« Il va devenir du dernier chic de rester sédentaire », prédit Gaspard Koenig, philosophe et président du groupe de réflexion GenerationLibre, dans une tribune publiée en février dans le quotidien Les Échos.
Estimant révolu le temps où, grâce aux compagnies aériennes à bas coûts, on prenait l’avion à la moindre occasion, il appelle de ses voeux le slow travel, qu’il traduit en français par « pérégrination ». « Seul ce retour au foyer pourra nous permettre de redécouvrir le voyage dans sa forme essentielle : lente, complexe, hasardeuse, plus profonde que lointaine », estime-t-il.
Cet été, le slow travel est rendu presque obligatoire par les évènements : fermeture de certaines frontières, incertitudes sanitaires et budget réduit vont peser sur les choix des vacanciers. Mais « cela s’inscrit dans un contexte préexistant de changements en profondeur dans les aspirations des Français, qui souhaitent consommer mieux et qui ressentent un fort besoin de ralentissement », explique Guénaëlle Gault, directrice de L’Observatoire société et consommation.
Une étude menée en mai dernier par L’ObSoCo pour l’Agence de la transition écologique (Ademe) montre ainsi que 56 % des Français aspirent à ralentir dans leur vie quotidienne.

La porosité des pratiques
Historiquement, en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de la réduction du temps de travail, on n’a jamais eu autant de temps libre. « Mais comme nous sommes très sollicités et qu’il y a plein de choses que nous avons envie de faire, la pression temporelle va croissant malgré tout », observe Dominique Kreziak, maître de conférences en marketing à l’université Savoie Mont-Blanc.
Cette spécialiste du comportement des consommateurs dans les domaines du tourisme et de l’environnement voit ainsi dans le slow travel une façon « d’avoir prise sur le temps qui passe, de reprendre la main sur le temps ».
La pression temporelle amène souvent les consommateurs à vouloir optimiser leur temps libre. « On observe beaucoup de pratiques de porosité, c’est-à-dire qu’au lieu d’une stricte séparation entre le temps de travail et les semaines de vacances, on constate une imbrication des temps de travail et des temps de loisirs, indique Dominique Kreziak. Pour ceux qui peuvent se le permettre, c’est une façon d’ajouter plein de petites facettes à leur existence, de lui donner du sens. »
Le format de la micro-aventure – partir deux ou trois jours pas loin de chez soi de façon spontanée et économique – en est un exemple.
Toujours les mêmes quêtes
À l’heure du flygskam – néologisme suédois qui signifie avoir honte de prendre l’avion –, les questions environnementales préoccupent les voyageurs. « S’interroger sur son rapport à la nature et à l’environnement s’est presque banalisé, ce qui permet de redonner une valeur symbolique aux destinations de proximité. Ce n’est plus un objet de moquerie que d’aller se balader en forêt à côté de chez soi », remarque Dominique Kreziak.
Il importe toutefois de « distinguer le discours environnementaliste de la réalité des pratiques », prévient l’anthropologue Saskia Cousin, soulignant que ceux qui affirment être préoccupés par l’environnement sont souvent ceux qui prennent ou ont pris le plus l’avion.
Gardons aussi à l’esprit que « la majorité des vacanciers ne prennent pas l’avion », ajoute Saskia Cousin, coauteure de Sociologie du tourisme (La Découverte, 2013). « La formule privilégiée est le départ en vacances en France et les deux motivations principales sont : se reposer et se retrouver avec des proches », souligne-t-elle.
Près de la moitié des séjours se font ainsi en dehors du secteur marchand, dans la famille ou chez des amis. Par ailleurs, environ 40 % des Français ne partent pas en vacances, une proportion qui pourrait augmenter cet été. Attention aux fausses révolutions. Pour Saskia Cousin, "il y a bien sûr des tendances, des modes dans les destinations, mais in fine, c’est toujours la même quête : le plein, le vide, le soi, l’autre. Selon le moyen d’y accéder, sa localisation, la saison, une même plage pourra répondre à ces différentes quêtes ».