Economie
Les stades de foot français, trop grands et trop coûteux
Sélection abonnésCopier le modèle des grands stades allemands ou anglais n’a pas réussi à la France. Plusieurs stades de sixième génération, construits entre 2010 et 2016, sont trop vastes et mal « marketés ». Et ce sont les collectivités qui paient les factures.
Juliette Chaignon
© DR
Construire un stade, c’est choisir une arène pour les 30 prochaines années et engager des centaines de millions d’euros. Mieux vaut ne pas rater son coup. En 2008, deux rapports pointent la vétusté des stades français. Deux ans plus tard, la France est retenue pour accueillir l’Euro 2016. Entre 2008 et 2016, 13 stades sont donc construits ou rénovés pour un budget de deux milliards d’euros.
À Grenoble, Le Mans, Le Havre, Valenciennes, Lille, Nice, Bordeaux et Lyon, les stades « sixième génération » s’agrandissent : 9 000 places supplémentaires en moyenne, voire 30 000 au Stade Pierre-Mauroy de Lille. Ces infrastructures se veulent plus confortables. Les places VIP représentent 10 à 15 % des sièges.
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Les nouvelles enceintes sont construites en périphérie des villes, plus ou moins accessibles – entre 45 minutes et une heure de transports en commun à Nice et Bordeaux. Sur place, le réseau WiFi ou 4G se déploie, malgré des dysfonctionnements.
Construire un stade, c’est choisir une arène pour les 30 prochaines années et engager des centaines de millions d’euros. Mieux vaut ne pas rater son coup. En 2008, deux rapports pointent la vétusté des stades français. Deux ans plus tard, la France est retenue pour accueillir l’Euro 2016. Entre 2008 et 2016, 13 stades sont donc construits ou rénovés pour un budget de deux milliards d’euros.
À Grenoble, Le Mans, Le Havre, Valenciennes, Lille, Nice, Bordeaux et Lyon, les stades « sixième génération » s’agrandissent : 9 000 places supplémentaires en moyenne, voire 30 000 au Stade Pierre-Mauroy de Lille. Ces infrastructures se veulent plus confortables. Les places VIP représentent 10 à 15 % des sièges.
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Les nouvelles enceintes sont construites en périphérie des villes, plus ou moins accessibles – entre 45 minutes et une heure de transports en commun à Nice et Bordeaux. Sur place, le réseau WiFi ou 4G se déploie, malgré des dysfonctionnements.
Multi-fonction, ces stades peuvent accueillir d’autres événements que les matchs, comme la finale de la coupe Davis de tennis, à Lille, les demi-finales du Top 14 en juin 2022, à Nice, ou des concerts.
Pâle copie du modèle allemand
Ces stades devaient permettre un meilleur développement économique des clubs et, in fine, une diminution des subventions publiques pour les financer. Le tout calqué sur le modèle allemand. Notre voisin a construit 12 nouveaux stades avant d’accueillir la Coupe du monde 2006.
L’affluence moyenne y a augmenté de 32 %, passant de 31 000 à 43 000 spectateurs en première division, entre 2000 et 2016. Les revenus « jour de match » ont bondi de 197 %, rendant les clubs moins dépendants des droits télévisés.
Ces droits ne représentent par exemple que 11 % du budget du plus grand club du pays, le Bayern Munich.
Mais en France, les nouveaux stades ont été surdimensionnés. En dehors de Paris, un club français dispose en moyenne de 21 clients potentiels par siège dans sa zone de chalandise, contre 31 en Allemagne, en raison de la densité urbaine allemande et de la répartition géographique des clubs.
Les constructeurs et les élus se sont persuadés à tort que les sièges attireraient les clients. Dans les faits, le taux de remplissage en Ligue 1 est retombé à 65 %.
Les coûts d’entretien et d’exploitation ont été sous-estimés. Les loyers des nouveaux stades coûtent en moyenne, 4,5 millions d’euros par an contre 0,7 million auparavant (+ 540 %). À Lille, la billetterie rapporte 16 millions d’euros de plus par an pour des charges majorées de 19 millions d’euros.
Les sociétés exploitant les stades de Nice ou Bordeaux sont déficitaires. Les collectivités dépensent en moyenne 5,8 millions d’euros par an, soit 56 % du coût total, et financent indirectement les clubs. Bref, clubs, constructeurs et villes perdent de l’argent.
Au Mans, un stade flambant neuf… et vide
Inauguré en 2011, le stade du Mans, 25 000 places, n’a déjà plus de club résident. Le Mans FC a été relégué en Ligue 2 en 2010, puis en sixième division en 2013.
Le stade, qui a coûté 104 millions d’euros, n’est pas adapté au niveau du club, il n’attire pas d’événements permettant de générer des revenus et est trop petit pour des compétitions internationales.
Bilan : 7,8 millions d’euros de pertes en 10 ans d’exploitation. En plus de 50 millions d’euros engagés par les collectivités pour la construction, la ville compense l’absence de club en déboursant quatre millions d’euros en 2021. Un fiasco.
À rebours du modèle des grands stades, plusieurs clubs de rugby exploitent ou possèdent leur stade. C’est le modèle le plus répandu en Angleterre et en Allemagne.
L’ASM Clermont Auvergne Rugby a ainsi investi 30 millions d’euros pour transformer son stade Marcel Michelin, 18 000 places, durant les 15 dernières années : commerces, musée, restaurant, espaces de réception.
Avec près de 150 événements professionnels hors jours de match, la filiale marketing ASM Events tire un chiffre d’affaires de 600 000€ et vise le million d’euros pour la prochaine saison.
La plupart des clubs français ne peuvent devenir propriétaires de leur stade. Le Red Star FC, à Saint-Ouen, s’est donc associé à un promoteur immobilier pour moderniser le stade Bauer. L’entreprise, propriétaire pour 26,5 millions d’euros, est aussi actionnaire du club.
L’acteur privé dispose de plus de moyens qu’une collectivité pour entretenir et rénover le stade. Et pour générer des revenus, le promoteur prévoit de louer des bureaux et des espaces à des commerces.
Tenir 10 ans
Construits grâce à des partenariats public-privé, la majorité des nouveaux stades sont financés par les collectivités et des acteurs privés du BTP. Sans que cela soit leur spécialité, ces entreprises se chargent de l’exploitation du stade en organisant, par exemple, des événements générateurs de revenu.
Les clubs de football, à l’exception de l’OL, du Havre et du PSG, ne sont que locataires de leurs enceintes. Impossible d’optimiser la commercialisation des places ou d’exploiter les jours hors match. La seule marge de manœuvre est la billetterie.
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En renforçant son équipe commerciale et en augmentant le prix d’accès aux tribunes, le PSG a fait progresser de 220 % ses recettes de billetterie entre 2010 et 2016, surfant sur son renouveau sportif. Mais la plupart des clubs n’ont pas cherché à faire de même.
En France, seul le Groupama Stadium de Lyon, qui a coûté 450 millions d’euros à l’OL, propose restaurants, bowling, parc de trampoline et un comedy-club, d’ici mai 2022.
« À court terme, le club est en déficit. Il faut faire le dos rond pendant 10 ans, les achats de joueurs sont limités, mais une fois le stade amorti, il pourra générer de la rentabilité », explique Jérémy Moulard, consultant en économie des stades. C’est le modèle, par exemple, du club anglais d’Arsenal, à Londres.
Mais récupérer l’exploitation du stade, comme l’a fait l’Olympique de Marseille en 2018, n’est pas une solution miracle. Cela demande déjà d’embaucher des salariés spécialisés en maintenance et en markerting. Et un stade mal desservi ou surdimensionné ne pourra être rentable, peu importe son exploitant.
Ce qui est rare est cher
Le plus important reste d’évaluer les projets avant de construire, « car une fois que c’est construit, on en a pour 30 à 40 ans », rappelle Jérémy Moulard. Le chercheur souligne la nécessité de faire des choix fondés sur le marketing et pas sur la politique.
Cela aurait permis d’éviter de bâtir 42 000 places à Saint-Étienne, en référence au numéro du département, et d’effectuer quelques années plus tard des travaux pour fermer… 7 000 places.
Le choix de revenir à des stades plus petits fonctionne en Italie. En 2011, la Juventus de Turin acquiert le Juventus Stadium, 41 000 places, soit 28 000 de moins que son ancien stade. Le taux de remplissage est de 95,4 % et les recettes « jour de match » sont quadruplées. Les coûts d’exploitation se réduisent et le club cultive la rareté des places, qui se vendent plus cher.
Aux États-Unis, la toute-puissance des franchises et des stades ultra-rentables
Pour financer des enceintes immenses – comme l’AT & T Stadium de plus de 100 000 places, à Dallas –, les franchises américaines comptent sur l’argent public. Les villes connaissent l’attractivité et le rôle social d’une franchise sur leur territoire.
Et puisqu’une franchise a le droit de déménager, elle peut exercer un chantage aux collectivités en menaçant de partir dans la ville la plus offrante.
Les Buffalo Bills, franchise de football américain en NFL, bénéficieront ainsi d’ici 2026 d’un stade tout neuf de 1,4 milliard de dollars, dont 850 millions payés par l’État de New York et le comté d’Érié. Le reste est payé par l’équipe et avancé via un prêt de la ligue.
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Ces sommes colossales sont engagées en connaissant la rentabilité rapide – de quelques années à une dizaine d’années – des stades américains. Rien que les sièges premium du AT & T Stadium de Dallas rapportent 100 millions de dollars par an.
Contrairement à la France, le naming y rapporte des dizaines de millions de dollars aux franchises – entre 17 et 19 millions annuels pour l’AT & T Stadium. Pour rayonner, les franchises font du stade une marque et un lieu de divertissement, bien au-delà des matchs.
Le client est roi : WiFi haut débit, restaurants et fast-foods, espaces pour enfants, chargeurs de téléphone, écrans géants… Tout est fait pour faire venir au stade un autre public que les supporters.
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Naming
Forme de parrainage qui consiste, pour une marque ou une entreprise sponsor, à donner son nom à une infrastructure sportive, à une compétition ou, plus rarement, à une équipe, en contrepartie d’un soutien financier important sur une longue durée
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