Chez Shodo, entreprise de services du numérique, la salariée doit prévenir une référente, qui suit ces absences, et indiquer sur le logiciel de gestion une absence "spéciale". Tech’Air, qui fabrique des dispositifs médicaux, voyant que devoir l’annoncer pouvait être un frein, permet d’indiquer son absence via une application, où seul le manager sait de quoi il retourne. Son dirigeant, Henri-Aurélien Chopinaud, considère que l’entreprise doit veiller au bien-être des salariés et « prendre en compte toutes les situations de fragilité ». Côté face, les managers se retrouvent aussi, de fait, au courant d’un grand nombre de sujets personnels.
Pédagogie ou com ?
Face à une récente proposition de loi sur le sujet, les organisations féministes sont méfiantes. Le collectif féministe Georgette Sand déplore le terme « congé menstruel ». « Il a fallu trouver en urgence une qualification pour cette autorisation exceptionnelle d’absence », reconnaît la militante du collectif Marguerite Nebelsztein, mais pour elle, ce ne peut être une solution de long terme, ni la seule, et il faut veiller au respect du secret médical.
Elle poursuit : « Les absences sans prescription normalisent les douleurs des règles, éloignent d’un parcours de soins. Or, il faut que le monde médical prenne le relais, car les douleurs peuvent être le signe d’un problème plus grave ». La peur est de « renvoyer les femmes chez elles sans solution médicale ». Si certaines entreprises comme Shodo et Le Pain des Cairns accordent ces absences sans justificatif, Tech’Air demande un certificat médical la première fois, pour s’assurer d’un suivi médical. Ce que prévoit la proposition de loi, avec jusqu'à deux jours d’arrêt pendant trois mois, renouvelable.
Pour le collectif Georgette Sand, le buzz sur le sujet masque la mauvaise prise en compte de la physiologie du corps au travail, notamment celui des femmes, le manque de recherche et de connaissances sur la santé menstruelle et hormonale de la puberté à la ménopause. Le collectif appelle à « un grand plan de santé » à ce sujet, et entre autres la gratuité de la pilule, « qui peut diminuer les douleurs ».
Arrêt maladie
L’arrêt de travail pour maladie permet au salarié ou au fonctionnaire de cesser le travail quand il est malade. Son salaire est suspendu mais il touche des indemnités journalières de la Sécurité sociale. Cependant, cet arrêt est précédé de jours de carence : un dans le secteur public, trois dans le privé. Durant cette période, ni le salaire ni les indemnités ne sont versées.
Les railleries, voire le harcèlement, sont une crainte. Henri-Aurélien Chopinaud explique qu’au départ, ses salariés masculins étaient sceptiques – comme ils l'avaient été face aux distributeurs de protections périodiques. Laury Maurice, responsable communication de Shodo, raconte qu’il a fallu « sensibiliser les cofondateurs », qui se sont montrés réceptifs. Avec les collègues masculins, « il y a eu des questions mais pas de réaction vive ou de moqueries. Cela permet de faire de la pédagogie, les sensibiliser à ce genre de sujets, beaucoup sont même fiers de l'entreprise ». Au Pain des Cairn, « les femmes pouvaient appréhender, c’est un sujet un peu délicat, mais tous les gars étaient à fond, il y a de la fierté à faire avancer les choses à notre niveau ».
Selon le Medef, ce type d’arrêt de travail « renverrait l’image que les femmes ne peuvent pas occuper les mêmes postes que les hommes ». « Aucun rapport, s'agace Marguerite Nebelsztein : tout le monde a parfois besoin d’arrêts de travail, les hommes aussi ont des pathologies spécifiques ». Elle pointe le fait que « c’est très bien accepté dans les start-up, les entreprises assez jeunes ».
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Organisation et fidélisation
Le dispositif, qui implique des absences impromptues, demande une certaine organisation. A Shodo, les développeurs informent de leur absence les clients chez qui ils sont en mission, sans préciser le motif. Pour financer le congé menstruel (la salariée n’étant pas chez son client, elle ne facture pas cette journée, mais Shodo lui maintient son salaire), l’entreprise renonce à une partie de sa marge sur l’activité des développeuses. Pour sa part, Tech’Air prévient le client que la livraison aura du retard.
Mais le plus souvent, les collègues de la personne absente produisent spontanément plus que d’habitude, et elle rattrape ensuite son retard. Le Pain Des Cairns a mis en place un système d’astreinte : chaque jour, une personne en repos peut être appelée si besoin. Mariette Nodet reconnaît qu’il est parfois difficile de remplir le tableau et que « l’enthousiasme et la solidarité du début pourraient diminuer » : avec deux ou trois personnes en repos le même jour, les astreintes sont fréquentes.
Les difficultés de production restent limitées, d’autant que ces absences sont rares : deux depuis septembre au Pain des Cairns pour cinq salariées, trois depuis janvier à Shodo pour quinze femmes, une dizaine par an en cinq ans à Tech’Air avec une centaine de femmes. À Shodo, cela a amélioré l’attractivité et la parité, et Tech’Air y voit aussi une meilleure fidélisation, un moindre turnover et moins de départs des salariés, une meilleure image de l’entreprise…
Le congé menstruel est peut-être l’occasion de repenser le rapport au travail. Georgette Sand plaide pour un abandon du jour de carence, pour plus de femmes dans le dialogue social et dans la prise de décision. A Tech’Air, cela fait partie d’un « nouvel axe managérial » où les managers ont la latitude d’accorder un congé exceptionnel ou d’aménager le travail pour « réagir à la fragilité de la personne », quel que soit le motif, en misant sur la solidarité.
Au Pain Des Cairns l’astreinte permet aussi de pallier des absences imprévues pour d’autres motifs : problème de santé bénin, enfants… Si, à Shodo, cette absence exceptionnelle reste réservée aux règles, l’entreprise propose déjà beaucoup de congés (50 jours par an en moyenne), permettant de faire face aux imprévus.
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Pour aller plus loin
Proposition de loi : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-537.html
Dans le programme de SES
Première. « Comment l’assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées ? »
Première. « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? »
Terminale. « Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ? »