À l’instar de la marque Président, du groupe Lactalis, qui a longtemps signé les campagnes publicitaires de son beurre avec cette formule programmatique : « Bien manger, c’est le début du bonheur. » Peu près, c’est Coca-Cola, le géant mondial du marketing, qui en a fait son slogan jusqu’en 2016, avec son accroche « Open Happiness », traduite en français par « Ouvre un Coca-Cola. Ouvre du bonheur. » Pour moins de un euro, n’importe qui peut donc s’offrir 25 cl d’allégresse.
Cette stratégie a permis au géant d’Atlanta de ne plus vendre un simple soda, mais une expérience. Que rêver de plus ? « Le bonheur, ce n’est pas une pilule que l’on avale, c’est plus complexe que ça. Ce n’est pas boire un Coca qui compte, mais avec qui et quand on le fait », confirme Ronan de Kervenoael, professeur du département Marketing de la Rennes Business School.
Pincer la corde familiale
Depuis, de nombreuses marques ont également labouré le champ du bonheur. Tout récemment, le traiteur Sodebo a misé sur le lien d’écriture qui part du « Bon » et mène au « BONheur ». Depuis janvier dernier, la marque a déployé sa nouvelle signature : « Sodebo, se nourrir de bonheur ». Dans un film publicitaire de 90 secondes, les producteurs nous ramènent dans les années 1970, l’époque de la création de cette entreprise familiale, pour nous faire découvrir l’attention portée par les trois jeunes sœurs à préparer de bons petits plats pour un vieux monsieur très seul.
L’agence Off Works qui a développé la campagne évoque « un film à la nostalgie souriante et gaie, évocateur de bonheurs simples et qui porte le message d’une entreprise de tradition résolument tournée vers l’avenir ». Là encore, ce petit moment de félicité est à la portée de toutes les bourses – très exactement 4,99 euros pour une salade de pâtes Venezia et ses fromages italiens.
La théorie de la félicité selon Einstein
En 2017, une lettre du grand physicien et théoricien donnant sa définition du bonheur s’est vendue 1,56 million de dollars. Albert Einstein y écrivait : « Une vie tranquille et modeste apporte plus de joie que la recherche du succès, qui implique une agitation permanente. »
Face au succès de cette thématique porteuse, la grande distribution s’est à son tour mobilisée autour de ces petits bonheurs simples et accessibles. Après des années axées sur le prix, plusieurs enseignes ont fait évoluer leur discours vers quelque chose de plus sentimental.
Intermarché est même allé jusqu’à vendre de l’amour dans un film publicitaire fleuve où un jeune homme trouve chaque jour une raison de passer dans un magasin de l’enseigne pour apercevoir la caissière dont il est tombé amoureux. En gommant l’aspect « corvée » des courses au profit de l’espoir de trouver l’amour au détour d’une tête de gondole, les publicitaires ont permis aux hypermarchés de changer de paradigme.
Vendre du rêve en bouteille, c’est également le prérequis de l’industrie du parfum qui, à coups d’investissements marketing colossaux, nous incite à acheter un bel objet, un effluve délicat, mais surtout un état d’esprit. Évidemment, amour et bonheur sont souvent logés à la même enseigne.
Des logos tout sourire
Le cas le plus évident de marque annonçant la couleur est celui d’Amazon. Le géant mondial du e-commerce affiche son message dans la flèche en forme de sourire qui vient ponctuer son logo. Ce dessin symbolise à la fois les missions de l’entreprise, qui livre des produits d’un point du globe à un autre, la richesse de l’offre proposée et en point d’orgue, la satisfaction client.
Avant lui, d’autres marques ont tout fait pour réjouir leurs consommateurs. On peut citer Colgate et Danone, dont les logos sont également soulignés d’un sourire. Pour le dentifrice, le lien est clair, pour la consommation de yaourts, un peu moins. Autre géant mondial présent sur ce créneau, McDonald’s a baptisé son menu enfant Happy Meal et décoré la boîte qui le contient d’un sourire de clown stéréotypé.
Au-delà des campagnes publicitaires, le secteur est allé jusqu’à nommer ses produits façon méthode Coué… L’oscar du nom de marque le plus « feel good » du marché revient ainsi au best-seller de Lancôme, La Vie est Belle. Depuis son lancement, en 2012, ce parfum aux notes doucereuses est d’ailleurs toujours dans le top 5 des meilleures ventes.
Réfléchir avant d’acheter
Mais attention, l’injonction au bonheur a ses limites. D’abord, elle fera fuir les éternels grincheux. Ensuite, la recherche d’un bonheur low cost ne satisfait plus le consommateur, qui en veut davantage. La recherche du bien-être au sens large est en passe de détrôner le bonheur. Les études de marché et enquêtes d’opinion le soulignent les unes après les autres : les gens sont en quête de sens.
Remplir son Caddie sans trop réfléchir ne satisfait plus le consommateur.
Ronan de Kervenoael,professeur du département Marketing de la Rennes Business School.
Dans le cadre d’un travail de recherche intitulé « Évolution des monnaies locales et légitimation du local »*, une équipe de quatre professeurs est arrivée à la conclusion que le bonheur est relié à l’effort. « Remplir son Caddie sans trop réfléchir ne satisfait plus le consommateur, qui a pris conscience que le bonheur n’est pas dans les courses ou la possession. On le trouve plus dans l’effort que dans l’immédiateté d’un achat », décrypte Ronan de Kervenoael.
Réfléchir avant d’acheter, choisir le petit artisan local pour offrir un cadeau différent, même s’il faut attendre 10 jours qu’il soit prêt et passer le chercher à son atelier, voilà qui rend plus heureux qu’un achat flash sur internet. Prévoir, préparer, être prévenant… Ces derniers temps, le bonheur est dans le « près ».
Note
* Article « Local Currency Movements and Spatialized Legitimation Work of The Local », par Ronan de Kervenoael et Laurence Fort-Rioche (Rennes Business School), Alexandre Schwob et Valentina Kirova (Excelia group)