“Monsieur Castex, vous êtes le meilleur employé d’Amazon en France !” En novembre dernier, sur RMC, Michel-Édouard Leclerc s’emportait contre la décision du Premier ministre de fermer certains rayons des supermarchés pendant le second confinement. Le but était de ne pas concurrencer les petits commerces, qui avaient dû fermer. Mais cela profitait aux sites d’e-commerce, Amazon en tête.
En 2020, le chiffre d’affaires du site américain a bondi grâce à la pandémie. Car en ligne, tous les rayons sont toujours ouverts.
2020, année record
À l’échelle mondiale, les chiffres sont parlants : +26 % de ventes au premier trimestre, +40 % au deuxième, et +37 % au troisième. Même si le site lancé en juillet 1995 par Jeff Bezos augmente ses ventes chaque année, l’envolée est notable. En 2019, le chiffre d’affaires s’était établi à 280,5 milliards de dollars. Celui de 2020 a grimpé à 386,1 milliards, selon les chiffres annoncés par la firme le 2 février dernier.

Comme en 2019, c'est le résultat le plus élevé de tous les GAFAM.
En Chiffres
386,1 milliards
Chiffre d'affaires d'Amazon en 2020. Un record.
Avec son système d’achat en un clic et ses livraisons gratuites, Amazon s’est taillé un empire. Aux États-Unis, selon eMarketer, il avait capté 38,7 % des parts de marché début 2020, loin devant Walmart, son premier concurrent. En France, selon Kantar, sa part s’élevait en 2019 à 22,2 %, contre 8,1 % pour son challengeur Cdiscount.
“Le consommateur profite de la situation, mais il risque de déchanter si Amazon reste seul en course”, avertit Axelle Arquié, du Centre d’étude et de recherche en économie internationale (CEPII).
"L’entreprise ne représente que 1 % du commerce mondial", plaide Jeff Bezos. Mais en 2019, le site captait 13,7 % de l’e-commerce mondial, selon eMarketer. Il compte bien utiliser ses résultats exceptionnels pour gagner du terrain.
Jeff Bezos, vers l’infini et au-delà
Selon le magazine Forbes, Jeff Bezos est l’homme le plus riche du monde depuis qu’il a dépassé le fondateur de Microsoft, Bill Gates, en 2018.
Comme l’action Amazon a augmenté de près de 50 % dans les neuf premiers mois de l’année 2020, et qu’il détenait un peu plus de 10 % du groupe, il est devenu, au cours du mois d’août, l’homme le plus riche de tous les temps : sa fortune a dépassé les 200 milliards de dollars. Le PDG et fondateur d’Amazon a annoncé le 2 février qu’il quitterait ses fonctions de directeur général au troisième trimestre 2021.
Qu'en sera-t-il de ses projets démesurés ? Passionné de science-fiction, comme le raconte Benoît Berthelot dans Le Monde selon Amazon (Le Cherche midi), il va se consacrer à l'activité de son entreprise Blue Origin : conquérir l’espace. Objectif : permettre à l’humanité de croître ailleurs que sur la Terre, au sein de vaisseaux galactiques qui pourraient accueillir à terme 1 000 milliards d’humains.
En France notamment, Amazon cherche sans relâche de nouveaux sites pour implanter ses entrepôts géants, garants de livraisons toujours plus rapides.
Contre-attaque
Sauf que la coupe semble déjà pleine. Amazon est accusé de détruire des emplois chez ses concurrents, tout en ne créant que des postes précaires. Mobilisations et appels au boycott se multiplient.
“Stop à Amazon et son monde”, pouvait-on lire fin novembre sur les pancartes des manifestants réunis près de Nantes pour dénoncer le projet d’une plate-forme de transit de 50 000 mètres carrés. Tandis qu’une tribune signée par 120 militants associatifs et élus demandait de “stopper l’expansion du géant de l’e-commerce avant qu’il ne soit trop tard” en instaurant une “taxe exceptionnelle sur le chiffre d’affaires des profiteurs de crise.”
Bruxelles aimerait également taxer Amazon, réputé pour payer le moins d’impôts possible. Entre 2006 et 2014, le site enregistrait ses ventes européennes au Luxembourg, connu pour sa fiscalité clémente. Depuis, il a modifié son organisation pour déclarer ses ventes dans chaque pays. Mais ses activités les plus lucratives, comme le Cloud proposé par sa filiale AWS, publient toujours leurs comptes au Luxembourg.
Le Cloud AWS est une plateforme de services cloud développée par le géant américain Amazon.
Cloud computing
Services de stockage et d’analyse des données à distance, dans des centres de données, accessibles à la demande.
Résultat, quand Amazon communique sur 420 millions d’euros de taxe payés en France en 2019, cela ne correspond pas à tous les bénéfices engrangés dans le pays.
Les Européens tentent sans succès de mettre en place une taxe GAFAM, qui serait basée sur les chiffres d’affaires nationaux. La France, qui fait cavalier seul, a récolté 350 millions d’euros auprès des géants du Web en 2019.
La Commission européenne essaye un autre angle d’attaque : l’infraction aux règles de la concurrence. Amazon est devenu une place de marché indispensable à de nombreux vendeurs. Au troisième trimestre 2020, 54 % des ventes sur le site étaient faites par des tiers.
Selon la commission, Amazon abuse de sa double casquette en exploitant les données récoltées sur ces transactions. Ce qui lui permet de repérer des produits ayant du succès pour les proposer ensuite lui-même et moins cher.
Une autre enquête est en cours pour savoir s’il met plus en avant les vendeurs qui utilisent ses propres services logistiques. L’amende pourrait grimper à 10 % du chiffre d’affaires mondial.
Par ailleurs, la commission concocte deux projets de règlements pour juguler la puissance des GAFAM sur le marché européen.
Camions, avions, santé…
Face à cet empire en gestation, le coup fatal ne pourra venir que des États-Unis : “C’est comme si Bezos avait prévu de faire grandir son entreprise en se jouant délibérément des lois antitrust. Avec son zèle missionnaire au nom des consommateurs, Amazon est en train de devenir un monopole tout en prétendant remettre en cause les monopoles”, notait en 2017 la juriste Lina M. Khan dans le Yale Law Journal.
En effet, depuis les années 1980, les lois antitrust américaines se contentent de vérifier que les prix ne grimpent pas. Alors qu’à l’origine, le législateur avait en tête l’intérêt de l’ensemble de la société, salariés et citoyens compris. Amazon dispose désormais de ses propres camions et avions. Il investit dans les domaines de l’assurance et de la santé. Jusqu’où s’étendra son pouvoir ?
“Si nous ne voulons pas d’un roi à la tête de l’État, nous ne pouvons pas non plus accepter un roi de la production, du transport et de la vente de tout ce qui est nécessaire à la vie”, déclarait en 1890 le sénateur John Sherman. En 1911, la loi qui porte son nom a permis le démantèlement de Standard Oil, qui régnait alors sur un marché de l’essence en pleine expansion grâce à ses prix bas.
Grâce à Alibaba, la Chine résiste
Avec l’Empire du Milieu, Amazon est tombé sur un os. C’est pourtant le plus grand marché mondial de l’e-commerce, très loin devant les États-Unis.
En 2019, selon eMarketer, la Chine a enregistré 1 935 milliards de dollars de ventes en ligne, contre 586,92 milliards pour les États-Unis.
Cet empire a son propre monarque, la firme Alibaba de l’homme d’affaires Jack Ma, qui truste 58,2 % du marché. Avec JD.com, une autre entreprise chinoise, les deux acteurs s’accaparent près de 90 % des ventes.
Présent depuis 2014, Amazon n’avait obtenu qu’une part de marché de 0,7 % en 2018. En 2019, il a reconnu ne pas pouvoir lutter contre les concurrents locaux et fermé sa Marketplace. Amazon.cn se contente désormais de vendre des biens importés.