meilleure visibilité en point de vente, une collecte de recyclage…
Érosion du CDI
Outre les conditions d’achat, l’autre levier de prix bas consiste à réduire le coût d’exploitation. Pour cela, une enseigne doit trouver le juste équilibre entre ses dépenses de loyer et d’équipement du point de vente, sa consommation énergétique (pour faire tourner les congélateurs, par exemple), d’entretien et ses dépenses de personnel.
« Le personnel, c’est à peu près la moitié des coûts d’exploitation d’un magasin », affirme Olivier Dauvers. Les enseignes font donc tout pour réduire le nombre de salariés sur les points de vente, d’où le développement des caisses automatiques, par exemple.
D’ailleurs, depuis quelques années, la grande distribution voit le nombre de ses salariés en CDI équivalent temps plein diminuer, des plans sociaux ont été appliqués, les contrats proposés sont plus précaires. Cette gestion de la masse salariale est aussi la rançon des prix bas. Et côté rémunération ? « On négocie les grilles de salaires en se fondant sur des éléments objectifs comme l’inflation. On insiste sur la valorisation du travail par rapport aux résultats trimestriels de l’entreprise », décrit Pierre Bareille, délégué F.O. au siège social de Carrefour.
Il négocie aussi les autres avantages (mutuelle, prévoyance, intéressement…). Les représentants du personnel, comme la direction, tiennent compte du contexte macroéconomique, des performances du secteur de la distribution et leurs propres performances économiques au moment des Négociations annuelles obligatoires (NAO).
Sauver les fournisseurs
Or actuellement, le contexte économique demeure tendu. « Toute la chaîne alimentaire est sous pression depuis 10 ans. Les acteurs (producteurs, industriels, distributeurs) se plaignent de moins bien vivre de leur activité. Le niveau de rentabilité des grandes enseignes est inférieur aujourd’hui par rapport à 2012, les résultats ont parfois été réduits jusqu’à 80 % », souligne Philippe Goetzmann. À cela s’ajoute une hausse des coûts de nombreuses matières premières, de l’énergie, du fret, une pénurie d’emballages.
Bien que la priorité des distributeurs soit de se démarquer de la concurrence par les prix, là, la situation est telle qu’ils pourraient bien augmenter leurs prix de vente en 2022 afin de soulager leurs fournisseurs et leurs marges. Ce qui ne va pas améliorer le porte-monnaie du consommateur. L’Insee prévoit un recul de 0,5 % du pouvoir d’achat des Français sur les six premiers mois.