Un de perdu, le même de retrouvé ? Faire revenir son ancien boss semble courant dans les grandes firmes américaines. Fin 2022, Bob Iger a été repris par Disney, et début 2023, Larry Page et Sergey Brin, cofondateurs de Google, ont été appelés à la rescousse. Après Howard Schultz à Starbucks, Alan George Lafley chez Procter & Gamble…
Johannes Claeys, chercheur en leadership à l’Iéseg, explique que ces retours arrivent souvent lors de crises. « L’entreprise doit répondre à un malaise, rassurer ses actionnaires. L’arrivée d’une ‘star’ peut apporter une familiarité face au chaos et à la panique. Cela peut avoir un effet immédiat sur le cours boursier, la question, est : est-ce que cela va continuer ? ».
À la maison de Mickey, les temps sont durs : problèmes financiers (le cours de l’action a chuté de presque 40 % en moins d’un an), polémiques… Faire revenir l’homme qui a conduit entre autres l’achat de LucasFilms, Pixar, Fox, et le lancement de la plateforme de streaming, peut sembler évident. Idem pour Google avec la menace de l’outil d’intelligence artificielle conversationnel ChatGPT.
Or, le phénomène est mal connu. Pourtant, cela n’existe pas que dans les grands groupes. Cédric Williamson a cofondé Kiwatch, une entreprise de vidéosurveillance, en 2011 et l’a dirigé jusqu’en 2018, avant de prendre la présidence du comité stratégique, puis de vendre en 2020 au groupe Scutum.
Après des missions de direction générale ailleurs, il est rappelé en 2021 par le nouveau propriétaire pour reprendre la direction de Kiwatch. Selon lui, le propriétaire sonde les salariés qui « ont la banane » en entendant son nom, « il voit que j’ai bien fait le travail. Avec des enjeux forts il ne faut pas perdre de temps, et je suis ‘plug & play’ », opérationnel dès la première minute. Il accepte. C’est l’occasion de revenir dans son ancienne entreprise avec de nouveaux défis : gérer le rachat et développer la filière en Europe.
Boomerang CEO et contreperformances financières
Son expérience est pour l’instant positive. C'est loin d’être la norme, à en croire une étude du MIT Sloan sur 160 grandes entreprises américaines. En moyenne, avec un « boomerang CEO » l’action de l’entreprise est inférieure de 10 % à ses équivalents dirigés par un nouveau patron.
Les raisons ? Souvent, « l'ancien dirigeant a une certaine vision » qui ne correspond plus forcément à la réalité, selon Johannes Claeys. Et il tente de refaire la même chose. « Il peut gérer certaines crises, mais quand le contexte change complètement, son répertoire mental lui permet-il de faire face ? ». Quand l’ancien dirigeant revient, « son prédécesseur a changé beaucoup de choses, la structure, la culture ont changé », d’où une nécessaire adaptation.
Cédric Williamson en avait conscience. Désormais « juste » directeur général d’une entité du groupe, il a « moins d’autonomie, plus de reporting, parfois des contraintes qui viennent du groupe. Mais les avantages contrebalancent les inconvénients : plus de liberté économique, une recherche stratégique plus profonde, j’apprends beaucoup ».
Ses premiers défis : « s’imprégner de la culture du groupe, l’expliquer, créer une porosité pour que le rachat se passe au mieux », malgré quelques départs dans un contexte « très tendu et pas seulement à cause de l’entreprise. Le covid a été très compliqué, avec une contrainte et un stress permanent », et de fortes attentes de la part de l’acquéreur. Il assure que ses anciens salariés n’ont pas vu son retour comme une marche arrière vers la situation prérachat.
La transition de cofondateur à dirigeant général
Si Cédric Williamson a su s’adapter, un échec est plus probable quand le dirigeant « boomerang » est aussi cofondateur, que son éloignement dure longtemps, et que l’entreprise est dans un secteur très volatil, notent les chercheurs du MIT.
Parmi les exceptions, Steve Jobs a fondé Apple dans un secteur ultra innovant et mouvant, avant d’être exclu de sa propre société, puis rappelé dix ans plus tard. Son second passage dans la firme à la pomme en fera l’une des plus iconiques du XXIe siècle. Pour Johannes Claeys, « il a continué d’innover, est vraiment retourné vers le cœur d’Apple ». À l’inverse, « Paul Allaire est revenu à Xerox, une entreprise de photocopieurs, en 2000, avec énormément de challenges, mais a dû parti en 2001 parce que le cours de la bourse avait chuté de 60 % ».
Par ailleurs, pour le chercheur, « la relation entre le conseil d’administration et le directeur général est vraiment vitale. C’est moins sexy qu’un retour providentiel mais ils doivent avoir un rôle complémentaire ».
Quid de Bob Iger ? Impossible de prévoir l’avenir, mais pour Johannes Claeys, il a déjà l’avantage de ne pas être un cofondateur, d’être parti relativement peu de temps, et d’être a priori là pour préparer la succession. Ce que confirme avec autant de prudence l’un des auteurs du MIT dans un article.
Pour l’expert de l’Iéseg, si un retour de dirigeants peut parfois fonctionner, c’est surtout pour faire « gagner du temps » à l’entreprise. Le plus important est de mettre en place un vrai programme de développement du leadership avec un plan de succession méthodique. « Le niveau exécutif doit avoir un leadership capable de prendre le relai à court – moyen – long terme. Cela demande énormément de travail : identifier les talents puis les entraîner, les exposer graduellement à plus de responsabilités ».
Pour lui, cela relève autant de la responsabilité du service des ressources humaines que du conseil d’administration. Administrateur dans plusieurs entreprises, il assure pousser les CA à mener ce travail. En somme, préparer la nouvelle génération pour éviter d’appeler les anciens à la rescousse.