Sociologie
Santé, environnement... Le consom’acteur, inspirateur d'un virage industriel
Sélection abonnésDepuis une dizaine d’années, une armada de consommateurs engagés réclament des produits plus respectueux de la santé et de l’environnement. Grâce aux applis comme Yuka, ils obligent les industriels à changer leurs pratiques.
Laura Wojcik
© Jack Sparrow / Pexels
Ils sont tapis entre les boîtes de conserve, les brumes glacées du rayon surgelés et les rangées de biscuits pour le petit déjeuner : les scanneurs compulsifs. Ces clients dégainent leur téléphone au moindre doute, lancent des apps comme Yuka et bipent chaque code-barres pour décrypter une liste obscure d’ingrédients.
Corinne, 55 ans, fait partie de ces consommateurs avertis. « J’ai téléchargé Yuka il y a un an et ça a tout changé sur ma façon de consommer. À la fois pour les produits alimentaires et les cosmétiques. Je me suis aperçu que mes produits de beauté étaient bourrés de cochonneries, que des céréales et des gâteaux bio soi-disant sains étaient pleins de sucres. »
Depuis, cette mère de famille a jeté les produits notés « mauvais » et banni les « médiocres ». Comme elle, plus de 11 millions de consommateurs français utilisent Yuka pour décoder leurs étiquettes. Des clients conscients et engagés qui s’appellent entre eux les « consom’acteurs ».
Ils sont tapis entre les boîtes de conserve, les brumes glacées du rayon surgelés et les rangées de biscuits pour le petit déjeuner : les scanneurs compulsifs. Ces clients dégainent leur téléphone au moindre doute, lancent des apps comme Yuka et bipent chaque code-barres pour décrypter une liste obscure d’ingrédients.
Corinne, 55 ans, fait partie de ces consommateurs avertis. « J’ai téléchargé Yuka il y a un an et ça a tout changé sur ma façon de consommer. À la fois pour les produits alimentaires et les cosmétiques. Je me suis aperçu que mes produits de beauté étaient bourrés de cochonneries, que des céréales et des gâteaux bio soi-disant sains étaient pleins de sucres. »
Depuis, cette mère de famille a jeté les produits notés « mauvais » et banni les « médiocres ». Comme elle, plus de 11 millions de consommateurs français utilisent Yuka pour décoder leurs étiquettes. Des clients conscients et engagés qui s’appellent entre eux les « consom’acteurs ».
Mais que peuvent-ils réellement face aux mastodontes de l’industrie ? Sont-ils suffisamment bien armés pour dézinguer les pratiques et recettes néfastes ?
À lire La consommation est-elle l'objectif ultime de l’économie ?
La mutation du consommateur
Ces consommateurs intransigeants sont de plus en plus nombreux, de mieux en mieux informés. Le baromètre 2019 de la consommation responsable coédité par Greenflex et l’Ademe pointe que 80 % des consommateurs souhaitent limiter l’impact environnemental de leur consommation ; 44 % des clients interrogés privilégient l’achat d’un produit bon pour la santé et 38 % veulent des produits bons pour la planète.
Pendant 20 ans, Christophe Brusset a acheté emballages et produits alimentaires pour garnir nos supermarchés. Dans ses ouvrages Vous êtes fous d’avaler ça ! puis Et maintenant, on mange quoi ? (Flammarion), il dénonce les manquements de l’agro-industrie.
Éco-mots
La grande distribution s'oppose au petit commerce indépendant. C'est l’ensemble des commerces de détail de biens de consommation, en libre service, dans des points de vente de grande surface.
Au fil du temps, l’ancien trader a vu les consommateurs s’emparer de leur alimentation : « En 2001, des raviolis au bœuf Leader Price avaient été fourrés aux bas morceaux de volaille. Personne n’avait relevé. En 2013, la même chose se produit avec les lasagnes au cheval et ça fait un scandale. J’ai compris que les consommateurs avaient changé et n’étaient plus prêts à accepter n’importe quoi. »
Un impact potentiellement redoutable
« Le consom’acteur est un consommateur qui regarde aussi les pratiques cachées par l’entreprise. Aujourd’hui, nous avons de plus en plus d’informations grâce aux lanceurs d’alerte ou aux journalistes », glisse Bulent Acar, cofondateur de la plateforme de boycott citoyen I-buycott.org.
Son association a aussi opté pour la création d’une app en octobre 2018. Après chaque scan de code-barres, « Buy or not » indique au consommateur si une campagne de boycott a été engagée contre une marque.
« On peut changer les choses par la consommation. À chaque fois que vous dépensez de l’argent, vous votez pour le type de produit que vous voulez. L’impact des consommateurs peut être redoutable si on arrive à s’organiser. »
Depuis son lancement, en 2015, la petite initiative a fait plier des géants comme Oasis, Lustucru ou Petit Navire grâce à presque 209 000 consom’acteurs engagés. Depuis, ces marques boycottées ont pris des engagements pour préserver la planète ou des espèces animales jusque-là exploitées.
En plus de ces apps de décryptage, le consom’acteur peut aussi se laisser guider par des labels reconnus : Agriculture Biologique, Label Rouge ou Fair Trade.
Éco-mots
Marque apposée sur un produit pour certifier qu’il a été fabriqué dans les conditions fixées par le label.
À lire Le consommateur dans la jungle des labels alimentaires
Fin 2018, la coopérative Ethikis a développé le label Longtime, pour mettre en avant les biens de consommation réparables et durables. Une manière d’accompagner aussi les consom’acteurs aux rayons électronique et électroménager.
« Pour acheter une machine à laver, un vélo électrique ou un ordinateur, il n’y avait pas ce type d’information, souligne Elsa Lomont, cofondatrice du label. Or, quand on plébiscite des produits plus durables, on envoie un message aux fabricants. »
À Bruxelles, lobbies contre lobbies
« Chaque victoire est obtenue contre l’industrie et le politique, dénonce Christophe Brusset, ex-trader de l’agro-industrie. À Bruxelles, vous avez presque plus de lobbyistes que d’employés de la Commission Européenne. C’est pour ça qu’aujourd’hui vous avez autant de règlements qui vont dans le sens de l’industrie et pas du tout dans l’intérêt du citoyen. » Difficile de donner tort à ce lanceur d’alerte.
L’ONG Transparency International décompte 37 300 personnes impliquées dans des activités de lobbying à Bruxelles contre 33 000 employés pour la Commission Européenne.
Selon le registre commun de la Commission et du Parlement européen, 11 800 organisations sont déclarées comme représentantes d’intérêts, dont 6 000 environ sont liées à des entreprises ou des associations de professionnels. Au total, toujours selon ce registre, 4049 organisations s’intéressent de près ou de loin à la consommation.
Mais combien de ces acteurs défendent directement les intérêts et la santé des 500 millions de consommateurs européens ? En plongeant plus précisément dans les données du registre européen, on se rend compte que seule une petite soixantaine d’organisations et d’associations de consommateurs sont enregistrées à la Commission européenne, tous pays confondus.
Parmi ces ONG, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et ses 35 salariés qui représentent une quarantaine d’associations européennes de consommateurs.
Les messages des consommateurs sont-ils entendus ? « Certaines enseignes commencent à se poser des questions et sont prêtes à reconsidérer profondément leurs pratiques », se réjouit la Toulousaine Elsa Lomont, cofondatrice d’Ethikis.
« Les applications sont vraiment importantes, car elles révèlent ce que peuvent nous demander les clients”, confirme Barbara Bidan, directrice santé et alimentation durable chez Fleury Michon.
Avec l’avènement du scan de produits, certains industriels ont déjà accepté de modifier leurs recettes pour les rendre plus Yuka-compatibles. En septembre 2019, Intermarché a annoncé retirer 142 additifs nocifs des recettes de 900 produits.
À lire Quand l’appli alimentaire Yuka bouscule l’enseigne Intermarché
Chez Fleury Michon, c’est une gamme de jambons sans nitrites, très Yuka-friendly, qui a été lancée début 2019. Mais la marque nie avoir changé pour coller aux attentes de l’algorithme.
« Ces outils de décryptage ont d’abord eu pour avantage de révéler [au consommateur] le travail opéré par Fleury Michon depuis 20 ans. Quand on disait qu’on mettait moins de sel, moins de gras, moins d’additifs, les consommateurs pouvaient ne pas nous croire. Là, avec ces outils, ils voient mieux comment on fabrique nos produits », souligne Barbara Bidan.
« Certaines marques font semblant »
Mais attention. Ce n’est pas parce qu’un bataillon de consommateurs peste que les recettes deviendront claires comme de l’eau de roche. D’abord parce que ces clients ne savent pas tout. Des applications comme Yuka peinent à pénétrer toutes les arcanes de la fabrication.
Impossible, par exemple, de débusquer des additifs cachés ou des taux de pesticides particulièrement élevés. « Quand des industriels ne déclarent pas des additifs, personne ne saura qu’ils sont présents. Et pour beaucoup d’additifs, l’évaluation de leur dangerosité n’a pas été faite ou a été mal faite par les industriels », précise Christophe Brusset.
Autre difficulté : des discours hypocrites, des entourloupes marketings et de grosses couches de vernis vert. Exemple : au milieu des labels officiels et minutieusement contrôlés, de grossiers faux labels marketing, comme le dénonce Christophe Brusset.
« Ce sont des inventions de certaines entreprises. Le cahier des charges n’est pas transparent et il n’y a aucun contrôle par un organisme officiel. Si demain on crée un logo avec un joli design et bardé d’un “fraîcheur garantie”, ça n’est pas interdit. »
Les entreprises qui ont de bonnes pratiques environnementales et sociétales devraient être moins taxées.Julie Stoll,
directrice de Commerce Équitable France.
Et puis certains engagements verts détonnent avec le maintien de modes de production et de distribution polluants et nocifs. « Certaines marques font semblant. Par exemple, vous ne pouvez pas vous dire engagé en faveur d’une consommation plus responsable et faire des opérations de Black Friday », regrette par exemple la cofondatrice du label Ethikis.
Des mesures législatives et économiques plus incitatives peuvent-elles favoriser les acteurs les plus vertueux et prendre le relais de la démarche engagée par les consommateurs ?
« La fiscalité est un levier. Les entreprises qui ont de bonnes pratiques environnementales et sociétales devraient être moins taxées. Les marchés publics comme les cantines pourraient aussi soutenir certaines filières plus écologiques et équitables », suggère Julie Stoll, directrice de Commerce Équitable France.
Pour aller plus loin
Registre commun de la Commission et du Parlement européen, qui répertorie les lobbyistes enregistrés à Bruxelles.
« Peut-on compter sur la grande distribution pour "bien manger"? », émission Du grain à moudre de France Culture, 2 octobre 2018.
Vous êtes fous d’avaler ça ! et Et Maintenant, on mange quoi ?, de Christophe Brusset, Flammarion, 2015 et 2018.
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