Economie

Marchés concurrentiels : l’Arabie saoudite chamboule le mercato de foot

Le marché des transferts de foot a toujours été très concurrentiel entre clubs européens. Depuis trente ans, la libéralisation du marché accentue les disparités entre eux. Le phénomène a bondi en 2023 avec la montée en puissance de l’Arabie saoudite et de ses moyens presque illimités.

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© Ahmed Yosri / REUTERS

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« Voilà, c’est fini », comme dit la chanson. Enfin, pas tout à fait.

Depuis, le vendredi 1er septembre, le mercato est terminé dans la plupart des championnats de football professionnels européens. Les clubs ne peuvent donc plus acheter de joueurs pour renforcer leur effectif.

Lire aussi > C’est quoi le mercato, le drôle de marché des transferts du foot ?

En revanche, dans d’autres championnats les achats et les ventes de joueurs continuent. C’est le cas en Arabie saoudite, où les clubs peuvent encore acheter jusqu’au 20 septembre des joueurs présents dans les championnats européens.

Et 2023 est une année d’offensive saoudienne. La Saudi Pro League a réussi à attirer certaines des plus grandes stars du football mondial, alors même que le championnat saoudien est d’un niveau mineur par rapport à l’Europe. Karim Benzema, Neymar, Sadio Mané etc. Ils ont tous débarqué dans la pétromonarchie.

La raison ? Les ressources financières quasiment illimitées dont bénéficient quatre clubs saoudiens, grâce à leur accès direct au fonds souverain saoudien, le 7e plus important au monde, alimenté par les revenus du pétrole.

Des équipes comme Al Nasr ou Al Hilal, ont dépensé entre 143 et 331 millions d’euros sur le marché des transferts. Avec des transactions bien souvent supérieures à la valeur marchande estimée des joueurs en Europe.

Par exemple, le joueur brésilien Neymar, acheté près 90 millions d’euros par Al Hilal, ne vaudrait que 60 millions sur le marché selon le site de référence Transfermarkt.

Les montants de transferts et les salaires proposés par les clubs saoudiens sont bien supérieurs à ceux des clubs européens, même les plus riches. Impossible pour eux de rivaliser. Dans le cas de Neymar, aucun club n’a pu s’aligner sur l’offre saoudienne. Pas même son ancien club, le FC Barcelone qui lui proposait un salaire annuel de 12 millions d’euros. Al Hilal lui offre 10 fois plus !

L’hégémonie historique de l’Europe sur le mercato a été bousculée cet été. L’offensive saoudienne rebat les cartes de la concurrence, la libéralisation de l’économie du foot change d’échelle.

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Le mercato est, dès l’origine, un exemple de marché très concurrentiel.

Il met en relation un grand nombre d’acheteurs et de vendeurs, les clubs. Rien qu’en Europe, on compte plusieurs centaines de clubs professionnels capables de mettre en jeu des sommes d’argent plus ou moins importantes pour s’attacher les services de nouveaux joueurs lors de deux sessions d’échanges autorisés : le "mercato d’hiver" et le "mercato d’été".

En langage de la concurrence, les joueurs sont des "produits homogènes" échangés entre clubs. Autre caractéristique d’un marché concurrentiel, ces produits sont mobiles : un joueur change plusieurs fois de club durant sa carrière. De plus, ces échanges, se réalisent en toute transparence : tous les acteurs connaissent le prix et le contenu de tous les échanges.

Enfin, le marché des transferts se caractérise par son atomicité : Les acteurs (les clubs) sont tous à peu près de la même dimension, ce qui permet de garder un équilibre entre eux et d’éviter la domination d’un ou plusieurs acteurs.

Mais, tous ces ingrédients nécessaires à une concurrence pure et parfaite sont remis en cause depuis une trentaine d’années par la libéralisation du football. Quelques clubs européens se sont progressivement retrouvés en position économique dominante. Et aujourd’hui, l’Arabie saoudite brise à nouveau l’équilibre.

Pour aller plus loin > Football : l’Arabie saoudite, ce nouvel entrant qui dérègle complètement le marché

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Cette situation est la conséquence de la libéralisation du marché des transferts, à l’œuvre dans le football depuis près de 30 ans.

Le tournant dans l’histoire économique de ce sport, c’est l’Arrêt Bosman. Cette décision de la Cour de justice des Communautés européennes (devenue Cour de justice de l’Union européenne) a été rendue le 15 décembre 1995 et marque le début de la libéralisation du marché des transferts dans le sport.

Pour aller plus loin > Les footballeurs sont-ils trop payés ?

Cet arrêt a réduit les restrictions dans les échanges entre clubs et mis fin aux quotas de joueurs étrangers au sein des clubs. Conséquence : comme plus de clubs pouvaient désormais les acheter, les prix de vente des joueurs ont explosé.

Les grands gagnants de cette époque ont été les grands clubs européens : les historiques (FC Barcelone, Real Madrid, Manchester United, Milan AC…) et les "nouveaux riches", dopé aux pétrodollars des fonds souverains du Golfe (PSG, Manchester City…). Avec leurs moyens financiers, ils ont empilé les stars étrangères dans des effectifs pléthoriques. Au début des années 2000, les "Galactiques" du Real de Madrid avec Zidane, Ronaldo, Beckham ou le PSG de Neymar, Messi et Ronaldo…

Des tentatives de régulation ont existé, comme le fair-play financier mis en place en place en 2010 par l’institution régulatrice du football européen, l’UEFA, avec un succès médiocre à cause de l’opposition des grands clubs.

Mais aujourd’hui, même les clubs européens les plus dépensiers, qui étaient jusqu’ici les grands gagnants de la libéralisation, ne peuvent plus tenir la cadence de ce nouvel acteur complètement indifférent à la rentabilité économique.

Aujourd’hui menacés, les grands clubs d’hier voient leurs meilleurs joueurs courtisés (Liverpool avec Mohamed Salah) par les sirènes saoudiennes sans pouvoir s’aligner sur les salaires proposés. Ils avaient oublié que dans un océan d’argent sans règles ni limites, il y a toujours un plus gros poisson…

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Fiche_mercato_citation_lepetit.png« Il y a quelque chose à surveiller pour le football européen, face à un concurrent [l’Arabie saoudite] qui semble avoir une stratégie plus réfléchie que d’autres par le passé, comme la Chine voire le Qatar. Cela peut déstabiliser le marché, puisqu’il n’y a pas une régulation mondiale très forte sur les mouvements de joueurs et que le marché du travail est lui-même globalisé. Du point de vue saoudien, cela ouvre des perspectives intéressantes ».

Christophe Lepetit, dans Les Echos

Économiste du sport au CDES Limoges

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