L’essentiel
- Victime de l’inflation et de la remontée des taux directeurs, le marché immobilier marque le pas et les prix baissent même dans plusieurs grandes villes
- Cette baisse, en rupture avec la dernière décennie, modifie les anticipations des agents économiques
- Et la "simple" modification des anticipations des acheteurs et des vendeurs, pourrait avoir, à son tour, des effets sur le marché
_____
Primo-accédante en septembre 2019 d’un appartement de 40 m² situé à Sartrouville (Yvelines), Joséphine pensait avoir réuni tous les éléments afin de réaliser une plus-value à la revente : immeuble récent datant de 2017, quartier dynamique en cours de réaménagement avec ouverture de nombreux commerces de proximité, diagnostic énergétique quasi optimal, place de parking incluse…
Célibataire à l’époque, cette sage-femme de 31 ans emménage avec son compagnon à Levallois-Perret (92) trois ans plus tard. Ayant rapidement écarté l’idée de mettre son bien en location, elle se rapproche d’une agence immobilière pour le vendre. Malheureusement pour elle, le timing est tout sauf parfait. « J’avais payé mon appartement 171 000 euros (incluant 8 500 euros de frais d’agence) et les estimations indiquaient une valeur réévaluée de 189 000 euros trois ans plus tard. Finalement, je n’ai réussi à le revendre que 169 000 euros net vendeur… »
Soit une perte de 2 500 euros lors de la revente et un prix de cession 20 000 euros en dessous de l’estimation des experts. Mais alors pourquoi s’être précipitée pour vendre ? « En plus du discours ambiant alarmiste, relayé par les médias, les professionnels m’alertaient sur l’augmentation des taux d’intérêt à venir et sur les conditions d’octroi des prêts plus serrées, ce qui ne me laissait pas entrevoir de plus-value, aussi infime soit-elle, avant plusieurs mois voire plusieurs années… »
À lire aussi > L’immobilier, un placement sans risque ? Faux !
Résignée, Joséphine consent à plusieurs baisses de prix successives, jusqu’à cette offre de 165 000 euros qu’elle réussit à négocier pour atteindre 169 000 euros. L’acquéreur a un dossier solide (revenus élevés et fort apport personnel), c’est déjà ça de gagné ! Pour le reste, Joséphine a agi comme de nombreux Français, avec fatalisme mais en se disant que cela aurait pu être pire. Que la casse a été limitée. Quitte à alimenter un processus autoréalisateur de détérioration d’un marché auquel plus grand monde ne semble faire confiance.
À lire aussi > Des siècles de bulles spéculatives et ce n’est pas fini
« L’immobilier, ça n’est pas la Bourse ! »
Le choix de Joséphine résulte-t-il d’un processus cognitif et émotionnel suggéré par le contexte socio-économique, ou bien découle-t-il d’une réflexion purement pragmatique ?
S’il est difficile de répondre précisément à cette question, la sinistrose actuelle nimbant le marché immobilier a certainement été un élément déclencheur pour beaucoup de particuliers. C’est ce que l’on appelle le « phénomène du train » : tout le monde agit par mimétisme, fait la même chose au même moment, car l’on a entendu que, la rumeur affirme que… « Le facteur psychologique est déterminant dans l’immobilier, affirme Alain Béchade, docteur en droit et directeur de l’ICH (Institut de droit et d’économie) Économie immobilière. C’est à force d’affirmer qu’il y a de la rareté que nous créons et entretenons nous-mêmes le phénomène ».
De la même façon, la chute des prix et l’atonie du marché répondent-elles à la même logique ? Michaël Mangot, économiste, essayiste et conférencier, porte un regard différent sur les événements actuels. Selon lui, l’immobilier est à distinguer des autres secteurs de consommation. « L’immobilier, ça n’est pas la bourse ! Les frais de transactions sont très élevés, vous ne vendez pas sur un coup de tête car vous avez entendu que votre beau-frère venait de le faire », affirme-t-il.
Rien à voir, donc, avec les files de voitures devant les stations-service, dont la seule conséquence pour les automobilistes est de perdre une heure ou deux au cours de leur journée ; ou même des rayons dévalisés dans les supermarchés… Les transactions immobilières sont coûteuses, engageantes d’un point de vue patrimonial ; autant de facteurs qui excluraient de facto les processus cognitifs et émotionnels. « Les biais psychologiques en immobilier n’ont pas trait au mimétisme et aux comportements moutonniers », tranche Michaël Mangot.
À lire aussi > Frais d’agence, de notaire et bancaires… Combien ça coûte (réellement) d’acheter un appartement ?
Des pertes synonymes d’échecs
Ce qui caractériserait justement les marchés immobiliers, selon l’économiste, serait plutôt une grande inertie, avec des particuliers qui tarderaient volontairement, pour des raisons conscientes et subconscientes, à réagir aux évolutions des prix. « Le principal biais observable est celui du statut quo, de l’inertie, complète Michaël Mangot. L’exemple opposé est celui de la Bourse, où les investisseurs ont tendance à suivre de façon erratique les mouvements de marché. »
À lire aussi > FTX. Crypto-krach, une crise financière (presque) comme les autres
Ainsi, même s’ils constatent une dégradation du marché et une baisse des prix, beaucoup de propriétaires désireux de vendre leur bien auraient tendance à différer ladite vente, surtout s’ils ont déjà à déplorer une perte par rapport à leur prix d’achat.
Le contre-exemple de celui de Joséphine. Cet attentisme serait la conséquence d’un biais cognitif à la fois conscient et inconscient : celui de ne pas vouloir à admettre une perte, aussi minime soit-elle, car cela est synonyme d’échec par rapport à un investissement passé.
L’échec portant directement atteinte, au bout de la chaîne, à l’instinct de survie de l’être humain. « Une perte est plus douloureuse qu’un gain n’est réjouissant », évalue Michaël Mangot. Il faudrait alors que la situation perdure, que les prix dégringolent de façon significative et surtout pérenne dans le temps, pour que la capitulation ait lieu et que les propriétaires-vendeurs fassent définitivement le deuil d’une remontée du marché.
À lire aussi > Comment la psychologie dissèque nos faux pas économiques
« S’il y a trop d’attentisme, le stock de biens à vendre va continuer de croître, les prix vont décrocher et les acheteurs se retrouver en position de force, anticipe Michaël Mangot. Le temps est l’allié de l’acheteur. »
Et si cette baisse des prix n’était que le rééquilibrage d’une tendance inflationniste à l’œuvre sur le marché depuis plusieurs années ? « En France, la finance a fait grimper la valeur des biens immobiliers en faisant fi de leur réelle valeur d’utilité, uniquement par spéculation, éclaire Alain Béchade. La baisse des conditions de financement que l’on a pu observer, avec des taux exceptionnellement bas, faisait que les prix ne reflétaient pas la réalité du marché, et la remontée des taux peut paradoxalement apparaître comme un phénomène normal de réajustement. » Ou dit autrement, les taux faibles et l’accès facilité aux crédits pour les emprunteurs durant la dernière décennie ont fait gonfler une bulle immobilière qui ne fait que logiquement que désenfler avec la fin de l’argent gratuit.
L’amorce d’un nouveau cycle semble donc être à l’œuvre. Un cycle soumis, comme beaucoup d’autres, aux comportements individuels des acteurs du marché…
À lire aussi > La hausse des taux directeurs, qui y gagne, qui y perd ?