Les ambitions sont à la mesure des recettes engrangées ces derniers mois : Driverama veut devenir « le plus grand distributeur pan-européen de voitures d’occasion en ligne d’ici 2025 » tandis que son concurrent Carnext se targue de l’être déjà depuis le mois d’octobre dernier, « avec plus de 2,5 millions de ventes par an. »
Les appétits s’aiguisent face à la manne financière grandissante que représente le marché du véhicule d’occasion. Au cumul des 10 mois écoulés, les ventes de voitures usagées sont en progression de 9,7% en France, avec un peu plus de 5 millions de transactions effectuées. L’année 2021 devrait vraisemblablement être une période record pour le marché du véhicule d’occasion, en France comme en Europe.
Les spécialistes du véhicule usagé ont beau se frotter les mains, reste un fait propre à l’Hexagone : le marché est majoritairement capté par les particuliers, qui se revendent les véhicules entre eux. Ce sont 63% des transactions qui ont été réalisées entre particuliers en 2020, et 37% d’un professionnel vers un particulier, selon les chiffres d’AAA Data. Le ratio est plutôt de 50-50 dans les autres pays d’Europe.
Or, dans un marché de plus en plus fourni et dominé par des vendeurs amateurs, le risque d’acheter une voiture douteuse est plutôt élevé. La Belgique a ainsi déploré 1 716 voitures d’occasion à compteur kilométrique trafiqué en 2020, malgré un système spécialement étudié pour empêcher ce type de fraude.
Rassurer les acheteurs
Afin de lutter contre le phénomène du « market for lemons » théorisé en 1970 par l’économiste et prix Nobel George Akerlof, divers professionnels ont saisi la balle au bond pour tenter d’offrir des voitures d’occasion au-dessus de tout soupçon. Chacun en fonction de leurs moyens.
À lire > Qu'est-ce que le marché des « lemons » (ou principe de la sélection adverse) ?
Asymétrie d'information
Quand lors d'un échange certains des participants disposent d'informations pertinentes que d'autres n'ont pas. Un bon exemple est celui de la vente de voitures d'occasions. Sur ce marché, les voitures peuvent être de bonne comme de mauvaise qualité, mais seul le vendeur en connaît avec exactitude l’état. Aux États-Unis, les voitures de mauvaise qualité sont appelées « lemons » (tacots), d'où le « market for lemons ».
D’un côté les petits faiseurs, qui montent des start-ups visant à vendre de l’accompagnement et du conseil aux particuliers lors de l’achat d’une voiture de seconde main.
« Nous procédons à entre 10 et 15 inspections par jour en Europe » indique par exemple Etienne Lèbre, le directeur opérationnel de Trustoo. La société propose depuis deux ans d’aider les gens dans leurs recherches en mettant à leur disposition la compétence d’un mécanicien, d’un carrossier...
« Le marché est énorme, mais avec beaucoup d’arnaques. Nous recalons environ 60% des voitures inspectées, ce qui est relativement important ». Outre cette dernière, d’autres entreprises comme Ça roule Raoul ou Experveo proposent peu ou prou les mêmes services.
Signe des temps, les experts automobiles, hier encore chargés d’évaluer les dégâts sur les autos accidentées, glissent désormais vers un autre rôle selon le récent rapport d’activité de l’Association nationale des experts automobiles (Anea). Cette dernière se félicite en effet d’avoir « accompagné la profession dans sa mutation vers le marché du particulier, notamment dans le cadre des transactions de véhicules d’occasion. »
Le marché de l'occasion est énorme, mais avec beaucoup d’arnaques. Nous recalons environ 60% des voitures inspectées.
Etienne Lèbre,Directeur opérationnel de Trustoo
Le succès des voitures « reconditionnées »
De l’autre côté, les poids lourds du commerce automobile fourbissent leurs armes comme jamais afin de récupérer le juteux marché du véhicule d’occasion. Point de « lemons » (tacots) avec eux en théorie puisque les voitures sont contrôlées et garanties.
Surtout, la plupart des autos sont passées par des centres de reconditionnement, ces nouveaux ateliers aux dimensions hors normes où des dizaines de mécaniciens s’affairent à redonner du lustre à des voitures un brin défraîchies.
Premier opérateur en matière de voitures d’occasion en Europe, la société allemande Auto 1, et son label grand public Autohero. Le dernier rapport financier trimestriel précise que l’évolution du business « dépasse les attentes ». Le chiffre d’affaires du 3e trimestre 2021 a en effet progressé de 64% pour se fixer à 1,26 milliard d’euros tandis que la marge brute a atteint 116 millions d’euros, des chiffres records pour l’entreprise.
Le label Autohero, qui ne concerne que les voitures vendues au grand public, a permis de vendre 11 275 voitures d’occasion sur le trimestre, contre 2 429 au 3e trimestre 2020.
Grâce aux centres de reconditionnement, Auto 1 se dit en capacité de commercialiser 50 000 occasions en 2021, entre 150 000 et 200 000 en 2022 et « plus de 500 000 à moyen terme » !
De la même manière, Driverama, qui appartient à l’entreprise tchèque Aures Holding, voit l’avenir en rose. Ce sont 75 millions d’euros qui ont été dépensés début 2021 pour mettre au point « une plateforme technologique jamais vue » qui permettrait à la société « d’acheter et de revendre les véhicules avec le plus de marge possible » sur n’importe quel marché d’Europe.
La société française Aramis Group n’est pas en reste. Créée par deux associés en 2001, Aramis a été rachetée par PSA (devenue Stellantis) en 2016 car ses perspectives étaient déjà florissantes. Aramis possède à ce jour 3 centres de reconditionnement (dont l’un a ouvert en novembre 2021 à Anvers, en Belgique) et en en inaugurera 2 autres en France l’an prochain.
Le mois dernier, Aramis a annoncé un « chiffre d’affaires annuel proforma en forte croissance de 25,9 % » à 1,36 milliard d’euros, soit « au-dessus des objectifs révisés à la hausse en septembre 2021 ». La filiale de Stellantis se targue ainsi de connaître une croissance « tirée par les ventes de voitures reconditionnées » et entend dégager en 2021 « une marge brute par véhicule vendu supérieure à 2 150€. »
Il n’y a toutefois pas que les seuls vendeurs de voitures d’occasion à s’être donnés les moyens de leurs ambitions. En France, le premier groupe de distribution de véhicules neufs est Emil Frey, une entreprise de droit suisse. Elle vient d’ouvrir un centre de reconditionnement de voitures d’occasion à Poitiers, en ouvrira un autre à Lens en avril 2022 tandis que 3 nouvelles implantations sont encore prévues en France d’ici 2024.
L'entreprise, déjà considérée comme le troisième vendeur d’occasions en Europe, entend passer la vitesse supérieure pour atteindre une capacité de 150 000 voitures rénovées chaque année.
En Chiffres
11,5%
Hausse des prix en 2021 sur le marché français de l'occasion
Un diesel qui vaut de l’or
Le marché de l’occasion attire les convoitises en raison de la pénurie de véhicules neufs, mais pas uniquement. Le marché de la seconde main est aussi devenu le meilleur moyen de se procurer un véhicule diesel.
Cette motorisation désormais honnie des pouvoirs publics est en effet en train de déserter les catalogues. Il n’est par exemple plus possible à ce jour de se fournir un Renault Scénic diesel neuf. Pour autant, les gens qui ont besoin de ce genre d’engin apte à avaler les kilomètres à moindre coût ne se voient pas encore proposer de solution alternative.
La ruée sur les diesels d’occasion est donc une réalité. L’offre est inférieure à la demande et les valeurs résiduelles (valeur à X année après l’achat) de ces voitures demeurent solides : selon Autovista, un diesel perd 43,5% de sa valeur au bout de 3 ans. À comparer aux 55% de perte subis par les véhicules électriques, dont la durabilité dans le temps, et en particulier des batteries, n'a pas encore été démontrée…
« On a une vraie demande de la part des gens qui vivent dans les territoires ruraux, ou qui vivent en périphérie des villes et qui ne sont pas concernés par les zones à faibles émissions » indique Yoann Taitz, le spécialiste des valeurs pour le compte d’Autovista.
Tous les ingrédients sont désormais réunis pour que les voitures d’occasion atteignent des sommets. « Les stocks sont en train de fondre chez les concessionnaires spécialistes de l’occasion et les prix sont en nette progression » fait ainsi savoir Vincent Hancart, le directeur général France d’Autoscout 24.
D’après la société spécialiste des petites annonces, les prix auraient grimpé de 11,5% sur le marché français cette année. Auto 1 précise que le tarif moyen des voitures livrées par Autohero en Europe est passé de 12 828€ au 3e trimestre 2020 à 14 174€ au 3e trimestre 2021.
« Compte-tenu de la dynamique de marché actuelle, les vendeurs d’occasion sont bien plus ravis que les acheteurs » résume Andy Shields, l’un des dirigeants d’Indicata, une société spécialiste des valeurs des voitures de seconde main.
Loi de l'offre et la demande
Mécanisme économique qui permet d’expliquer comment se fixent les prix d’un bien ou d’un service. Si l’offre est supérieure à la demande (s’il y a plus de produits à vendre que d’acheteurs), les prix ont tendance à diminuer. Si au contraire, l’offre est inférieure à la demande (s’il n’y a pas assez de produits pour tous les acheteurs), les prix ont tendance à augmenter.