Les annonceurs pensent tous que les publicités ne doivent pas côtoyer des sujets jugés sensibles ou anxiogènes, – le terrorisme ou les catastrophes naturelles, par exemple. Cet évitement est motivé par la croyance qu’un placement de produit dans un environnement « sérieux » provoque des associations négatives qui vont à l’encontre du désir d’acheter. Les annonceurs dressent ainsi des « listes noires » des sujets à éviter pour les supports dans lesquels ils ont l’intention d’insérer des publicités et, en retour, nombre de médias accroissent leur volume de sujets « légers » au détriment des sujets « sérieux ».
Une étude récente s’appuyant sur une expérience contrôlée réalisée au Royaume-Uni et aux États-Unis a cherché à vérifier la validité de cette croyance et, plus généralement, à comprendre les ressorts de l’efficacité de la publicité1. Pour cela, les auteurs de l’étude ont sélectionné un échantillon représentatif de plus de 1 000 personnes réparties équitablement entre ces deux pays et ayant l’habitude de consulter des journaux en ligne sur un ordinateur ou un smartphone.
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Les participants à l’expérience étaient invités à lire une série d’articles relatant à parts égales soit des actualités « sérieuses » évoquant la pandémie de Covid-19 ou les manifestations contre la ségrégation raciale – deux sujets fréquemment « blacklistés » par les annonceurs –, soit des actualités « légères », expliquant par exemple comment agencer son habitation ou donnant des nouvelles de quelques célébrités. Des publicités vantant les mérites de produits connus de tous jouxtaient les articles proposés à la lecture des participants.
Ces derniers restaient libres de lire, de ne pas lire ou de ne lire qu’une partie d’un article. À l’issue de cette étape, pour chaque produit apparaissant dans les publicités, les participants avaient le choix entre recevoir un bon d’achat pour ce produit et uniquement pour ce produit, ou recevoir du cash leur permettant d’acheter n’importe quel produit. Le montant du cash était un peu inférieur à la valeur du bon, par conséquent, une personne qui optait pour un bon manifestait explicitement son intention d’acheter le produit associé plutôt qu’un autre.
Le contenu décide, la pub suit
Grâce à une technologie indétectable permettant de suivre les mouvements oculaires à partir de la caméra d’un ordinateur ou d’un smartphone, les auteurs ont pu évaluer avec précision le temps d’attention – le « temps de cerveau disponible », selon la célèbre expression de Patrick Le Lay, PDG du groupe TF1, en 2004 – dévolu à la lecture des articles et au visionnage des publicités associées. Ils aboutissent à un premier résultat d’importance : contrairement à la croyance commune des annonceurs, l’attention portée à un article ne dépend aucunement de la nature sérieuse ou légère de son contenu. En second lieu, ils mettent en évidence que l’attention portée à une publicité est directement proportionnelle à celle qui est portée à l’article qui la côtoie. C’est l’intérêt du contenu qui importe et non sa nature.

L’étude donne également une mesure de l’efficacité des messages publicitaires. La figure de droite indique que l’on se rappelle d’autant plus d’un produit qu’on a passé plus de temps à regarder les publicités qui lui étaient consacrées. C’est un des buts visés par les annonceurs. La figure de gauche est encore plus intéressante pour les annonceurs : elle indique qu’une publicité examinée pendant trois secondes (le temps moyen d’attention sur un encart publicitaire dans cette expérience) correspond à une probabilité d’achat d’environ 0,34 point. En revanche, une publicité examinée pendant six secondes hisse la probabilité d’achat à 0,40 point. Les auteurs ont estimé qu’une seconde additionnelle de temps de cerveau disponible sur une publicité augmente la probabilité de se souvenir du produit de 3,4 points de pourcentage et de 0,7 point la probabilité d’être acheteur de ce produit (c’est-à-dire choisir le bon plutôt que les espèces).
Ces résultats suggèrent que pour attirer vers eux les annonceurs, les médias ont intérêt à proposer des contenus de qualité plutôt que de chercher à accrocher le lecteur par des titres à sensation l’attirant vers des articles médiocres où se trouvent les encarts publicitaires. Dans le domaine de la publicité, la rentabilité du temps de cerveau disponible dépend principalement de la qualité du contenu des articles dans lesquels les encarts apparaissent. Plutôt une bonne nouvelle.
Sources
1. “Advertiser block lists as a threat to media integrity”, A. Simonov, T. Valletti et A. Veiga, VOX EU Columns, 14 mai 2023.