Plutôt chinoise ou américaine ? Sur le continent qui a été le berceau de l’automobile, il faut se rendre à l’évidence : les véhicules venus de loin sont très tendance, car ils ont la particularité de fonctionner à l’énergie électrique. Non pas que l’Europe bannisse à ce jour la vente de voitures neuves thermiques : ce sera le cas en 2035, en réalité dès 2030 compte-tenu des contraintes de dépollution imposées aux moteurs à explosion. Mais la feuille de route est désormais (et enfin) très claire. La mobilité individuelle sera électrique, ou ne sera pas.
Six normes dites « Euro » se sont succédé en 20 ans. La prochaine à venir, Euro 7, va quasiment proscrire le moteur thermique. Si le débat sur la pertinence de ce choix est largement ouvert, ce-dernier a tout de même un mérite. Il offre pour la première fois une visibilité technologique de long terme aux constructeurs de véhicules du monde entier !
Montée en gamme des voitures chinoises
Sans doute est-ce là le premier élément qui a convaincu les marques chinoises et tous les constructeurs de voitures électriques de se tourner vers l’Europe. Le cadre règlementaire va enfin devenir stable. Il ne faut pas oublier en effet que les marques chinoises ont déjà essayé de faire leur entrée sur le marché européen : en 2007, Landwind et Brilliance avaient tenté l’aventure.
Les deux marques avaient été rejetées pour des raisons différentes. Les 4x4 Landwind témoignaient de moteurs incompatibles avec des exigences européennes en matière de pollution qui ne cessaient de croître tandis que pour Brilliance, un simple crash-test effectué par le laboratoire allemand Adac - et sa diffusion - avaient suffi à faire peur à l’Europe entière. La voiture était incompatible avec les standards de sécurité exigés en Europe au XXIe siècle…
Mais depuis le « dieselgate » et les frasques de Volkswagen à l’homologation des véhicules, changement de ton du côté de l’Union européenne. A n’en pas douter les véhicules doivent être sûrs, les pouvoirs publics n’ont pas baissé la garde sur le sujet. Les constructeurs chinois l’ont bien intégré : leurs véhicules proposent des standards de sécurité désormais comparables à ceux des autres marques. Et concernant les histoires de motorisation, les marques chinoises n’ont plus aucun retard.
Au contraire même : elles sont en avance sur l’électrification des véhicules, loin devant les constructeurs européens et américains. L’Europe ne peut donc que faire les yeux de Chimène à des marques qui vendent des véhicules « propres » ! Selon le média Chinois Ycai, « la fenêtre d’opportunité est extrêmement courte » en Europe pour les marques chinoises, car les constructeurs européens sauront évidemment rattraper leur retard en matière d’électrification des véhicules. Voilà pourquoi en ce moment, presque chaque semaine, une nouvelle marque chinoise fait connaître son intention de se mettre à vendre des autos en Europe.
La fin du culte de la performance, qui remonte à bien avant le dieselgate, a aussi été un facteur qui a grandement contribué à l’arrivée sur les marchés de nouveaux entrants. Jusqu’au milieu des années 90, pour être « dans le coup », il fallait avoir un sacré moteur et donc un comportement de véhicule tout à fait en rapport avec les hautes performances promises.
Autant de domaines où les constructeurs européens excellaient, Allemands en tête. Tout ceci est tombé dans une relative désuétude : pour être sexy aux yeux du public, une auto doit désormais proposer une connectivité digne d’un ordinateur, des aides à la conduite dignes d’un avion de ligne et ne pas trop consommer : adieu les 200 km/h, place aux autos connectées !
Une valeur ajoutée qui se déplace vers le tableau de bord
Experts en freinages dantesques et en tenues de route qui repoussent les lois de la physique, les constructeurs européens n’ont que tardivement compris que les consommateurs, très influencés par les messages des autorités, préféraient désormais le logiciel à son contenant. En d’autres termes, peu importe que l’auto accélère moins fort ou tienne moins bien la route, pourvu qu’elle soit compatible avec Android et Car Play.
Ce schéma un brin résumé est le facteur principal du succès de Tesla en Europe (14% des ventes de voitures électrique). Car s’il est un unique constructeur qui est parvenu à pénétrer le marché européen ces dernières années, c’est bien lui. Tesla a d’emblée proposé des autos dotées d’un écran à bord proche d’un téléviseur. Design léché, quasi-absence de boutons, promesse d’un entretien presque inexistant et parfois effectué à distance via des mises à jour informatique, Tesla a su prouver aux gens que l’époque où l’on vénérait les pilotes de Formule 1 était passée. Et pour les plus récalcitrants, Tesla a même un argument choc : des performances (accélérations) ahurissantes, une caractéristique inhérente au moteur électrique et à son fonctionnement !
A l’instar d’Apple, les génies du marketing de Tesla ont habilement su mettre en scène une marque qui ne fait rien comme les autres. L’affaire a fonctionné à tel point que lors de la sortie de la Model 3 aux Etats-Unis, les gens campaient la veille au soir devant le Tesla Center pour pouvoir être sûrs qu’ils feraient partie des premiers clients livrés…
Il ne faut toutefois pas croire qu’il suffit d’arriver avec une belle auto fort connectée (et électrique) pour faire trembler des constructeurs désormais séculaires : Apple a justement laissé tombé l’aventure en cours de route tandis que le fabricant d’aspirateurs Dyson a lui aussi jeté l’éponge, bien plus récemment.
La moins onéreuse auto Made in China
Le souci d’une voiture électrique, notamment chez Tesla, est qu’elle est extrêmement chère : la Renault Zoé se vend 33 700€, une Renault Clio de taille équivalente vaut 17 100€. L’électrification progressive des voitures neuves rime donc avec montée des prix : « La mobilité électrique coûte 50% plus chère que la mobilité thermique. Il existe un risque de décrochage des classes moyennes qui est tout à fait problématique » note Xavier Horent le délégué général de Mobilians, le syndicat des professionnels de l’automobile. Les pouvoirs publics l’ont évidemment noté, eux aussi. Faut-il donc accepter de voir les prix monter, au point que seule l’élite aura demain les moyens de s’acheter une auto ?
Pour répondre à cette problématique, Bruxelles laisse grandes ouvertes les vannes de l’accès au marché en Europe. Avec des coûts de production faibles par rapport à ceux des européens, les constructeurs chinois proposent des autos de moyenne gamme tout à fait à même de satisfaire l’essentiel des automobilistes du continent. Le succès en France de la marque MG (4144 ventes au 1er semestre cette année), illustre bien ce phénomène : « SAIC est resté rentable en Europe (…) malgré une variété d’obstacles et d’entraves. La marque prévoit une croissance continue des ventes à l’étranger cette année grâce à l’introduction de modèles populaires » indiquait le premier constructeur de Chine à l’occasion de son bilan financier de 2021. Pour tenter d’être rentable en Europe, Tesla ne cesse pour sa part de faire grimper le prix de sa Model 3 !
Les pouvoirs publics ont enfin bien compris que le marché automobile se régulait plus ou moins de lui-même. Lorsque les marque japonaises ont postulé à l’entrée du marché européen au milieu des années 80, les autorités leur ont mené la vie dure : imposition de quotas de ventes pays par pays, obligation de constituer intégralement des réseaux de distribution… Les dépenses n’ont pas manqué pour les Toyota, Nissan ou Honda. L’histoire ne s’est pas vraiment répétée lors de l’accès au marché des marques coréennes, qui n’ont pas eu à subir de quotas, dix ans après.
Moralité ? « A 3% de parts de marché, nous sommes au-dessus de notre objectif ce semestre » a fait savoir le directeur de Kia France à Autoactu en juillet 2022. Près de 30 ans d’efforts pour 3% d’un marché détenu à plus de 55% par les deux constructeurs français ! Imposer des barrières ne servant à rien, les constructeurs chinois peuvent profiter des largesses du Vieux Continent : des droits de douane de 10% (ce qui est peu), des bonus distribués à tous les acheteurs de véhicules propres et bien sûr aucune obligation de constitution d’un coûteux réseau de distribution.