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L’audiovisuel public a-t-il encore une raison d’être ?
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L’audiovisuel public a-t-il encore une raison d’être ?
Sélection abonnésLongtemps privilégié, l’audiovisuel public se retrouve aujourd’hui en concurrence directe avec tous les contenus que nous « consommons » sur les plateformes de streaming, sur nos smartphones ou nos écrans. N’est-il pas temps pour lui de se réinventer ?
Stéphanie Bascou
© Thierry STEFANOPOULOS/REA
« Je trouve que le président ouvre un débat intéressant. Mais il faut aller au bout. Et se demander maintenant : quelles sont les missions de l’audiovisuel public ? Quel est son périmètre ? », « Qu’est l’audiovisuel public aujourd’hui ? ». Nous sommes le 8 mars 2022. 24 heures avant ces mots de Mathieu Gallet, l’ancien président de Radio France prononcés sur Public Sénat, Emmanuel Macron annonçait qu’en cas de réélection, il supprimerait au nom du pouvoir d’achat, la redevance télé et faisait de fait planer la menace d’une privatisation.
Cette contribution particulière, que les Français payent jusqu’à présent avec la taxe d’habitation, apporte plus des trois quarts des budgets des chaînes de France Télévisions, de Radio France, d’Arte France, de l’INA, de France Médias Monde (RFI, France 24) et de TV5 Monde. Adossés à la taxe d’habitation qui sera entièrement supprimée en 2023, des projets de réforme de la contribution rodent depuis plusieurs années.
« Je trouve que le président ouvre un débat intéressant. Mais il faut aller au bout. Et se demander maintenant : quelles sont les missions de l’audiovisuel public ? Quel est son périmètre ? », « Qu’est l’audiovisuel public aujourd’hui ? ». Nous sommes le 8 mars 2022. 24 heures avant ces mots de Mathieu Gallet, l’ancien président de Radio France prononcés sur Public Sénat, Emmanuel Macron annonçait qu’en cas de réélection, il supprimerait au nom du pouvoir d’achat, la redevance télé et faisait de fait planer la menace d’une privatisation.
Cette contribution particulière, que les Français payent jusqu’à présent avec la taxe d’habitation, apporte plus des trois quarts des budgets des chaînes de France Télévisions, de Radio France, d’Arte France, de l’INA, de France Médias Monde (RFI, France 24) et de TV5 Monde. Adossés à la taxe d’habitation qui sera entièrement supprimée en 2023, des projets de réforme de la contribution rodent depuis plusieurs années.
Pour certains, c’est même tout le service public de l’information, de la culture et du divertissement qui devrait être réformé. Car entre la création des médias publics des années 40 et aujourd’hui, l’écosystème des contenus vidéo et audio a radicalement changé.
Jadis, un instrument de puissance
Remontons le fil du temps pour bien saisir les enjeux. À l’origine, l’audiovisuel public est conçu comme un prolongement de l’État, seul propriétaire des ondes hertziennes permettant la diffusion de programmes. Les premières chaînes publiques furent placées sous contrôle étroit d’un ministère de l’Information, avec pour objectif d’encadrer strictement ce qui arrivait sur les postes de radio.
La France - comme le Royaume-Uni et d’autres pays - créa d’abord un audiovisuel extérieur, dont TV5 Monde, France 24, ou encore RFI sont les héritiers aujourd’hui. Il s’agissait alors d’un « instrument de puissance » censé être la voix de la France à l’étranger, « d’un outil de communication et de valorisation politique », souligne Alexis Lévrier, spécialiste de l’histoire des médias.
À partir des années 30, puis de 1949, date du premier journal télévisé, c’est « l’audiovisuel interne » qui a peu à peu émergé, précise le professeur à l’université de Reims. D’abord très dépendant du pouvoir politique, ce service public a fini au fil du temps par acquérir une certaine autonomie, en partie grâce à son système de financement particulier : la contribution, mise en place pour payer les journalistes et les infrastructures.
« Toutes les émotions pour 1,38 franc par jour, c’est ça la redevance », martelait déjà la publicité d’époque. En 1933, les détenteurs d’un poste radio doivent la régler annuellement. En 1949, tous les propriétaires de téléviseurs doivent s’en acquitter.
« La redevance a permis de créer de la prévisibilité. » Elle a offert, et offre toujours « une forme d’autonomie aux dirigeants de chaînes publiques, dans la mesure où le budget (engrangé grâce à la redevance) n’est pas dépendant de l’État », détaille Nicolas Kaciaf, maître de conférences en sciences sociales à Sciences Po Lille.
Les chiffres et les lettres de la redevance télé
La redevance télé a rapporté 3,2 milliards d’euros aux caisses de l’audiovisuel public en 2021 - auxquels l’État a ajouté 600 000 euros, pour un total de 3,8 milliards d’euros.
Cette contribution est la principale source de revenus de France Télévisions (88 %) et de Radio France (près de 100 %). Elle est aussi une source indirecte de revenus pour les producteurs audiovisuels travaillant pour les chaînes publiques et pour le cinéma.
Près de 27,6 millions de foyers sont assujettis à la redevance, selon le ministère de la Culture, à hauteur de 128 euros pour les Français vivant en métropole (soit 11,5 euros par mois), et 88 euros en Outre-mer.
Ni taxe, ni impôt, la redevance télé est une contribution qui va seulement être payée par les usagers des médias publics.
Le montant de cette contribution va directement dans la case financement du service public d’audiovisuel public et ne peut pas servir à autre chose. Les recettes des impôts et des taxes finissent au contraire d’abord dans les caisses de l’État qui va ensuite arbitrer leur répartition.
« Informer, éduquer, divertir »
Du côté des contenus, le triptyque « informer, éduquer et divertir » s’impose en quelques décennies au sein de l’audiovisuel public.
Informer d’abord pour garantir la pluralité des informations. Et « dans le contexte actuel de forte concentration des médias privés dans les mains de quelques industriels, la survie de l’audiovisuel public, qui échappe à ces logiques où l’on met au service du capital, de la rentabilité financière immédiate, ou au service d’intérêts industriels, est essentielle », plaide Nicolas Kaciaf.
Éduquer ensuite : un rôle clef pour Olivier Babeau, président fondateur de l’Institut Sapiens, un think tank libéral. Éduquer voire cultiver, un peu à la manière d’Arte qui « représente bien ce qu’est le rôle de l’éducation et de la culture » et qui ne se limite pas à l’apprentissage des enfants, précise-t-il.
Divertir enfin, avec les premières décennies un divertissement « culturellement exigeant », estime ce professeur à l’Université de Bordeaux. « C’était Les rois maudits, du théâtre, Victor Hugo, le soir, il y avait de l’opéra. »
Des logiques commerciales
Puis au fil du temps, ce triptyque a été fragilisé par des logiques commerciales, en particulier avec l’apparition de la publicité sur les chaînes publiques en 1968. « Nous sommes passés d’une logique de l’offre, à une logique de la demande », analyse Nicolas Kaciaf.
Dans la première, « vous n’avez qu’une ou deux chaînes et ce sont les programmateurs qui définissent les programmes. Dans ce cadre-là, vous pouvez aller jusqu’au bout de la logique de service public car vous n’êtes pas dans une situation concurrentielle. Vous pouvez prendre des risques au niveau de la programmation, mettre du théâtre le soir à 20h ou des contenus qui aujourd’hui feraient très peu d’audience ». Mais à partir du moment où vous rentrez « dans une logique de concurrence et de financement en partie par la publicité, la redevance restant la principale source de financement, vous devez anticiper, mieux connaître les attentes des consommateurs, et définir votre programmation davantage en fonction de votre performance commerciale ».
Depuis, les médias publics sont dans cette « contradiction intrinsèque », devant à la fois offrir « une programmation exigeante en termes de qualité d’information et de culture », et réfléchir, dans un contexte de concurrence des médias privés, avec des logiques d’audience.
Courir après l’audimat jusqu’à l’homogénéisation
Ainsi, la plupart des programmes culturels a été édulcorée. « Petit à petit, on s’est rendu compte que la majorité des gens préférait regarder des programmes plus faciles, plus accessibles. On est un peu descendu en gamme », déplore Olivier Babeau. « On ne l’avouera jamais, mais on a laissé tomber l’idée d’éduquer le peuple. On n’y croit plus ».
France Télévisions a par exemple un positionnement qui interroge, écrivaient les auteurs de ce rapport du Sénat de novembre 2018 : « Le groupe cherche à la fois à se mesurer avec les géants privés tels que TF1 et M6, France 2 participant à une course à l’audience tout en devant assumer des missions de service public sans doute trop nombreuses. »
Résultat, l’offre de l’audiovisuel public ne se distingue plus vraiment de celle du privé. « La course à l’audimat a conduit à une homogénéisation des programmes », reconnaissait Catherine Morin-Desailly, la présidente de la commission culture du Sénat, en 2018, à propos d’un sondage commandé par le Sénat. Plus de la moitié des interrogés (57 %) estimait que l’information en provenance des médias de service public était similaire à celle des médias privés. De même, un sondé sur deux trouvait que les séries, les films et les divertissements proposés par l’audiovisuel public étaient identiques à ceux du privé.
Les concurrents Netflix, YouTube, TikTok
Or avec les nouveaux usages de consommation, ce flou va poser de plus en plus de problèmes. Les chaînes publiques ne se retrouvent plus seulement en concurrence avec quelques chaînes de télévision privée, elles font face aussi aux autres acteurs qui proposent des contenus quasi illimités : Netflix, Canal +, YouTube, TikTok…
En janvier 2021, le Baromètre annuel Kantar Public Onepoint relevait que 34 % des Français s’informent en ligne via le smartphone ou l’ordinateur, contre 48 % pour la télévision. Pour les trois quarts des 18/24 ans, les réseaux sociaux sont la principale source d’information. Et les moins de 14 ans ? Ils passent de moins en moins de temps devant la télévision linéaire (en live), et de plus en plus de temps sur le replay, les vidéos à la demande, les plateformes de streaming, relevait Médiamétrie.
« À terme, ce que ne comprend pas forcément l’audiovisuel public, c’est qu’il risque d’être totalement marginalisé », estime Olivier Babeau. La génération des moins de 25 ans qui va vieillir ne regardera plus ces médias-là. Elle finira alors par lui demander de rendre des comptes, projette-t-il. « Les médias publics ont tout intérêt à se réveiller et à s’adapter, en répondant à la question : qu’est ce qui va faire que l’audiovisuel public aura, demain, une voix particulière face à tous ces autres contenus ? »
Ne s’adresser qu’à une élite ?
Reste la possibilité d’être plus exigeants et différenciants, quitte à avoir moins d’audience : « Il y a des contre-exemples comme Secrets d’Histoire, l’émission de Stéphane Bern produite par France 2, à la fois riche culturellement et loin d’être ennuyante à regarder », reconnaît encore le spécialiste.
Pendant la crise sanitaire, France 4 a par exemple proposé une véritable offre de service public en mettant en place des programmes pédagogiques pour accompagner les enfants.
« Vous pourriez tout à fait laisser au privé la partie Divertissement, qui coûte la plus chère, et allouer ces 4 milliards de façon plus puissante pour le travail de transmission, culture, et de vulgarisation scientifique », plaide Olivier Babeau.
Mais abandonner le divertissement, n’est-ce pas à terme prendre le risque de ne s’adresser qu’à une audience d’intellectuels, alors que les médias publics sont censés s’adresser à tous, s’interroge de son côté Nicolas Kaciaf ?
Une bonne image
D’ailleurs, même critiqué, « rarement l’audiovisuel public n’a à ce point séduit l’ensemble de la population », rappelle Alexis Lévrier, avec « Radio France qui bat des records d’audience, France Inter et France Culture, France Télévisions qui ont aussi une très bonne image ».
Et si, paradoxalement, c’était l’élection présidentielle, malgré les attaques de nombreux candidats contre l’audiovisuel public, qui rappelait toute sa singularité ? Alors que les chaînes publiques proposeront toute la soirée une analyse du rendez-vous démocratique quinquennal, TF1 proposera, pour la première fois, un film à partir de 21h30 : Les visiteurs. Jacquouille sur la Une, un soir d'élection, ne serait-il pas au fond le meilleur allié de France Télé ?
Réforme du périmètre de l’audiovisuel public : ce qu’en pensent les candidats
Faut-il allouer plus de budget à l’information, à la culture ? Renforcer les médias extérieurs ? Diminuer les divertissements ? Jusqu’à présent, peu de propositions concrètes ont émergé des candidats à l’élection présidentielle - sauf pour l’extrême droite.
Eric Zemmour souhaite conserver l’audiovisuel extérieur, en avançant que s’il est élu, TV5 Monde, RFI ou encore France 24 seraient maintenues pendant que toutes les autres chaînes seraient privatisées (pour les chaînes télé : France 2, France Info TV et pour la radio : France Inter, le Mouv et FIP). France 3 et France Bleu seraient transférées aux conseils régionaux.
Marine Le Pen défend quant à elle l’idée d’une chaîne qui superviserait l’international, à côté de la privatisation de France Televisions. Elle souhaiterait aussi pérenniser ou renforcer les chaînes des DOM TOM, Arte, et l’INA.
Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Fabien Roussel, et Nathalie Arthaud se sont prononcés, au contraire de Valérie Pécresse (qui estime qu’il faut garder au moins une chaîne publique) pour le maintien de la redevance.