Le commercial de cette concession Mercedes des Hauts-de-Seine ne laisse aucun espoir au client : « Il faut commander et c’est au minimum cinq mois de délai », prévient-il. Mais n’y a-t-il pas moyen d’avoir une voiture de direction, ou une occasion très récente ? « Il n’y en a plus », regrette l’employé de Mercedes…
Depuis la fin de l’été, le monde de l’automobile est en surchauffe. En raison du Covid, des arrêts de production intempestifs et de la vigueur de la reprise qui a suivi, la production de puces électroniques est aujourd’hui insuffisante pour satisfaire la demande.
Tous les industriels subissent donc les mêmes désagréments. « Le groupe anticipe une perte de production proche de 500 000 véhicules sur l’année », a ainsi fait savoir le groupe Renault à l’occasion de la présentation de ses résultats trimestriels.
Le concurrent Stellantis (ex-PSA) a pour sa part déploré « des ventes consolidées en baisse de 27 % par rapport au 3e trimestre 2020, soit environ de 600 000 unités, en raison de commandes de semiconducteurs non honorées ».
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En Chiffres
5 millions
de véhicules neufs ne seront pas fabriquées à cause de la crise des conducteurs.
La crise étant loin de ne concerner que les seuls constructeurs français, les prévisions mondiales de production de véhicules neufs ont été revues à la baisse pour 2021.
Le cabinet IHS Markit pense que ce sont 5 millions de voitures qui manqueront à l’appel cette année, ce qui signifie que l’ensemble des acteurs de l’automobile dans le monde devraient fabriquer environ 75,8 millions de véhicules légers (-6,2 %).
Paradoxalement, les carnets de commandes n’ont sans doute jamais été aussi bien garnis. « Le portefeuille de commandes du groupe en Europe à fin septembre est à un niveau record depuis 15 ans et représente 2,8 mois de ventes », souligne le groupe Renault.
Les constructeurs français, réunis sous la houlette du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), affichent des commandes en hausse de 22,8 % en octobre 2021 par rapport à octobre 2020. La crise des voitures neuves serait-elle donc une simple crise de l’offre ?
Consommer sobre… et penser au climat
L’affaire est bien plus complexe, en réalité. Une partie de ceux qui achetaient hier encore des voitures neuves n’en aurait plus vraiment l’envie.
« Les acquisitions d’objets d’occasion sont un autre indice de cette nouvelle manière de consommer, moins tournée vers l’innovation et les objets neufs que vers leur utilité intrinsèque », écrivait le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) en juin 2020 dans son étude « Consommer plus sobre, une tendance que la crise de la Covid-19 pourrait amplifier ».
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Pascale Hébel, économiste et directrice du pôle consommation et entreprises du Credoc, apporte quelques précisions : « Les jeunes générations détiennent moins de voitures que les générations précédentes. Cette désaffection vis-à-vis de l’équipement automobile s’explique par la baisse générationnelle de la détention du permis de conduire et le moindre besoin de véhicule en ville […] Pour l’équipement d’occasion, le phénomène est aussi générationnel. Quel que soit l’objet, les jeunes générations achètent de l’occasion pour lutter contre le réchauffement climatique. »
Les Parisiens se réorientent progressivement vers les deux-roues et les voitures sans permis.
AAA Data,cabinet d'analyses de marché.
Les jeunes n’apparenteraient plus la réussite sociale à la possession d’une belle auto flambant neuve. La population parisienne serait dans une logique comparable, selon l’association qui traite les statistiques pour le compte des constructeurs français d’automobiles.
« La crise sanitaire et auparavant l’instauration des zones à faibles émissions ont eu un impact non négligeable sur les achats des Parisiens en matière de véhicules. Il y a d’abord une migration vers l’occasion, comme déjà observée dans le reste de la France. Ces ménages optent de moins en moins pour une voiture neuve au profit d’une seconde main. […] L'achat de voitures d'occasion progresse régulièrement, à 45 362 en 2021 contre 43 070 en 2017 », explique le cabinet AAA Data, qui précise aussi que lorsque les Parisiens craquent pour du neuf, « ils se réorientent progressivement vers les deux-roues et les voitures sans permis » !
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Une part grandissante pour les flottes d'entreprise
Ainsi, si le carnet de commandes des constructeurs est actuellement si bien garni, c’est surtout en raison des achats effectués par les entreprises et non par des clients particuliers. La part de ces derniers se tasse inexorablement depuis des années dans les ventes de véhicules neufs : encore -7 % en France en octobre 2021.
À titre d’exemple, Peugeot a vendu 25,1 % de son volume de véhicules neufs en France à des particuliers en octobre 2021, contre 30,4 % un an auparavant. Idem pour Renault : 28 % de clients particuliers en octobre dernier, soit -3,8 points…
« Les particuliers sont perturbés par l’électrification qui s’impose et l’augmentation des prix qui en découle. Tous ces facteurs font qu’il y a moins de demande », note Olivier Hossard, concessionnaire et dirigeant du groupe Vauban.
L’heure est effectivement à l’électrification des voitures, pour des motifs évidents de lutte contre la pollution. Mais plus que les incertitudes liées à l’autonomie des batteries, encore insuffisante aux yeux des consommateurs, ce sont surtout les prix affichés qui rebutent une partie des particuliers.
À finition et équipement équivalent, une Volkswagen Golf hybride rechargeable coûte 30 % de plus qu’une version à essence et 20 % de plus que sa version diesel. Chez Peugeot, la Peugeot e-208 Active, 100 % électrique, coûte 32 800 euros hors aides d’État. Soit 80 % de plus que la même 208 fonctionnant au sans plomb.
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Le renchérissement des voitures neuves est un phénomène mondial : selon la société de services aux professionnels de l’automobile Kelley Blue Book, le prix moyen de vente d’un véhicule neuf aux Etats-Unis a atteint 45 000 dollars en septembre dernier. Une valeur « record » selon Kelley Blue Book, sachant que le précédent record en la matière datait… d’août 2021.