Economie
Super League : le Covid a révélé les failles du foot business
Sélection abonnésLe sport professionnel européen, c’est à la fois des compétitions organisées par des associations, des clubs gérés par des entreprises non rentables et des salariés aux rémunérations hors norme. Ces contradictions viennent d’éclater dans le foot avec l’affaire de la Super League.
Yves Adaken
© Stephen Chung/ZUMA Press/ZUMA/RE
« La pandémie est en train de tous nous ruiner […] Si on ne fait rien, en 2024, on sera tous morts. » Interviewé le 18 avril dernier par L’Équipe, le président du Real Madrid, Florentino Pérez, dramatise à outrance pour justifier le projet, annoncé deux jours plus tôt, d’une Super League de foot, concurrente de la Ligue des champions.
Plombé par un plan com’ désastreux, le projet est en effet déjà mort-né. Une levée de boucliers générale a contraint neuf des douze clubs qui en étaient à l’origine, à se retirer. Mais la question de l’avenir du foot européen reste posée. Pour 2020-2021, les pertes cumulées des clubs du Vieux Continent pourraient atteindre six milliards d’euros !
Cela dit, la fin annoncée des mesures de confinement laisse entrevoir le retour des fans dans les stades. Avec eux, c’est l’un des quatre moteurs du modèle économique du foot et des sports d’équipe – la billetterie – qui va repartir.
La reprise économique devrait quant à elle entraîner celle des recettes publicitaires et du merchandising. Sans compter qu’avec des tribunes à nouveau pleines, les riches clubs anglais dopés aux droits TV devraient recommencer à recruter à tour de bras sur le continent. De quoi réenclencher la machine à cash des transferts.
« La pandémie est en train de tous nous ruiner […] Si on ne fait rien, en 2024, on sera tous morts. » Interviewé le 18 avril dernier par L’Équipe, le président du Real Madrid, Florentino Pérez, dramatise à outrance pour justifier le projet, annoncé deux jours plus tôt, d’une Super League de foot, concurrente de la Ligue des champions.
Plombé par un plan com’ désastreux, le projet est en effet déjà mort-né. Une levée de boucliers générale a contraint neuf des douze clubs qui en étaient à l’origine, à se retirer. Mais la question de l’avenir du foot européen reste posée. Pour 2020-2021, les pertes cumulées des clubs du Vieux Continent pourraient atteindre six milliards d’euros !
Cela dit, la fin annoncée des mesures de confinement laisse entrevoir le retour des fans dans les stades. Avec eux, c’est l’un des quatre moteurs du modèle économique du foot et des sports d’équipe – la billetterie – qui va repartir.
La reprise économique devrait quant à elle entraîner celle des recettes publicitaires et du merchandising. Sans compter qu’avec des tribunes à nouveau pleines, les riches clubs anglais dopés aux droits TV devraient recommencer à recruter à tour de bras sur le continent. De quoi réenclencher la machine à cash des transferts.
Déficit structurel
Alors, la crise est-elle une simple parenthèse qu’il faut digérer ? Pas si simple. Car « le foot professionnel européen accuse un déficit structurel », affirme Mickaël Terrien, économiste du sport à l’université de Lille. « Cela n’a rien à voir avec une crise conjoncturelle. »
Éco-mots
Le déficit structurel est le solde négatif des finances publiques quand on ne tient pas compte de la conjoncture.
La France en est l’illustration caricaturale. Pris dans leur ensemble, ses clubs professionnels n’ont pas engrangé le moindre profit opérationnel au cours des 10 dernières années (sauf la saison dernière, grâce aux aides de l’État !) Déficitaires sur leur activité courante, ils dépendent de la vente de joueurs pour, éventuellement, réaliser un bénéfice net.
Les clubs de foot ne sont donc pas des entreprises comme les autres. Dans quel autre secteur d’activité attend-on de gagner à la loterie (des transferts, en l’occurrence) pour équilibrer ses comptes ? Le « ballon rond » est par ailleurs loin de pouvoir prétendre au titre de roi du sport business.
Les ligues fermées des États-Unis lui dament le pion. À commencer par la NFL. La ligue du football américain gagne autant d’argent que les Big Five, les cinq principaux championnats de foot européens.
Des comparaisons que Florentino Pérez a certainement en tête et que l’on devine derrière le projet de Super League. « Nous allons aider le football à occuper la place qu’il mérite. Nous sommes le seul sport global et le seul à compter quatre milliards de fans », a-t-il ainsi argumenté.
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Sa solution : organiser une compétition réunissant les « marques » de foot les plus connues sur la planète.
Une stratégie de croissance mondiale comme réponse à la crise ? « L’enjeu du foot européen n’est pas de gagner plus d’argent, conteste Mickaël Terrien. C’est de ne pas en dépenser plus qu’il n’en gagne. » Il est assez significatif que les classements par la presse des « clubs de foot les plus riches » mettent en avant leurs chiffres d’affaires. Jamais leurs bénéfices ! Et pour cause…
Course aux armements
« Les clubs de première division en Europe sont globalement sur un trend (tendance) d’équilibre », écrivent les économistes Luc Arrondel et Richard Duhautois, auteurs de L’Argent du Football (Cepremap, 2018).
« Ils ne génèrent ni pertes ni profits à long terme : jusqu’à présent, il ne s’agit donc pas d’une activité rentable. » Pourquoi ? « Du fait de son fonctionnement en ligue ouverte, c’est-à-dire avec des promotions et des relégations, expliquent-ils. Ce système d’ascenseur […] augmente l’incitation des équipes de première division à investir dans la qualité (en achetant de bons joueurs, en les payant plus) pour y rester. »
Le sport professionnel est ainsi marqué par une vraie « course aux armements ». Les armes sont ici les meilleurs joueurs du monde. Des superstars en position de force pour négocier leur salaire.
Dans les clubs de foot, la part de celui-ci dans le chiffre d’affaires dépasse souvent 60 %, voire 70 % des recettes. Conséquence, les recettes ont beau croître de 10 % par an depuis 20 ans, les clubs sont au mieux à l’équilibre financier. Et il leur arrive souvent de plonger dans le rouge.
Éco-mots
Marché de « superstars », mode d’emploi
Les marchés du travail dans lesquels évoluent des « superstars », comme le football, ont été très étudiés par les économistes. La règle théorique de rémunération à la productivité marginale ne s’y applique pas. Les salaires y augmentent de façon exponentielle avec le talent, d’où de grandes inégalités.
Car les dépenses de joueurs ne sont pas la seule source de déficit. Le fameux « aléa sportif » impacte aussi la performance économique.
« Le foot professionnel vit à crédit depuis les années 1970 au moins »,Mickaël Terrien,
économiste du sport à l’université de Lille.
Il faut fréquemment boucher des trous. Soit en demandant de l’argent au propriétaire, soit en allant en chercher auprès des banques. Les clubs de foot sont donc en réalité en permanence dans une situation fragile qu’une crise comme le Covid expose au grand jour.
Le Barça aux abois
Le club de Barcelone peut ainsi afficher le plus gros chiffre d’affaires au monde, l’attention se porte désormais sur sa gigantesque dette de 1,173 milliard d’euros. Sur ce total, près de 30 % correspondent à des achats de joueurs dont le paiement a été échelonné. Et 731 millions constituent de la dette à court terme payable dans les 12 mois.
Autrement dit, le Barça est aux abois. Le club comptait d’ailleurs sur la Super League pour l’aider. Le projet prévoyait en effet une enveloppe de prêts (à très long terme) de 3,5 milliards d’euros, à répartir entre membres fondateurs.
Pour la Juventus de Turin, l’intérêt de la mise en place rapide d’une ligue fermée est ailleurs. Cinquième de la Serie A au moment de l’écriture de ces lignes, la « Vieille Dame » n’est pas assurée de participer à la prochaine Ligue des champions. Elle pourrait dire adieu aux confortables dotations associées qui lui ont rapporté 445 millions d’euros en cinq ans.
L’aléa sportif dans toute sa splendeur ! Avec ses 15 places sur 20 réservées à vie aux « grands » clubs européens, la Super League résoudrait ce problème.
Reste que l’objectif n’est pas seulement de garantir l’accès à un gâteau dont on augmenterait la taille (l’objectif affiché étant d’engranger deux fois plus de droits TV que la Ligue des champions).
La Super League prévoyait en effet un mécanisme de plafonnement des dépenses de joueurs à 55 % du chiffre d’affaires contre 64 % en moyenne actuellement pour les 12 clubs fondateurs. Peu de joueurs s’en sont émus. Pourtant, l’idée est clairement de modifier le partage de la rente du foot au profit des propriétaires d’équipes.
Partage de la rente
Andrea Agnelli, le patron de la Juve, a justifié le timing de la Super League par la perte d’attractivité du foot auprès des jeunes générations. Mais c’est un prétexte. Le premier projet de ligue fermée date de la fin des années 1990.
Soit peu après l’arrêt Bosman qui a libéralisé la circulation des joueurs en Europe et donné le signal d’une inflation continue des salaires. D’autres projets ont opportunément émergé par la suite pour obtenir des réformes de la Ligue des champions favorables aux grands clubs, comme en 2016.
Et ce n’est pas fini. Une nouvelle formule prévue en 2024 augmente encore le nombre de matchs garantis aux participants et donc les revenus. Et elle réduit l’aléa sportif pour y accéder. Deux places sont réservées à des équipes prestigieuses qui auraient échoué dans leur championnat national. Accentuant son caractère de ligue « semi-fermée ».
« Si on ne profite pas de cette crise pour construire les bases d’un modèle plus sain, on va au-devant de graves désillusions. » Ce constat de Jean-Luc Mickeler, le patron de la DNCG, le gendarme financier du football français, est partagé par tous les observateurs.
De fait, les propositions de réformes se multiplient. Toutes vont dans le sens de plus de régulation. Qu’il s’agisse d’encadrer les transferts. Ou d’imposer une « taxe sur le luxe » à tous les clubs dépassant un seuil de masse salariale. La foire aux idées est ouverte.
Les droits TV, une vache à lait rétive
Le foot business peut leur dire merci. Les droits télé fournissent aujourd’hui autour de 50 % des recettes des cinq plus grands championnats européens. Une dépendance plus marquée en Angleterre (59 %), en Italie (59 %) et en Espagne qu’en France (47 %) ou en Allemagne (44 %). Et qui peut s’avérer dangereuse. Les déboires de la Ligue 1 avec son diffuseur Mediapro, l’année dernière, sont là pour le rappeler.
En mettant sur la table un montant record de 830 millions d’euros pour seulement sept matchs par journée, le groupe sino-espagnol prétendait pouvoir séduire 3,5 millions d’abonnés à un tarif prohibitif de 25 euros par mois.
En lui attribuant le marché, les dirigeants du foot français ont fait semblant de croire que c’était possible. L’échec annoncé s’est donc produit, privant les clubs de foot français de droits TV pendant de long mois. Jusqu’à ce que Canal + récupère les droits jusqu’à la fin de la saison pour une bouchée de pain.
L’avenir s’annonce très incertain. La question de l’attractivité du football est désormais posée. C’est vrai en France, où la qualité du spectacle offert par la Ligue 1 fait débat et où l’audience des matchs de l’élite a été divisée par deux en 10 ans sur la chaîne cryptée.
Mais on s’interroge aussi à l’étranger. Le contrat de diffusion signé par la Bundesliga pour la période 2021-25 est en baisse de 5 % pour la première fois depuis 2002.
Par-delà les frontières, de multiples études relèvent que les 15-24 ans de la génération Z sont beaucoup moins amateurs de ballon rond, face à une offre pléthorique de loisirs numériques. À en croire certains, ils seraient incapables de suivre une rencontre de 90 minutes.
Mais alors, que leur proposer ? Free a payé 42 millions d’euros le droit de diffuser en quasi direct les buts et les plus belles actions des matchs. Or l’appli, pourtant gratuite, a fait un bide.
L’espoir de faire monter les prix repose désormais sur les Gafam, comme Amazon, qui mise sur le sport pour fidéliser des abonnés à son offre multiservices. Ou sur Dazn, le « Netflix du sport », qui vient de décrocher les droits de la Serie A italienne en partenariat avec l’opérateur télécom TIM. Lequel veut vendre sa 5G et sa fibre optique. Le foot sur écran est-il plus qu’un simple produit d’appel ?
Comment le basket a montré la voie de la Super League
Le projet de lancer une Super League de foot en dehors de l’Union des associations européennes de football (UEFA) n’a rien de farfelu. Il s’appuie sur le régime européen de la concurrence qui permettrait de poursuivre l’UEFA pour abus de position dominante en cas de sanctions.
Il est en fait calqué sur l’EuroLigue de basket, principale compétition interclubs en Europe, qui, à partir de 2000, à l’initiative des grands clubs européens, s’est affranchie de la Fédération internationale de basket (FIBA). Elle est devenue officiellement une ligue semi-fermée en 2016 (11 places permanentes sur 18).
Gérée en association avec l’entreprise américaine IMG, elle a généré un chiffre d’affaires de 454 millions d’euros en 2019. En représailles, la FIBA a lancé une compétition concurrente : la Basketball Champions League.
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