Cet article est extrait de notre hors-série consacré à l'amour. Retrouvez-le en kiosque le 12 janvier 2022.
Qu’il semble lointain le temps de nos grands-parents recevant une orange pour Noël et ne célébrant pas toujours les anniversaires. Depuis, les occasions de s’échanger des cadeaux sont devenues de plus en plus nombreuses : Noël, anniversaire, naissance, mariage, Saint-Valentin, fêtes des parents, des grands-parents, fêtes religieuses ou propres à chaque culture.
Le marché mondial du cadeau pesait près de 58 milliards d’euros en 2020, d’après un rapport de Global Industry Analysts, éditeur américain d’études de marché. Cette somme ne prend pas en compte les vêtements, parfums, cosmétiques ou électroniques achetés pour les offrir.
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Il faut aussi y ajouter le marché du cadeau personnalisé (impression de photos sur tasse, stylo gravé… – 22,8 milliards d’euros en 2020), et celui des cartes cadeaux prépayées (547,3 milliards d’euros en 2019). Le marché du cadeau d’entreprise fait à ses employés ou à ses clients représentait 243 milliards d’euros en 2021 aux États-Unis.
Un présent, quatre fonctions
Pourquoi offre-t-on des cadeaux ? Depuis le début du XXe siècle, des anthropologues, sociologues, psychologues et économistes étudient les mécanismes de ce type de don. Le chercheur en commerce Russell W. Belk attribuait au cadeau, en 1979, quatre fonctions sociales : marquer un événement important, établir ou maintenir une relation interpersonnelle, créer un moyen d’échange économique (rendre l’autre redevable, par exemple) et inculquer aux enfants les traditions d’une société.
Les chercheuses et chercheurs s’accordent sur le caractère symbolique du cadeau et le fait qu’il soit parfois volontairement offert, parfois imposé, souvent un peu des deux. Dans tous les cas, il permet de communiquer ses sentiments.
Des chercheurs japonais ont établi que le cadeau témoigne de l’engagement au sein d’un couple. Une autre étude insiste sur l’efficacité d’une expérience partagée (concert, invitation au restaurant…) pour renforcer les relations interpersonnelles. Mais acheter un cadeau présente un risque social : quand il est raté, la relation peut en être affectée.
Destruction de valeur ?
Quels que soient nos efforts pour dégoter les meilleurs cadeaux, l’économiste Joel Waldfogel nous accuse de mal dépenser notre argent. En 1993, dans l’American Economic Review, il expose la théorie d’une perte sèche de valeur inhérente au cadeau : au mieux, nous achetons celui que la personne se serait acheté elle-même. Dans la majorité des cas, nous visons moins juste, moyennant une perte d’utilité que l’économiste américain évalue, en 2002, entre 10 et 18 % du prix d’un cadeau.
Explication. Dans un article académique intitulé « Bien à offrir mais pas à recevoir », trois chercheurs américains pointent nos erreurs les plus fréquentes. Nous nous concentrons sur le sourire de la personne qui déballe le cadeau, or cette joie ne reflète pas toujours l’utilité économique de celui-ci à long terme et donc la satisfaction réelle. De plus, nous surestimons le bénéfice de la surprise alors que les cadeaux réclamés et attendus sont en fait les plus appréciés. Enfin, notre obsession du cadeau original nous conduit parfois à choisir en se trompant sur ce qui ferait vraiment plaisir.
Des cartes et des listes
Si la théorie de Waldfogel est vivement critiquée, elle justifie malgré tout quelques conseils : offrir des cartes prépayées ou donner à sa/son partenaire la possibilité de dépenser l’argent commun pour quelque chose d’extravagant, faire un don à une association. À regarder les chiffres du marché des cartes cadeaux prépayées, l’argument de l’utilité convainc les acheteurs.
En 2019, ce marché représentait 547,3 milliards d’euros dans le monde, selon un rapport Allied Market Research, avec des projections allant jusqu’à plus de 2 000 milliards d’euros en 2027. Pour les marques proposant de telles cartes, le business est rentable : soit toute la valeur de la carte est dépensée (et entre dans les caisses de l’entreprise), soit la carte n’est que partiellement utilisée (et revient à l’entreprise ou à l’État, suivant la législation). Aux États-Unis, chaque année, près d’un milliard de dollars dort dans les tiroirs.
En Chiffres
5 000 euros
C'est le montant évalué que peut atteindre une liste de mariage.
Pour Joel Waldfogel, ce constat ne fait pas vaciller sa théorie : au niveau de l’utilité, mieux vaut un peu d’argent encaissé par l’enseigne qu’un ami sous-estimant la valeur de son cadeau. Autre manne, les listes de mariage ou de naissance : elles pullulent, avec un budget évalué entre 3 700 et 5 000 euros pour une liste de mariage, d’après un sondage mené annuellement par Sofinco.
Le secteur, dominé par des groupes comme le Printemps ou les Galeries Lafayette malgré l’apparition de dizaines de pure players, représentait 300 millions d’euros en France en 2017, même si une majorité (79 %) de convives préfère glisser une enveloppe d’argent liquide aux mariés plutôt que de choisir sur la liste (11 %).
La percée de la seconde main
Les budgets cadeaux varient en fonction de l’occasion et des moyens des offreurs. À chaque circonstance, son budget. Toutes confondues (Noël, anniversaire…), la somme annuelle dépensée par un foyer français pour offrir des cadeaux s’élève à 985 euros en moyenne, selon l’enquête « Budget de famille 2017 » de l’Insee. Avec de fortes disparités sociales : 1 713 euros pour les cadres contre 532 euros chez les ouvriers et 1 095 euros pour les retraités.
En 2019, les Américains auraient dépensé en moyenne 442 euros par foyer pour acheter des cadeaux de Noël, même si 11,9 % d’entre eux prévoyaient de ne gâter personne en décembre 2020 pour des raisons économiques –contre 4,9 % en 2019 (étude Deloitte, 2021). La moyenne européenne est estimée à 193 euros par personne : 336 euros au Royaume-Uni, 217 euros en Allemagne, 159 euros au Portugal et 122 euros au Pays-Bas.
D’autres consommateurs réfléchissent à deux fois à leurs achats pour des raisons écologiques. Les cadeaux de seconde main sont moins tabous qu’avant, tout comme les présents faits maison, même si ces tendances ne font pas trembler le marché. À l’approche des fêtes, la Fédération du commerce et de la distribution anticipe une croissance des achats de Noël comprise entre 8,5 % et 10,5 % ! D’ailleurs, les cadeaux éthiques ou durables ne sont pas toujours les plus appréciés.
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Köpskam
Nouvelle tendance venue de Suède concernant une « honte écologique de la consommation », ou « honte de faire du shopping ».
Une génération semble tout de même changer la donne. Au Royaume-Uni, des sondages estiment que 43 % des adultes ont acheté des cadeaux « durables » pour Noël en 2020. Ce taux montait à 65 % chez les 18-24 ans, contre 32 % chez les plus de 65 ans.
Même constat en France pour Karine Schrenzel, directrice générale des 3 Suisses et de Rue du commerce : « 15 % des Français envisagent d’effectuer des achats de seconde main et d’occasion, une tendance qui séduit particulièrement les jeunes – 21 % des moins de 35 ans. » L’entreprise Rue du commerce propose désormais des offres reconditionnées pour des achats moins culpabilisants. Bref, la fin du bolduc n’a pas encore sonné, les entreprises trouveront toujours comment s’engouffrer dans la brèche de notre besoin de valider nos relations par des cadeaux.