Economie
L'abonnement, une nouvelle arme de fidélisation pour la grande distribution
Après Casino en 2019 et Monoprix à l’été 2021, Carrefour a lancé son offre d’abonnement à la rentrée. Encore en test dans les 21 enseignes de la région rouennaise, la formule pourrait bousculer le monde de la grande distribution.
Manon Touchard
© Pascal SITTLER/REA
Le principe est simple, moyennant la somme de 5,99 euros par mois, le consommateur abonné peut bénéficier d’une remise de 15 % sur 7 000 références des marques distributeurs Carrefour.
L’enjeu est de taille en période post-crise sanitaire durant laquelle de nombreuses entreprises à l’arrêt ont fait faillite. Selon un papier paru en juin 2020 sur Ziqy, les revenus des entreprises commercialisant des abonnements sont globalement restés stables, et ont même augmenté pour 20 % d’entre elles.
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Marque distributeur
Une marque distributeur est une marque créée et détenue par une enseigne de grande distribution. Les produits sont fabriqués par des industriels indépendants, ou plus rarement par des filiales, sur demande de l'enseigne. La part des marques distributeurs dans le chiffre d'affaires des grandes surfaces s'élève à environ 40 %.
Sortir de la guerre des prix
« Les cartes de fidélité classiques ne sont plus efficaces comme dans le passé », explique Yolande Piris, professeure et chercheuse en sciences de gestion à l’Université Bretagne-Sud.
D’autant plus que la concurrence est rude. Les Français fréquentent en moyenne 4 enseignes différentes pour réaliser leurs courses alimentaires et « environ 80 % des Français ont une carte de fidélité chez deux enseignes de grande distribution », souligne David Vidal, associé et gérant France chez Simon-Kucher & Partners, cabinet de conseil en stratégies de croissance.
Face à la dispersion des achats de la part des consommateurs, l’abonnement permet à l’enseigne une rentrée de cash régulière et anticipée. « Le principe est de verrouiller ce que fait le consommateur, on est dans une logique d’enfermement », estime Yolande Piris.
L’abonnement offre aussi l’opportunité de capitaliser sur la confiance et la fidélité entre les consommateurs et les enseignes pour sortir de la guerre des prix qui grignote les marges de tout le secteur. « Si les enseignes arrivent à rentrer dans une logique de pricing client plutôt que de pricing produit, elles sortent de la guerre des prix », explique David Vidal.
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Pricing
Le pricing désigne l'ensemble des reflexions et des actions relatives à la stratégie de fixation des prix d'un bien ou d'un service. La stratégie de pricing peut viser la maximisation des volumes de ventes ou celle des marges générées.
Autrement dit, si Carrefour tourne sa politique de prix plutôt vers les besoins et les envies du client, elle sort de la logique de fixation des prix par la concurrence (qui pousse à toujours plus de baisse).
De son côté, le consommateur sort aussi de cette logique du toujours moins cher puisqu’il choisit son supermarché de référence, non plus uniquement sur les prix affichés, mais sur son statut au sein de l’enseigne.
Le casse-tête de la fidélisation
Pour Yolande Piris, « avec ce programme de fidélisation, Carrefour ne joue que sur l’aspect comportemental du marketing, aucun travail n’est réalisé ni sur l’engagement ni sur la satisfaction ».
En d’autres termes, Carrefour semble ne miser que sur une incitation à un comportement répété des consommateurs, plutôt que sur l’image de marque qu’elle dégage. Les raisons du retour de certains consommateurs seront uniquement de l’ordre monétaire - ils souhaiteront bénéficier des réductions, qu’ils apprécient ou non l’expérience d’achat ou les produits.
« Pourtant, les études montrent que ce sont les variables plus qualitatives du marketing attitudinal qui permettent une plus forte fidélisation des clients », affirme la chercheuse.
La fidélité comportementale est plus fragile que la fidélité attitudinale
La fidélité comportementale joue sur les biais du cerveau humain dans le but d'améliorer l'engagement des clients. Elle résulte essentiellement de l'habitude du consommateur qui est souvent défini en fonction de la géolocalisation du lieu d'achat et du prix des biens ou des services vendus. La fidélité comportementale est souvent la conséquence d'une certaine inertie des comportements du consomateur.
La fidélité attitudinale repose quant à elle sur une réelle préférence ressentie plus ou moins consciemment du consommateur pour la marque, son expérience ou les produits et services consommés. C'est une fidélité construite grâce à la qualité des produits et de la relation commerciale. Le client reste fidèle parce qu'il se sent satisfait.
La fidélité comportementale est donc souvent considérée comme plus fragile que la fidélité attitudinale.
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Du fait du comportement opportuniste prononcé des consommateurs qui migrent rapidement dès qu’une meilleure offre se présente chez les concurrents, il est difficile pour la grande distribution de jouer à la fois sur les stratégies comportementales et sur les stratégies attitudinales, basées sur préférence ressentie pour la marque ou les produits.
Face au casse-tête de la fidélisation, de nombreux responsables se sont d’ailleurs succédé à la tête de Carrefour ces dernières années. Cette fois-ci, « il n’est pas exclu que Carrefour lance cette offre pour renforcer son image de supermarché à prix bas face à des concurrents comme Leclerc et ne s’enferme finalement pas uniquement dans une logique de marketing comportemental », indique Yolande Piris.
S’abonner pour acheter
Le système a déjà fait ses preuves aux États-Unis mais aussi en France avec l’abonnement Amazon Prime. « Le succès d’Amazon Prime reste limité aux seuls les Parisiens et certains Franciliens qui ont accès à l’offre, on ne sait pas comment le reste des Français pourrait réagir à une telle offre », rappelle David Vidal.
« Culturellement les Français sont plutôt enclins à s’abonner pour un portefeuille de biens ou de services alors que Carrefour propose un abonnement… pour acheter », déclare la chercheuse Yolande Piris. « Si cette formule d’abonnement était un succès facile, la technique aurait déjà été largement répliquée », poursuit David Vidal du cabinet de conseil Simon-Kucher & Partners.
Dans ce cas particulier, le consommateur doit calculer lui-même le manque à gagner de l’abonnement en fonction de ses habitudes de consommation. Il ne connaît pas précisément a priori le montant du gain… ou de la perte.
Les familles nombreuses semblent être celles qui ont le plus à gagner de la formule. « Je pense que l’enseigne compte aussi sur les ménages plus aisés qui prendront l’abonnement comme ils en ont tant d’autres pour rentabiliser l’opération », estime Yolande Piris.
Carrefour mise sur un volume d’abonnements conséquent pour que les bénéfices de ceux qui en profiteront le plus et les pertes de ceux qui paieront l’abonnement sans l’utiliser s’équilibrent et restent profitables à l’enseigne.
Carrefour lance son offre en plein retour de l’inflation. L’abonnement pourrait alors jouer comme une sécurité supplémentaire pour le premier poste de dépenses des foyers. « Les consommateurs adoptent de plus en plus des habitudes de confort depuis les épisodes de confinement pendant lesquels les déplacements au supermarché étaient pénibles et dangereux », ajoute David Vidal.
Le prochain défi des enseignes de grande distribution réside dans la différenciation des offres d’abonnement pour toucher un public plus large. « Au début c’est intéressant d’avoir un discours simple pour le consommateur mais à moyen terme il faut une offre qui ne joue pas seulement sur les prix mais sur les services. On pourrait par exemple imaginer une offre premium qui donne accès à une caisse rapide en plus des réductions », propose David Vidal.
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