Auditionné devant la commission des finances du Sénat ce 22 février, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’est voulu rassurant : « L’économie française est peu exposée à la Russie. Les conséquences de cette crise en Ukraine seront contenues. » Vraiment ?
Pour en avoir le cœur net, on a posé la question à plusieurs spécialistes, après que les Occidentaux ont adopté des sanctions à l’encontre de Moscou. Ceux-ci sont unanimes : « À l’heure actuelle, il n’y aura pas d’impact macroéconomique affolant, mais il faut s’attendre à des conséquences ciblées », résume Olivier Marty, enseignant en économie européenne à Sciences Po et à l’Université de Paris. Concrètement, quelles conséquences économiques pourraient entraîner la guerre en Ukraine pour les Français ?
Hausse des matières premières
Dans un contexte déjà fragilisé par la pandémie de Covid-19, où l’inflation a atteint 2,9 % en janvier 2022, le premier point paraît clair aux yeux des experts : la guerre en Ukraine a déjà, et aura encore, des effets sur le prix des matières premières. En tête, l’énergie bien sûr. « Il s’agit du secteur le plus touché », nous explique Yves Jégourel, professeur des universités et codirecteur de Cyclope, baromètre annuel des marchés mondiaux de matières premières.
Après que la Russie a envoyé des troupes en Ukraine, les prix du gaz en Europe ont atteint des sommets à plus de 130€/MWH alors que plus de 40 % du gaz de l’Union européenne provient de Russie.
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Le prix du baril de pétrole a, lui, dépassé les 100 dollars le 24 février. Un record depuis 2014 ! Les observateurs projettent même 120 dollars. « Concrètement, pour les consommateurs français, ça veut dire une nouvelle augmentation du prix à la pompe, alors même qu’il dépasse déjà 1,80 euro le litre d’essence en moyenne », souligne Olivier Marty.
Tous types d’énergie confondus, le consommateur européen paye déjà sa consommation 30 % de plus qu’il y a un an, rappelle dans une note la banque Edmond de Rothschild. Elle ajoute que si les prix de l’énergie ne déclinent pas avec la situation géopolitique, l’inflation en zone euro atteindrait une moyenne 2022 de 4,0 %.
Inflation
Dans une économie de marché, les prix des biens et des services peuvent varier. Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsqu’il y a une hausse des prix généralisée et non pas seulement de certains produits. Il en résulte que vous pouvez acheter moins de biens et de services pour un euro. Inversement, un euro vaut moins qu’avant. L‘inflation est donc une perte de pouvoir d’achat de la monnaie.
« Sur les produits agricoles, la situation est également tendue », poursuit Yves Jégourel. On pense aux huiles, notamment de colza ou de tournesol, puisque plus de la moitié de la production mondiale en huile de tournesol provient d’Ukraine.
Mais il y a surtout le blé, matière première dont la Russie est le premier pays exportateur au monde, et l’Ukraine, le cinquième. La céréale a vu son prix bondir ces derniers mois : x 2 en 18 mois, +12 % depuis 3 semaines. Ce 24 février, le cours du blé atteignait les 344 euros la tonne sur le marché européen Euronext. Un niveau inédit.
« Cela va faire monter les prix des denrées qui dépendent directement du blé : le prix de la fameuse baguette française pourrait augmenter de 5 ou 10 centimes. Mais aussi la farine ou encore les pâtes », analyse Olivier Marty.
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Enfin, « on n’y pense un peu moins, mais il y a aussi des risques sur les marchés des métaux », prévient Yves Jégourel. L’aluminium, le zinc ou encore le nickel - la Russie est le troisième pays producteur mondial de ce métal - ont vu leur prix grimper en flèche avec les tensions géopolitiques. Sur le marché britannique London Metal Exchange, l’aluminium se vendait 3 382,50 dollars la tonne ce 24 février.
Certes, « les entreprises peuvent absorber une hausse des coûts en baissant leurs marges, qui sont très élevées aujourd’hui, si cette hausse [des prix] est temporaire. Mais si la situation perdure, les entreprises répercuteront inévitablement la hausse du prix des matières premières dans leurs prix de vente », alerte Jean-Christophe Caffet, chef économiste de Coface dans les colonnes des Échos. En d’autres termes, résume l’économiste et professeur émérite à Paris-II Jean-Paul Betbeze dans Atlantico, « le fameux ‘panier du consommateur’n’a pas fini de voir son prix monter ».
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Et il ne faut pas non plus oublier le risque de voir les quantités disponibles de certains produits se réduire : « Ce qui conduirait à une restriction de l’offre dans les magasins », complète Olivier Marty.
Pouvoir d’achat
Dans une économie de marché, les prix des biens et des services peuvent varier. Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsqu’il y a une hausse des prix généralisée et non pas seulement de certains produits. Il en résulte que vous pouvez acheter moins de biens et de services pour un euro. Inversement, un euro vaut moins qu’avant. L‘inflation est donc une perte de pouvoir d’achat de la monnaie.
Des risques sociaux
Cette guerre éclate alors que la situation économique commençait à se normaliser à la suite de la pandémie : « Une croissance ralentie. Des difficultés sur les chaînes d’approvisionnement restent présentes. Un manque de main-d’œuvre dans certains secteurs. Tout cela risque d’être ravivé », analyse l’économiste de Sciences po.
Avec une inflation galopante et une croissance en berne, des conséquences sont donc à prévoir sur les flux commerciaux, les investissements, la consommation… et sur l’emploi ! « Certains secteurs pourraient être touchés : des entreprises agricoles ou de haute technologie qui prévoyaient d’embaucher peuvent finalement faire marche arrière. »
De quoi augmenter l’anxiété des populations qui était déjà très présente. « Il y a un risque de résurgence des mouvements sociaux », prévient ainsi Olivier Marty. Une récente étude réalisée par Coface montrait que « les risques sociaux et politiques n’avaient jamais été aussi élevés dans le monde, que ce soit dans les pays en développement ou dans les pays industrialisés ». En France, le souvenir des “gilets jaunes” n’est pas très loin.
Face à cette crainte, Bruno Le Maire a redit que le gouvernement maintiendra « le gel du prix du gaz pour les particuliers en toutes circonstances ». Ce bouclier tarifaire avait été enclenché en octobre pour lutter contre l’inflation et devait prendre fin en juin prochain. Un chèque de 100 euros a aussi été versé à 38 millions de Français en réponse à l’explosion des prix des énergies.
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Dérive budgétaire
Mais la multiplication de telles mesures représente un autre risque. Au cours des deux dernières années, les gouvernements ont déjà été contraints de dépenser des sommes considérables pour renflouer leurs propres économies, rappelle l’économiste britannique Steve Schifferes, dans un article de The Conversation.
Olivier Marty renchérit : devons-nous craindre une inflation budgétaire ? Et quelles en seront ses conséquences pour l’avenir ? « En d’autres termes, le gouvernement relève toujours plus les dépenses publiques pour amortir le choc. Cela va inévitablement se traduire par des hausses d’impôts… » Difficile de l’assurer pour l’heure, alors que la présidentielle doit avoir lieu d’ici quelques semaines.