Body language : notre corps parle-t-il à notre place ?
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Body language : notre corps parle-t-il à notre place ?

Cathy Dogon
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Nos gestes transmettent des informations malgré nous. En avoir conscience permet de saisir ce que comprend l’autre, qui nous écoute et nous regarde. Des techniques de communication non verbale existent, elles sont efficaces… jusqu’à un certain point.

«Si je continue à marcher comme on marche en banlieue, je ne pourrai jamais rentrer dans les grandes entreprises que je vise », confesse Aziz1, étudiant en école de commerce, à Aude Roy, coach en image publique. Quand il avance le pied droit, son épaule droite suit, lui donnant l’air de rouler des mécaniques. Pour une démarche mieux tolérée socialement, il faut avancer le bras opposé à la jambe qui s’engage.

Pour lui, sa façon de se déplacer, acquise dans son quartier, est un frein à l’embauche. Du coup, explique Aude Roy, « j’ai demandé aux 18 élèves de marcher dans la classe. En les regardant, Aziz a appris à se défaire de son habitude ».

C’est ainsi que travaille la coach : dans les nombreux ateliers qu’elle anime, parfois à l’aide d’une caméra, elle laisse chacun prendre conscience de son apparence et de ce qu’elle adresse comme message. «Ça n’aurait eu aucun effet si c’était moi qui lui avais fait remarquer cette attitude, il faut une prise de conscience individuelle. Comme disait Coco Chanel, “chassez le naturel, il revient au galop”. »

Les mots, 7 % du message ?

Pour ses formations privées ou collectives, Aude Roy s’appuie sur la synergologie, une technique d’analyse de la gestuelle empruntée à Philippe Turchet, auprès de qui elle se forme régulièrement. Cette « science » repose sur un travail d’Albert Mehrabian – professeur de psychologie à l’Université de Californie – datant de 1967.

Ne pas confondre : communication non verbale et synergologie

- La communication non verbale comprend six dimensions :

- Le périverbal, là où je me trouve ;

- L’infraverbal, les codes non matériels que je porte sur moi – les couleurs, par exemple ;

- Le supraverbal, les codes matériels que je porte ;

- L’holoverbal, la gestuelle, le comportement ;

- Le vocal, la musique autour des mots, la voix, le rythme, les silences ;

- Le verbal.

La synergologie ne se concentre que sur l’holoverbal, c’est-à-dire la gestuelle, le body language.

Selon sa règle des 3V (pour communications verbale, vocale et visuelle), seuls 7 % du message passent par la signification des mots, le verbal. L’essentiel de la communication passe par l’image (55 %), à travers les expressions du visage et les postures du corps et par l’intonation et le son de la voix (38 %). Plus tard, l’auteur a concédé que ces pourcentages étaient contestables2.

Pascal Lardellier est professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne et spécialiste des relations interpersonnelles.

Il se décrit lui-même comme un détracteur de la communication non verbale : « En aucun cas on ne peut dire que 93 % du sens ne vient pas des mots. Pupilles dilatées, rougissement, veines qui gonflent… ce sont des signes, certes, mais ils ne témoignent que de ressentis. »

Il serait erronné, selon lui, d’en tirer des conséquences significatives, comme si ces signaux constituaient des preuves que la personne ment ou qu’elle est coupable d’un crime.

L’autre : un puits d’informations

D’autant plus que le langage corporel dépend du contexte culturel. Que déduire, par exemple, des épaules sautillantes de Nicolas Sarkozy ? La coach en image publique décrypte ce tic.

« Cette partie du corps est le symbole du pouvoir (épaule droite) et de la séduction (épaule gauche). Nicolas Sarkozy veut imposer son idéologie », conclut Aude Roy.

Pascal Lardellier n’est pas convaincu et déconstruit ce type d’analyse : « La signification d’un geste, d’une posture, n’est pas universelle, nous ne percevons pas tous ces signaux de la même manière. Attention à ne pas surinterpréter. La scène sociale est un théâtre, nous jouons tous un rôle », poursuit le professeur.

L’interprétation des gestes dépend aussi de la relation qui se joue : « Dans un jeu de séduction, il s’agit d’abord de feindre une belle indifférence, de ne pas se dévoiler trop vite. Et ça, on va le jouer physiquement. Mais la forme prise par cette feinte dépend des cultures, du lien avec l’interlocuteur. »

Pour contrer ce biais d’interprétation, précisément, Aude Roy recommande de scruter son interlocuteur ou son interlocutrice dans le détail. « Il faut prêter attention à ce que l’autre a envie d’entendre. Il faut le regarder, comprendre son état d’esprit, afin d’ajuster le discours à ses réactions. »

Pour avoir cette capacité d’analyse et d’adaptation, par exemple en entretien professionnel, la coach donne un conseil : « Connaissez votre “verbal’’ par cœur, soyez-en sûr, pour dérouler votre argumentaire tout en ajustant la performance corporelle qui l’accompagne. Concentrez-vous sur l’image que vous renvoyez. »

Se concentrer oui, mais ne pas tout contrôler. « L’expressivité donne de la vie et montre à l’autre qu’on est habité par la relation », analyse Aude Roy. Les conseillers en body language ont fait perdre à la politique sa flamboyance d’avant, estime-t-elle.

Gare au lissage

« La quasi-totalité des personnalités politiques prend des cours de communication non verbale. Quelle dévaluation de la parole politique ! » regrette également Pascal Lardellier.

Aude Roy recommande, elle, de ne pas gommer sa personnalité, mais plutôt d’apprivoiser qui l’on est, d’avoir conscience de ses lacunes, de les atténuer, de maîtriser ses mouvements convulsifs, comme l’a fait le jeune Aziz avec sa démarche.

Garder son naturel tout en contrôlant sa gestuelle, cet équilibre est essentiel : « C’est comme ça que l’on capte l’attention de son interlocuteur et qu’il va retenir ce qu’on lui dit. »

Avec le risque de la manipulation, prévient Pascal Lardellier : « Quand elle se réduit à des gesticulations, la prise de parole laisse entendre que l’auditoire privilégie l’apparence par rapport aux arguments. Cela s’apparente à du mépris. »

Les 8 conseils d’Aude Roy, coach en image publique

Travaillez votre charisme, votre capacité à être totalement présent à votre public, le regarder, le faire participer, le remercier de son attention.

Lisez en votre interlocuteur pour ajuster votre discours à ses réactions.

Maîtrisez votre voix. C’est l’ambiance de votre discours, la mise en musique des mots. Elle peut être sérieuse, docte, lyrique, poétique, enjouée…

Mettez en scène votre propos avec des gestes explicites, presque du mime. Souvent, le corps le fait naturellement quand on est présent à son discours, par exemple en dessinant une sphère dans l’espace pour laisser imaginer la Terre… et captiver votre auditoire.

Faites passer des émotions. Votre discours touchera ses destinataires s’il fait appel au ressenti. La surprise, la nostalgie, l’humour, entre autres, permettent aux interlocuteurs de retenir plus facilement ce que vous êtes
en train de dire.

Respectez les conventions. Savoir « se tenir » en toutes circonstances, cela s’apprend chez un coach en image, dans les livres, sur internet…

Connaissez votre discours sur le bout des doigts pour vous libérer du « verbal » et vous focaliser sur la relation à l’autre, le non verbal.

Et surtout, pratiquez : plus vous discourrez, plus vous vous améliorerez… mais attention, faites-le sans vous formater et en gardant votre personnalité.

Pour aller plus loin

1. Le prénom a été modifié.

2. Réalisée sur un tout petit panel d’un seul genre (12 femmes), l’étude n’évaluait à l’instant T que la gestuelle de personnes évoquant leurs émotions. Bien que très difficiles à mesurer et largement repris, ces chiffres ne seraient pertinents qu’en situation de confession et non en entretien ou lors d’une opération de séduction.