En septembre, les industriels allemands remarquaient ainsi que leurs coûts de production avaient augmenté de 14,2 % en un an. Impressionnant ? En France, ils ont grimpé de 16,3 %, d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Du jamais-vu depuis janvier 1995. La tendance est générale : les industriels chinois ont, eux, constaté une hausse de 10,7 %.
« C’est une situation inédite vis-à-vis du contexte macroéconomique global », résume Stéphane Auray, professeur d’économie à l’École nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (Ensai). « On constate à la fois un choc de demande et un choc d’offre. Face à des chocs de demande, on connaissait les effets des plans de relance successifs, et de la baisse des taux d’intérêt. Mais la pandémie a provoqué un choc d’offre. Les entreprises ont fermé, des mesures protectionnistes ont été mises en place, des pénuries ont éclaté… »
Pénuries et hausse des prix de l’énergie
La réouverture, post-Covid et simultanée, de toutes les économies mondiales représente donc la parfaite recette de pénuries réussies. Les constructeurs automobiles, par exemple, pâtissent encore de la sous-production de semi-conducteurs – notamment parce que la plupart des constructeurs avaient réduit, voire annulé, leurs commandes durant la crise, sans anticiper les difficultés que rencontreraient les producteurs de semi-conducteurs à la reprise. « Les tensions d’approvisionnement ont fait reculer la croissance de la zone euro à un creux de six mois en octobre et porté l’inflation des prix à un record historique », note ainsi l’entreprise d’information économique IHS Markit.
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Du côté des prix de l’énergie, le versant géopolitique s’ajoute aux problématiques économiques. La hausse titanesque des prix du gaz, par exemple, résulte en partie des tensions européennes avec le fournisseur russe Gazprom. Problème, le prix du gaz se répercute automatiquement sur ceux de l’électricité (c'est le principe du coût marginal) qui ont décollé de 400 % en six mois. Ils correspondent aux coûts de production de la dernière centrale appelée sur le réseau pour fournir la demande… centrale qui fonctionne au gaz.
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Coût marginal
C'est le coût que l’entreprise va devoir débourser pour produire la dernière unité de bien (par exemple pour produire le dernier t-shirt sorti de l’usine).
« En 2021, l’inflation a fortement augmenté », indique l’Insee dans une note de conjoncture parue mi-décembre. « Nulle en décembre 2020 (0,0 % sur un an), elle s’élève désormais à + 2,8 % en novembre, selon l’estimation provisoire. Cette hausse a été principalement tirée par les prix de l’énergie : ces derniers, après être descendus à des niveaux particulièrement bas en 2020, se sont en effet vivement redressés depuis, dans le contexte de la reprise économique mondiale. »
Le secteur de l’alimentaire « obligé d’augmenter ses prix »
C’est la principale question qui émane de cette situation : dans quelle mesure la hausse des coûts de production va-t-elle se répercuter sur les prix à la consommation, et donc le portefeuille des ménages ? « Entre septembre et novembre, les prix à la consommation des produits manufacturés n’ont en moyenne augmenté que de 0,5 % sur un an », note l’institut. Et de nuancer : « La hausse de prix de production ne se répercute pas de façon immédiate ni complète. »
Début décembre, Michel-Edouard Leclerc, PDG de la chaîne de magasins éponyme, présageait d’une forte hausse des prix alimentaires en avril 2022. Ce qui va dans le sens des projections de l’Insee, qui prédit notamment une hausse des prix de l’alimentaire de 2,4 % d’ici à juin 2022. Le secteur de l’alimentaire a « réussi à contenir, en grande majorité, la hausse des coûts de production jusqu’à maintenant. Mais, face à l’inflation qui persiste ils vont être obligés d’augmenter leur prix », explique Richard Panquiault, président de l’institut de liaisons des entreprises de consommation (ILEC) à Midi Libre.
Dans un entretien à Ouest-France, Damien Lacombe, président de Sodiaal, la première coopérative laitière de France « lance un cri d’alarme pour que toute la grande distribution prenne conscience de l’importance de répercuter ces inflations jusqu’au consommateur ». De son côté, le Syndicat national des labels avicoles de France (Synalaf) a appelé « les différents acheteurs à revaloriser leur prix d’achat, pour assurer la pérennité des élevages ».
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Le gouvernement et la BCE se tiennent prêts
Afin de soulager les fournisseurs et leurs marges, la distribution devrait logiquement augmenter les prix de vente de ses produits. L’Insee prévoit de ce fait une inflation de 2,7 % au début de l’année 2022. Principaux concernés : le pain ou les pâtes, du fait de la flambée des prix du blé, ou encore le café, dont les coûts de transport maritime ont augmenté alors que les récoltes souffraient d’un manque de pluie au Brésil. Le textile, également, devrait pâtir de l’augmentation du prix du coton, alors que l’automobile et l’électroménager accusent toujours le coup de la pénurie de semi-conducteurs.
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Inflation par les coûts
Hausse générale des prix causée par une augmentation des coûts de production, généralement le coût du travail (le salaire) ou celui des matières premières.
Bercy a déjà annoncé un plan pour aider les entreprises à faire face à leurs difficultés d’approvisionnement, et les banques centrales, dont l’objectif demeure d’éviter une inflation supérieure à 2 %, sont déjà en ordre de marche pour intervenir. « La Banque centrale européenne n’a pas les moyens d’augmenter ses taux directeurs (ce qui aurait pour effet de freiner l’inflation, au détriment de la croissance, NDLR), parce que la croissance européenne est loin d’être satisfaisante », estime toutefois Stéphane Auray.
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Taux directeurs
Le taux de prêt marginal, le taux de rémunération des dépôts et, surtout, le taux de refinancement, sont les instruments de la Banque centrale européenne pour maîtriser l’inflation. Le taux de refinancement est celui auquel les banques empruntent aux banques centrales. Pour réaliser un profit, les banques doivent donc fixer leurs propres taux à une valeur supérieure. Plus le taux directeur est élevé, plus le taux d’intérêt des banques l’est aussi : et plus le taux d’intérêt est élevé, moins les ménages empruntent, ce qui réduit la masse monétaire et donc l’inflation.
Or, sans intervention sur le plan de la politique monétaire, l’inflation pourrait bien se pérenniser, voire empirer, rappelle le professeur d’économie : « Aux États-Unis, les salaires ont déjà augmenté depuis le début de la pandémie. Il est probable que les entreprises répercutent ces coûts sur les prix de vente en Europe également. Cette inflation devrait perdurer, s’installer, avec une marge d’intervention des banques centrales limitée étant donné les taux de croissance. » De quoi craindre une spirale inflationniste.
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Spirale inflationniste
Cercle vicieux où l’inflation s’amplifie sous l’effet d’un enchaînement entre l’augmentation des prix et celle des salaires (d’où son autre nom de spirale « prix-salaires »). En effet, si les salariés demandent une revalorisation de leurs salaires, les profits des entreprises vont diminuer, ce qui va les inciter à augmenter le prix de leurs produits (on répercute les hausses de salaire).