Boris est français. S’il est un geste qu’il fait sans y penser, c’est jeter. À coups de pressions sur la pédale de sa poubelle, il se débarrasse de 568 kilos de déchets chaque année, comme chaque Français en moyenne, d’après l’Ademe. C’est l’équivalent de 77 canettes de soda vides… par jour.
Cela fait bien 20 ans que Boris utilise des bacs jaunes, verts, bleus. Il trie ses déchets. Ce citadin se dit qu’il n’y a pas de problème à jeter, puisque les déchets sont ensuite recyclés. Il a tort.
Pour pouvoir être recyclé, un déchet doit d’abord être trié et collecté. En France, les mairies collectent les déchets ménagers alors que les entreprises sont responsables de ceux qu’elles génèrent. D’ailleurs, certaines se regroupent en éco-organismes pour collecter des déchets sensibles comme les piles, les cartouches d’encre ou les médicaments.

Boris est rassuré. Le contenu de ses poubelles est régulièrement collecté et acheminé vers un centre de tri. Sur place, ses déchets sont classés par matériaux et préparés au recyclage. À ce stade, Boris se dit que tout va bien : ses bouteilles en plastique vont devenir des polaires, ses canettes en aluminium de futures gourdes, son vieux matelas l’isolant d’une future maison… Générer des déchets, quand ils sont aussi bien triés et collectés, où est le problème ?
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La moitié de votre poubelle n’est pas recyclée
Sauf qu’en réalité, seule une partie de ce que Boris jette est recyclée et réutilisée. D’après Eurostat, en 2017 en France, 42,9 % des déchets ménagers ont été recyclés. C’est certes 10 points de plus qu’en 2007, mais on n’est pas encore à l’objectif fixé par l’Union européenne : atteindre au minimum 50 % de déchets ménagers recyclés en 2020.
Surtout, tout ne se recycle pas de manière équivalente. Le diable se niche dans les détails : si 90 % des textiles étaient recyclés en 2015, c’était seulement 1,7 % pour les produits chimiques, précise l’Ademe.
Boris commence à comprendre que se débarrasser de son vieux T-shirt n’équivaut pas à jeter un fond de détergent pour canalisations. Mais il s’interroge : même s’il réduit ses déchets et s’il privilégie ce qui se recycle facilement, son action aura-t-elle un impact sur le volume des déchets à l’échelle de la planète ?
9 déchets sur 10 viennent des entreprises et collectivités
Les efforts de chacun permettent forcément de réduire le volume total des déchets, mais il a raison de s’interroger. Les ménages ne génèrent qu’une très faible part des ordures – 8,5 % précisément, en 2016, d’après Eurostat, alors que les entreprises et collectivités génèrent 91,5 % du total des déchets, d’après Eurostat. C’est le secteur de la construction qui produit le plus de déchets : 36,4 % du total, sans surprise, puisque l’on s’intéresse ici au poids. Viennent ensuite les industries extractives, 25,3 %, et les industries manufacturières, 10,3 %.
Le recyclage aura donc un impact environnemental d’autant plus considérable qu’il sera mis en œuvre par les acteurs économiques qui génèrent le plus de déchets : les entreprises. Qu’en est-il du BTP, par exemple ? La plupart des déchets du secteur sont des gravats composés de béton, tuiles, briques et vitrages.
D’après le réseau des Cerc, les observatoires régionaux de la filière construction, 31 % de ces gravats sont recyclés en France. Pourtant, une directive européenne adoptée en 2008 fixait un objectif de valorisation de 70 % des déchets non dangereux du secteur de la construction et de la démolition à horizon 2020.
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Carton réutilisable 10 fois, verre… à l’infini
Pourquoi si peu de recyclage ? D’abord, selon leur nature, les déchets sont plus ou moins faciles à recycler, techniquement parlant. Peu de difficulté pour les cartons ou le papier, à condition qu’ils n’aient pas été imbibés de matière grasse. Une fois collectés, les vieux journaux, boîtes à chaussure ou boîtes de céréales sont transformés en une pâte à papier réutilisable jusqu’à une dizaine de fois.

Les emballages en acier comme les boîtes de conserve sont pressés, fondus puis reconditionnés en lingots ou bobines. Les feuilles de papier aluminium en revanche, trop fines, ne sont pas recyclables. Les champions restent les contenants en verre, seule matière qui se recycle à l’infini !
Attention toutefois, autant les emballages en verre se recyclent bien, autant la vaisselle, les vitres ou les vases nécessitent une température de fusion plus élevée pour laquelle les usines de traitement ne sont pas adaptées.
75 % des emballages plastiques non recyclés
En 2015, déchets ménagers, industriels et commerciaux confondus, 74,8 % des emballages en verre étaient recyclés, 91,3 % des emballages en carton ou papier, 54,8 % de ceux en acier. En revanche, seuls 25,5 % des emballages en plastique l’étaient, d’après une note technique publiée à partir de données de l’Ademe et de Citeo.
Le plastique constitue en effet le talon d’Achille du recyclage : 90,5 % du plastique produit dans le monde n’a jamais été recyclé, d’après une étude publiée en 2018 dans la revue scientifique américaine, Science Advances. En France, sur la totalité des produits en plastique mis sur le marché, la part de matières premières recyclées incorporées s’élève à seulement 6 %, d’après une enquête du magazine 60 Millions de consommateurs.
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Hormis les emballages, d’autres types de déchets sont également problématiques. « Il est de plus en plus difficile de séparer les matières qui composent l’électronique miniaturisée », souligne ainsi Marilyne Viales, chargée de l’information auprès du grand public à l’Ademe.
Recycler ou… exporter
Avant de soulever un point crucial : « Le recyclage doit toujours être rentable économiquement. » Une limite primordiale. Les freins ne sont pas seulement techniques, ils sont aussi économiques. Recycler coûte cher. Surtout lorsque la composition est complexe. Les déplacer ailleurs s’avère parfois plus rentable.
« En France, recycler ces matériaux coûte environ 30 000 euros la tonne chez un cimentier et 80 euros la tonne dans une décharge. Mais si vous trouvez quelqu’un qui l’exporte en Asie entre 5 et 10 euros la tonne, c’est encore moins cher. C’est un mécanisme vicieux », affirmait Jean-Christophe Gavallet, membre du directoire du réseau déchets France nature environnement fin juillet à 20 Minutes.
En 2016, la France exportait 14 millions de tonnes de déchets, principalement vers l’Espagne ou la Belgique, mais aussi vers la Chine. Si depuis 2017, Pékin a interdit la plupart de ces importations, les déchets ont trouvé de nouvelles destinations : Malaisie, Philippines, Vietnam ou certains pays d’Afrique comme le Mali, le Congo ou le Burkina Faso. Les pays exportateurs sont alors peu regardants sur le recyclage réel des déchets envoyés. D’après un rapport de la Banque mondiale, en Afrique subsaharienne, seuls 7 % des déchets reçus sont recyclés ou récupérés.
Au législateur d’agir
Pour Paul Berthet, directeur de l’association Aremacs qui éduque au recyclage lors d’événements sportifs et culturels, la balle est dans le camp des décideurs politiques : « Si un objet coûte trop cher à recycler, alors c’est au législateur d’agir et de réglementer pour interdire la production de ces futurs déchets qu’on ne va pas valoriser. »
Boris est un peu déboussolé. Lui qui pensait qu’il suffisait de trier… Il vient d’ailleurs de lire dans le rapport sur la gestion des déchets de la ville de Paris, où il vit, que seuls 18,5 % de la totalité des déchets récoltés en 2016 ont été recyclés.
En 2020, c’est décidé, Boris essaiera de mieux consommer.