Le manager d’un club de base-ball de seconde zone recrute un mathématicien et parvient, malgré un budget réduit, à composer une équipe en or. Ce scénario du film Le Stratège retrace l’histoire vraie de Billy Beane, patron des Athletics d’Oakland au début des années 2000.
Confronté à une fuite de ses meilleurs talents vers des clubs offrant de meilleures rémunérations, il reconsidère la valeur de chaque joueur sur la base de statistiques et déniche des potentiels insoupçonnés… Une stratégie gagnante.
À lire Job du futur ? Data scientist
Depuis, l’exploitation des données numériques a fait des émules sur les terrains. Son utilisation se développe de manière exponentielle depuis 2016 chez les professionnels. Mais les prémices de l’utilisation des statistiques dans le sport datent des années 1950 !

À cette époque, Charles Reep, un Britannique ancien commandant de la Royal Air Force, se passionne pour le football. Durant des années, armé de son stylo et de son calepin, il note tout. Il veut comprendre ce qui fait que certaines équipes gagnent.
« Il est arrivé à la conclusion que 80 % des buts étaient marqués sur des actions de trois passes ou moins. De là est née la stratégie du “long ball”, qui consiste à marquer après un minimum de passes, en privilégiant de longs lancés vers l’avant », raconte Gautier Stangret dans son livre Le football est une science (in) exacte.
Big data
Énorme volume de données, structurées ou non, difficilement gérables avec des solutions classiques de stockage et de traitement. Elles proviennent de sources diverses et sont pour la plupart produites en temps réel.
Accéléromètre, gyromètre et magnétomètre
Depuis 25 ans, avec l’avènement des technologies numériques et la miniaturisation des capteurs, la récolte et l’analyse des statistiques sont entrées dans une nouvelle ère. Les pros du foot ou du rugby ne peuvent plus s’en passer.
« Les principaux clubs ont tous recruté des analystes de données », affirme Gautier Stangret. Les sports qui se pratiquent en extérieur, où il y a un intérêt à mesurer la vitesse, les déplacements, les accélérations, les chocs, sont les plus demandeurs.
Comment collecter les données ? À l’aide de minuscules capteurs portés par les sportifs, mais aussi de caméras placées autour du terrain. L’Australien Catapult et l’Irlandais StatSports comptent parmi les fabricants leaders du marché. Ils commercialisent des capteurs pour le football, le hockey, le rugby, le football américain, le cricket…
Le PSG, l’équipe de rugby à XV d’Afrique du Sud et celle d’Angleterre sont par exemple équipées par StatSports. En France et aux États-Unis, la société parisienne McLloyd adresse ce marché. Elle fournit par exemple l’équipe de football de Rennes et celle d’Auxerre ou le club de rugby d’Angoulême.
« Nos systèmes combinent un accéléromètre, un gyromètre, un magnétomètre. »
William Dien,responsable commercial et communication chez McLloyd.
« Le défi technique a consisté à miniaturiser la technologie, à la rendre résistante aux chocs, tout en gardant une batterie qui tienne tout un match », souligne-t-il. Les données sont transmises en temps réel à un serveur et des logiciels de gestion des performances sportives les analysent. L’équipement coûte entre 5 000 et 40 000 euros par an selon les options et le nombre de joueurs.
Prévenir les blessures
Julien Redon est le préparateur physique de l’AS Nancy-Lorraine. Pour préparer au mieux les footballeurs, il s’attarde sur la distance parcourue par chacun, les distances à très haute intensité, les accélérations : « Les données nous permettent de définir des axes de progression pour chaque joueur, on individualise l’entraînement. »
Pour l’entraîneur de rugby Adrien Buononato, « la première utilité des données, c’est de prévenir les blessures, qui résultent d’un entraînement qui ne correspondrait pas à au vécu du match. Il ne faut ni sous-entraîner ni sursolliciter les joueurs. » Ces statistiques permettent d’obtenir des données objectives, à comparer avec le ressent – forcément subjectif – des joueurs.
« Je ne communique pas les données au collectif, sauf quand on veut les mettre en compétition sur une donnée bien précise, je fixe des objectifs à chacun non pas en fonction des performances des autres, mais de leurs propres performances passées et de leurs axes individuels d’amélioration. »
Nicolas Leroy,directeur de la performance du club de rugby de Soyaux-Angoulême.
Ce qui fait dire à Adrien Buononato, avec qui Nicolas Leroy a longtemps collaboré, que « les données ont permis aux joueurs de mieux se connaître. Elles les ont rendus acteurs de leur entraînement et de leur performance ».
Séquences type et joueur « influent »
Si elles permettent de minimiser les blessures, elles offrent aussi la possibilité d’affiner la stratégie de jeu. « Avec les données, on travaille des “séquences type” c’est-à-dire des enchaînements souvent vécus lors d’une rencontre, que ce soit en attaque ou en défense. J’affine leur préparation en fonction du type de jeu que je souhaite », précise Adrien Buononato.
Dans le foot, les statistiques influencent le mercato. En avril 2021, l’international belge Kevin De Bruyne a obtenu sa prolongation de contrat avec Manchester City jusqu’en 2025 en mandatant des analystes de données qui ont évalué son influence au sein de l’équipe et projeté ses succès futurs.
On recrute aussi sur la base des données. L’un des premiers entraîneurs français à avoir osé fut Arsène Wenger. Dans les années 2000, il recrute Mathieu Flamini, 20 ans à peine, pour remplacer Patrick Vieira. Il a déduit des statistiques qu’il parcourait autant de kilomètres sur le terrain et faisait autant de touches que son prédécesseur. « Ce recrutement a particulièrement bien fonctionné », se souvient Gautier Stangret : « Les données sont le meilleur outil pour repérer des joueurs sous évalués par le marché. »
Julien Redon confirme : « Avant, on regardait les vidéos des performances du joueur, maintenant, avec les données statistiques, on peut vraiment cibler celui qui convient à la stratégie du coach. » Attention toutefois, le mental du joueur, son sens du collectif, sa capacité de travail comptent beaucoup et les statistiques seules ne suffisent pas à repérer cette « performance cachée ».
Reste que ce marché des données sportives a de beaux jours devant lui. À l’échelle mondiale, il pesait 3,4 milliards de dollars en 2020 et devrait croître à 14 milliards de dollars à l’horizon 2027, d’après un rapport publié en avril 2021 par un cabinet d’études américain.
Pour aller plus loin
Le livre Sport data révolution : l’analyse de données au service de la performance sportive, d’Andy Hyeans, Dunod, 2016.
Le livre Le football est une science (in) exacte. Entraîneurs, joueurs, journalistes, spectateurs : comment le big data a changé le visage du football ?, de Gautier Stangret, Amphora, 2017.
Le film Le Stratège, de Bennett Miller, 2011.