Cette année, « économisez 852€ par an avec l’électrique » grâce à Peugeot et à son e-208, dit la réclame. Il faut dire que le directeur de Stellantis en Europe, Maxime Picat, avait prévenu dès mai 2021 : « Ce qui nous importe, c’est que nos véhicules électriques soient abordables… »
Vœu pieux ou réalité ? Car pour ce qui concerne les véhicules thermiques (à essence ou diesels), le côté « abordable » semble de plus en plus discutable. Prix d’appel d’une Citroën C1 en 2022, l’une des voitures les moins chères du marché ? 12 350€.
Prix d’appel d’une Citroën C3 ? 16 150€. Pour les deux Citroën, le renchérissement a été de 11,7% par rapport à 2020. Mais surtout, la C3 est devenue 24,7% plus chère depuis sa sortie en 2016. Quant à la C1, dévoilée en 2005 et certes entièrement revue depuis, la hausse a été vertigineuse : +49,6% ! La voiture s’affichait alors à 8250€.
L’organisme AAA Data, chargé de traiter les statistiques de l’automobile en France, confirme le phénomène : « En 2021, le prix moyen d’une voiture achetée par un particulier avoisinait 28 000€, contre 19 000€ en 2009 » relate l’association, tandis que d’après le directeur général de Ford France, interviewé par L’argus, le prix moyen payé par ses clients aurait augmenté de 4000€ en 2021 par rapport à 2019.
Plus qu’un constat, il s’agit même d’un objectif à tenir pour les constructeurs. Lors de la présentation des résultats 2021 de Renault, le directeur commercial s’est en effet félicité d’avoir vu le prix moyen payé progresser de 4%.
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Un graphique divulgué par la marque quelques mois auparavant livre la marche suivie : en 2019, le prix moyen dépensé par un client de Renault était de 20 000€ pour un engin neuf. Cette même dépense moyenne se devra d’être de 24 700€ en 2023 et supérieure à 27 000€ en 2025.
Autant dire que l’accroissement du prix des véhicules neufs est désormais palpable en France, comme partout ailleurs. Selon le Kelley Blue Book, le prix moyen d’un véhicule neuf aux Etats-Unis a atteint 47 077$ en décembre dernier, soit +14% (ou +5742$) par rapport à décembre 2020. Un record, évidemment.
« Nous risquons de perdre les classes moyennes »
L’augmentation des tarifs permet aux fabricants de voitures comme à leurs distributeurs de compenser en partie les pertes entraînées par la crise du Covid-19.
Le PDG de Stellantis pointe toutefois le souci qui se profile : « Il ne faut pas perdre de vue non plus que nous risquons (…) de perdre les classes moyennes, qui ne pourront plus acheter de voitures » a fait savoir Carlos Tavares mi-janvier aux plus grands titres de la presse économique européenne, « faut-il des véhicules 100% électriques que les classes moyennes ne pourront pas se payer, tout en demandant aux Etats de continuer de creuser le déficit budgétaire pour les subventionner ? »
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Pour Marc Bruschet, distributeur de véhicules et président de la branche Concessionnaires du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), la France aurait ainsi atteint en 2021 « la limite de l’acceptabilité sociale du prix d’un véhicule neuf ». Comment en est-on arrivé là ?
Le prix des voitures a toujours eu tendance à monter, l’affaire n’est pas nouvelle. L’Insee relevait déjà en 2009 « leur très forte hausse des prix par rapport à l’inflation d’ensemble ».
Mais depuis un peu plus de 20 ans, le rythme des réglementations liées à la sécurité ou à l’environnement a accéléré. Ce qui était hier encore des innovations réservées aux voitures de luxe sont devenus des standards obligatoires : ABS, contrôle de stabilité ESP, etc. Ainsi, à compter de juillet 2022, il sera obligatoire de monter en série sur les nouveaux types de véhicules une boite noire, un limiteur de vitesse, un système de freinage d’urgence… Cet alourdissement sécuritaire renchérira bientôt de 200 à 300€ chaque voiture vendue.
Mais plus que la sécurité, la préservation de l’environnement fait dépenser des millions d’euros aux constructeurs. Afin de satisfaire la norme de pollution Euro 7 en 2026, Gilles Le Borgne, directeur de l’ingénierie de Renault, pense qu’il conviendra d’ajouter encore environ 1000€ par véhicule, selon des confidences recueillies par Challenges. L’électrification intensive des modèles se paye en effet au prix fort.
Prix de l’acier doublé en 3 ans
La Plateforme automobile française (PFA) a commandé une étude sur la différence de coût de réalisation entre une auto thermique et une électrique. Le résultat dévoilé en décembre a été sans appel : « 24 000€ versus 15 000€ : le coût des composants d’un véhicule électrique est en moyenne 59% plus élevé » ont relevé les experts d’AlixPartners.
La hausse est vertigineuse, brutale, au point que les constructeurs ne peuvent se permettre de la répercuter en totalité sur leurs prix finaux. Ils parient plutôt sur une prochaine décroissance du prix de la batterie, qui concentre à elle seule la majeure partie de la valeur d’une voiture électrique.
La crise du Covid-19 et l’ensemble des dérèglements mondiaux qu’elle a entrainés s’est en outre comportée comme un facteur aggravant des hausses de coûts dues à l’électrification. Les matériaux se sont raréfiés, leurs prix ont explosé. Une auto est constituée d’environ 85% de métal et de plastique. Evolution du prix de l’acier sur les 3 dernières années ? +100%. Le cours de l’aluminium a pour sa part grimpé de 68,3% sur la même période, tandis que la fonte est actuellement achetée aux alentours de 130€ la tonne, contre 75€ voilà deux ans. Voilà pour les matières premières.
Les fameux semi-conducteurs (des puces électroniques), qui manquent terriblement aujourd’hui, ont aussi vu leurs tarifs progresser de manière exponentielle ces derniers mois. Le principal fournisseur mondial, le taiwanais TSMC, a annoncé qu’il allait augmenter en 2022 le prix des puces les moins avancées de 20%, tandis que les plus pointues connaîtront un renchérissement de 10%.
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En attendant d’hypothétiques nouveaux producteurs de semi-conducteurs, les constructeurs automobiles comme les autres industriels n’ont pas d’autre choix que de subir les hausses de prix voulues par les quelques sociétés qui fournissent le marché.
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Fin des remises à tout va
Il est enfin quelques facteurs franco-français propres à rendre les voitures toujours plus inabordables. Le malus, instauré en 2008 et qui pénalise les véhicules neufs les plus émetteurs de CO2 : 27% des acheteurs de voitures neuves ont été quitte pour une surtaxe l’an dernier, sachant que le montant des pénalités grimpe très vite.
Enfin, la politique d’un constructeur comme Renault a largement évolué pour s’inspirer de celle du concurrent Stellantis : « L’effet prix, positif de 2,9 points, reflète la poursuite de notre politique privilégiant la valeur sur le volume des ventes » annonçait la marque au losange en octobre 2021. Plus aucune voiture ne doit être vendue avec une marge symbolique !
« Aujourd’hui, la remise est fixe » confirme Denis Baeza, le président du groupement des agents Citroën, « les animations commerciales fondent comme la neige en plein soleil ! »
Et de dévoiler comment les marques essaient de ne pas trop froisser leurs clients dès qu’il est question d’argent : « On nous demande le plus possible de parler en mensualités. Pour avoir une Peugeot 508, un 3008 ou un 5008 correctement équipé, il faut mettre 45 000€ sur la table. Annoncer 600 à 700€ par mois, cela passe mieux… »
En dépit des artifices destinés à travestir le prix des voitures, le grand public a déjà commencé à réagir. Les clients particuliers (qui ne relèvent pas d’une entreprise) voient leur part dans les ventes totales « chuter depuis 2009, passant de 67% à 46% » indique AAA Data, qui constate que ces personnes dans l’incapacité d’acheter du neuf « se reportent sur le véhicule d’occasion, majoritairement ».
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Ce qui engendrera un nouveau problème dans les mois à venir avec l’instauration des zones à faibles émissions dans les grandes villes, puisque les voitures thermiques y seront progressivement interdites.