Economie
Pouvoir d’achat : fort désir, faibles marges de manœuvre
Sélection abonnésPouvoir acheter davantage est la priorité absolue des Français et les candidats à la présidentielle chercheront à combler ce besoin. Mais gare aux promesses trop généreuses. Les marges de manœuvre sont limitées et la transition écologique sera coûteuse.
Clément Rouget
© Laurent CERINO/REA
Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d’achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
Les sondages se suivent et se ressemblent : le pouvoir d’achat reste la priorité absolue des Français pour la prochaine élection présidentielle. Cette focalisation est unique en Europe : trois fois plus élevée qu’en Allemagne et deux fois plus élevée qu’au Royaume-Uni1.
Est-ce lié au fait que les trois quarts des Français pensent - à tort - que leur niveau de vie s’est dégradé depuis le début de la pandémie, comme le suppose l’institut de sondage Odoxa ?
En tout cas, le Covid-19 n’a aucune raison de plaider coupable. « La crise sanitaire n’a pas entraîné de perte de pouvoir d’achat globale, même si certains y ont perdu, par exemple ceux qui ont créé des entreprises très récemment ou des étudiants vivant de petits boulots », confirme l’économiste Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis.
À lire aussi > Pauvres, riches, retraités : qui a profité du quinquennat Macron ?
Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d’achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
Les sondages se suivent et se ressemblent : le pouvoir d’achat reste la priorité absolue des Français pour la prochaine élection présidentielle. Cette focalisation est unique en Europe : trois fois plus élevée qu’en Allemagne et deux fois plus élevée qu’au Royaume-Uni1.
Est-ce lié au fait que les trois quarts des Français pensent - à tort - que leur niveau de vie s’est dégradé depuis le début de la pandémie, comme le suppose l’institut de sondage Odoxa ?
En tout cas, le Covid-19 n’a aucune raison de plaider coupable. « La crise sanitaire n’a pas entraîné de perte de pouvoir d’achat globale, même si certains y ont perdu, par exemple ceux qui ont créé des entreprises très récemment ou des étudiants vivant de petits boulots », confirme l’économiste Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis.
À lire aussi > Pauvres, riches, retraités : qui a profité du quinquennat Macron ?
Grâce à une montagne d’argent public et un déficit record et malgré la mise à l’arrêt de l’économie, le revenu des Français a même progressé : 170 milliards d’euros d’épargne supplémentaire, provenant en partie de transferts publics, se retrouvent à dormir sur les comptes en banque d’une partie (aisée) de la population.
Source : « Évolution de la dépense et du pouvoir d’achat des ménages », Insee
Support identitaire
L’obsession du pouvoir d’achat démontre a minima, loin du discours à la mode sur la déconsommation, une féroce envie de consommer davantage chez beaucoup de Français. « Près d’un quart d’entre eux (22 %) pratiquent une consommation décomplexée. Cela concerne une partie de la classe moyenne supérieure, attirée par l’innovation technologique, pour qui la consommation est même un support identitaire », détaille Sandra Hoibian, directrice du pôle Société au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). « À l’inverse, 30 % des Français sont dans une forme de sobriété contrainte. Ils aimeraient consommer davantage, mais n’ont pas les moyens financiers de le faire. »
On y retrouve les « gilets jaunes », qui ne manifestaient pas sur les ronds-points pour réclamer un changement radical de société, mais demandaient plutôt à monter eux aussi dans le train de la consommation.
Dans La France sous nos yeux (Seuil, 2021), Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely montrent bien comment la dignité sociale s’incarne aujourd’hui dans la capacité d’accès à un certain nombre de produits ou de lieux emblématiques de notre société de loisirs et de consommation. Ils racontent la journée du 18 novembre 2018, où les « gilets jaunes » de Seine-et-Marne, pour protester, n’ont pas bloqué une préfecture, une usine ou le siège du Medef, mais ouvert de force les grilles de Disneyland Paris pour réclamer l’entrée gratuite.
Difficile de culpabiliser les Français, dans un pays où – ce n’est pas le cas en Allemagne – la consommation est le principal moteur de la croissance économique (52 % du PIB en 2019). « Ce n’est pas un caprice des gens. Nous sommes dans une société où tout est organisé autour de la consommation, laquelle est valorisée par les pouvoirs publics, car considérée comme le poumon de notre économie, juge Sandra Hoibian. Un des premiers lieux de sortie et de sociabilité des jeunes, reste le centre commercial. Il est logique que les gens ne soient jamais contents de leur pouvoir d’achat s’ils sont sans arrêt poussés à consommer. »
30 %
Part des Français qui aimeraient consommer davantage, mais n’ont pas les moyens financiers de le faire.
La bombe à retardement du logement
Cette focalisation française sur le pouvoir d’achat, bien plus forte qu’en Allemagne, vient sans doute aussi du coût du logement, plus élevé dans l’Hexagone. La France en manque et la demande gonfle les prix de l’ancien (+ 7 % en 2021). « En ordre de grandeur, le risque de hausse sur le logement est beaucoup plus grand que celle du carburant qui a déclenché le mouvement des “gilets jaunes”, rappelle Patrick Artus. C’est un risque social majeur : l’exclusion de la classe moyenne hors des grandes villes, repoussée loin dans les banlieues… ».
Source : Les dépenses pré-engagées : près d’un tiers des dépenses des ménages en 2017, France Stratégie 2021
Mais construire plus est un dilemme politique quasi insoluble. « On ne veut pas construire sur les terres agricoles, mais on ne veut pas non plus densifier les centres-villes, on veut au contraire les aérer et les verdir, explique Patrick Artus. Du coup, on ne sait plus où construire, on construit peu et les prix s’envolent. »
Ce débat est déjà inflammable en soi. Il faut en plus y ajouter des intérêts très différents selon les électeurs : d’un côté, les 58 % de Français déjà propriétaires, qui ne sont pas mécontents de voir la valeur de leur bien augmenter, de l’autre, ceux – en particulier les jeunes et les classes moyennes inférieures – qui n’arrivent plus à accéder à la propriété.
« Le logement, c’est le nœud du problème du niveau de vie, affirme Sandra Hoibian, nous ne sommes pas dans l’épaisseur du trait. C’est 20 % du budget des ménages. Tant que nous n’arriverons pas à juguler cette hausse des prix de l’immobilier, nous resterons, mécaniquement, dans cette crispation sur le pouvoir d’achat. »
Très chère transition verte
Le coût de l’accès au logement n’est pas le seul défi des décideurs politiques en quête de marges de manœuvre sur le pouvoir d’achat. Ils vont aussi devoir expliquer que, contrairement aux mirages dessinés par certains, la transition écologique va coûter cher aux consommateurs. Abandonner des énergies peu coûteuses et omniprésentes dans nos vies telles que le charbon et le pétrole ne sera pas sans conséquences négatives sur notre niveau de vie.
À lire aussi > Jean Pisani-Ferry : « La transition écologique ne se fera pas sans provoquer un choc économique majeur »
« Il existe un consensus scientifique sur le fait que le prix de l’énergie va doubler dans les 30 prochaines années à cause à la fois de l’intermittence qui rend plus chères les énergies renouvelables et de la hausse du prix des hydrocarbures, déplore Patrick Artus. Et se posera aussi la question de la capacité des classes populaires à accéder à la voiture, qui sera plus chère dans le modèle du futur. Tout le monde ne peut pas mettre 35 000 euros dans un véhicule électrique. »
À lire aussi > Comment la voiture devient peu à peu un produit de luxe
Enfin, une plus grande partie de nos revenus collectifs ira vers la rénovation énergétique de millions de logements.
L’homme politique tenté de promettre monts et merveilles ne peut plus non plus compter sur une accélération de la mondialisation pour fournir au consommateur des myriades de biens à petits prix. Si la mondialisation a permis, depuis les années 1990, des gains considérables de pouvoir d’achat – de l’ordre de 100 euros par mois et par ménage –, elle atteint aujourd’hui un plateau.
« On voit les chaînes de valeur commencer à se raccourcir : elles deviennent plus régionales et moins mondiales. Ce qu’on faisait avant en Chine, maintenant, on va le faire en Pologne, au Mali, au Maroc… » , décrit l’économiste Lionel Fontagné, auteur de La Feuille de paye et le Caddie (Presses de Sciences Po, 2021). « Cela va rendre les produits importés plus chers, on va donc reperdre une partie des gains de pouvoir d’achat qu’on avait accumulés. »
À voir aussi > Pourquoi la mondialisation est-elle en crise ? Interview avec l’économiste Dani Rodrik
Marges immenses de productivité
Logement, transition énergétique, recul de la mondialisation… Dans les prochaines années, les menaces sur le pouvoir d’achat sont nombreuses. Jusqu’à le faire régresser ? « Non, le pouvoir d’achat moyen va encore progresser, rassure Patrick Artus. Le pouvoir d’achat des salaires a suivi la productivité depuis 20 ans et les gains de productivité vont continuer. Et puis dans le modèle français, contrairement aux États-Unis, on va continuer à les distribuer aux salariés. »
Lionel Fontagné confirme : « Il n’y a pas 50 façons de faire progresser le pouvoir d’achat, il y en a une seule, c’est la productivité. Elle dépend de l’introduction du progrès technique, de l’éducation et de l’organisation des entreprises ou de la société. Il y a donc un grand effort à faire, par exemple, sur l’introduction des robots dans l’industrie, sur les usines connectées, sur l’administration numérique. Il existe des marges de productivité immenses. »
L’inflation, une menace temporaire ?
La hausse des prix va-t-elle rogner le pouvoir d’achat des Français ? « Aux États-Unis, une inflation durable est un vrai risque, mais je n’y crois pas pour l’Europe pour le moment » , jugeait Patrick Artus à la mi-janvier. Pour lui, la phase la plus dure de la hausse des prix, due pour l’essentiel à la rapide reprise économique et aux embouteillages mondiaux, est passée.
« Les prix des matières premières sont en train de revenir à des niveaux plus bas, ceux des semi-conducteurs ont baissé de 40 % et ceux du gaz de 50 % en deux semaines… ». Pour l’économiste, comme pour la Banque centrale européenne, la perte de pouvoir d’achat liée à cette hausse des prix se terminera à la fin de l’été, période où l’inflation retournera sous les 2 %.
À lire aussi > « En France, l’inflation ne va pas durer » selon le gouverneur de la Banque de France
1. "Le pouvoir d’achat sera l’enjeu clé de la présidentielle", Odoxa, 4 novembre 2021
- Accueil
- Consommation
- Vie quotidienne
Pouvoir d’achat : fort désir, faibles marges de manœuvre