Fin juin, John Textor, homme d’affaires américain, est devenu actionnaire majoritaire d’un des plus grands clubs français, l’Olympique Lyonnais. S’il s’agit du plus important investissement américain à date dans le foot français, l’évènement n’est pas isolé. De plus en plus de capitaux venus des États-Unis ont servi à prendre le contrôle de clubs hexagonaux : SCO Angers, Toulouse FC, Girondins de Bordeaux, SM Caen, le club parisien du Red Star…
Pourquoi lui ?
Luc Arrondel est professeur d’économie à l’École d’économie de Paris. Également chercheur au CNRS, il est spécialisé dans l’économie du football.
Pour l’Éco. Pourquoi les fonds d’investissement américains visent-ils le football européen ?
La logique d’un fonds d’investissement est d’investir à moyen terme avec un rendement conséquent. Omniprésents aux Etats-Unis, les fonds d’investissement (sociétés de capital-investissement) sont contraints par les règles de la MLS (Major League Soccer, le football aux Etats-Unis) à ne détenir au maximum que 20 % du capital d’une seule franchise (équivalent des clubs) de la ligue et des investissements dans au plus quatre équipes. Ils se tournent donc vers l’Europe pour élargir leur marché.
En Europe, depuis les années 1990, l’économie du football est en forte croissance, à deux chiffres en moyenne annuelle (chiffre d’affaires en hausse de 15 milliards en Europe selon un rapport du Sénat). Les droits TV ont explosé ces 30 dernières années, en particulier en Angleterre et les clubs en tirent des revenus commerciaux en forte hausse.
Depuis quelques années, avec la conquête de nouveaux marchés comme celui de l'Asie et de l'Amérique, le terme de globalisation du football prend de plus en plus de sens.
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Les clubs de foot sont-ils rentables par nature ?
Rarement. Dans le passé, les propriétaires ne recherchaient pas forcément la rentabilité de leur investissement. Posséder un club de football était un parfait symbole de consommation ostentatoire à la Veblen et relevait presque du mécénat.
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Consommation ostentatoire
Consommation destinée soit à mettre en évidence son statut social ou son mode de vie, soit à faire croire aux autres que l'on possède ce statut social ou mode de vie.
Les milliardaires qui investissaient dans le football faisaient fortune ailleurs, et le « beautiful game » était une manière de dépenser leur fortune plutôt que de la rentabiliser, à l’image de ce qu’a fait le milliardaire russe Roman Abramovitch à Chelsea, ou dans une moindre mesure Peter Coates à Stoke City.
C’est plutôt du côté des transactions entre les clubs qu’il faut regarder pour générer des profits. Les fonds d’investissement espèrent des plus-values lors de la revente des joueurs.
C’est un marché très aléatoire mais attirant car il est possible d’y réaliser de grands bénéfices . Un bon exemple est celui de l’AS Monaco, qui a vendu au Paris-Saint-Germain Kylian Mbappé pour 180 millions d’euros ou plus récemment Aurélien Tchouaméni au Real Madrid pour 80 millions d’euros.
Le football en lui-même ne permet pas de générer beaucoup de profits. La concurrence entre les clubs pour gagner impliquait d’embaucher les meilleurs joueurs. Le football était quelque peu une sorte de partage marxiste de la plus-value, et l’essentiel de l’argent généré allait aux footballeurs. Aujourd’hui, les études montrent que les clubs privilégient les victoires aux profits.
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L’objectif de rentabilité à tout prix qui motive les fonds d’investissement est une révolution dans le football. Il faut alors faire un arbitrage entre les résultats sportifs et les profits : maximiser la rentabilité implique de ne pas maximiser les victoires.
Maximiser la rentabilité implique de ne pas maximiser les victoires
Luc ArrondelÉconomiste du sport et professeur à l’École d’économie de Paris
Les fonds cherchent-ils à implanter le modèle américain en Europe ?
Il faut rappeler que l'économie du sport aux États-Unis est très spécifique. Là-bas, le sport est planifié et centralisé, ce qui permet aux équipes de pouvoir générer d’importants profits, déterminés en amont lors des négociations collectives.
Les syndicats discutent du partage des revenus entre les propriétaires des équipes et les joueurs (plafond salarial) avant le début de la saison, ce qui assure que des profits seront dégagés chaque année. Le football européen en est loin, même si cela existe déjà dans d'autres sports, comme au basket avec l’Euroligue.
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Mais ce ne sont pas les investissements des fonds qui risquent de changer grand-chose à court terme en Europe. Premièrement, un modèle de Super-Ligue fermée à l'Américaine ne concernerait que les plus grands clubs européens, et les Américains ont davantage investi dans de plus petits clubs, moins cher à l’achat (Bordeaux, Red Star, Toulouse…).
Deuxièmement, les compétitions actuelles - ligue ouverte avec un système de promotion-relégation - sont très ancrées dans la culture européenne et les projets de ligues fermées ont d'ailleurs suscité l’ire des fans, obligeant les promoteurs de ce modèle à reculer.
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L’arrivée de ces fonds d’investissement est-elle une bonne nouvelle pour le football français ?
Sur certains aspects, il peut y avoir des retombées positives. Déjà, après la crise Covid et le retrait de Mediapro, les clubs français, ont connu un besoin de trésorerie urgent, que les fonds américains sont venus en partie combler, notamment en prenant des parts de la société commerciale de la Ligue professionnelle de football (LFP), avec CVC Capital Partners.
Pour les fonds, l'attractivité des clubs français réside aussi dans leurs centres de formation. Ils acquièrent des clubs « peu onéreux », souvent en deuxième division, investissent dans la formation et améliorent les structures, attendent que les jeunes progressent et les vendent à des “grands” clubs pour réaliser une plus-value.
Comme certains fonds ont aussi une logique à plus long terme de valorisation de leur actifs, ils investissent aussi souvent de manière novatrice dans le marketing et la promotion du club. Ils peuvent aussi favoriser de nouvelles méthodes de travail, par exemple autour de l’utilisation de la data, comme Toulouse a pu en faire l’expérience avec succès l’année dernière.
Mais la venue de ces fonds n’est pas sans risque pour les clubs et leurs villes. À partir du moment où ces fonds estiment que l’activité n’est pas assez rentable, ils peuvent très rapidement se retirer, pouvant les laisser en grande difficulté financière et au bord de la faillite. C’est ce qui est arrivé récemment aux Girondins de Bordeaux, avec le retrait du fonds américain King Street.