Cet article est extrait de notre magazine consacré aux super-pouvoirs économiques des politiques. À retrouver en kiosque et en ligne.
C’est un chiffre dont la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) est fière : les femmes représentent 62,7 % 1 des agents publics, contre 46,3 % dans le secteur privé en 2019. En termes de féminisation, le public fait donc figure de bon élève. En théorie en tout cas. En pratique ? « La fonction publique est loin d’être un îlot protégé des inégalités et discriminations », reconnaît Jean Gheroldi, chargé d’études RH au Centre interdépartemental de gestion (CIG) de la petite couronne d’Île-de-France.
Dans son état des lieux de 2021, la DGAFP elle-même remarque des « différences de situation entre les femmes et les hommes ». Elles sont si nombreuses, selon la politiste et sociologue Marion Demonteil, qu’il semble même impossible de toutes les passer en revue.
Parmi les plus flagrantes, citons au moins les inégalités salariales. Le niveau moyen de rémunération des femmes est inférieur de 12,6 % en moyenne à celui des hommes (2 205 euros contre 2 524 euros), indique la DGAFP. À titre de comparaison, dans le secteur privé, l’écart de salaires entre les femmes et les hommes était de 16 % en 20192 en équivalent temps plein.
Derrière ce phénomène, plusieurs facteurs : « Plus de 80 % de l’écart de rémunération selon le sexe peuvent s’expliquer par la durée du travail, la nature du métier exercé et le positionnement hiérarchique », indique le Défenseur des droits. Si son enquête3 date de 2015, les faits restent d’actualité. « Les femmes ont plus fréquemment des parcours professionnels comportant des périodes de travail à temps partiel et/ou des interruptions de carrière qui pèsent sur leurs trajectoires salariales », répond la DGAFP. Pendant ce temps, les hommes font plus d’heures supplémentaires (+ 16,6 par rapport aux femmes en moyenne par an) et affichent des carrières plus linéaires.
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En Chiffres
33 %
La part de femmes à la tête de centres hospitaliers universitaires en 2017. Elles n’étaient que 7 % à la tête des directions des services techniques des collectivités territoriales et 12 % à la tête des universités.
Source : rapport du Haut Conseil à l’Égalité (2021)
Mais le nerf de la guerre, pour expliquer les inégalités salariales, c’est la ségrégation professionnelle qu’évoque le Défenseur des droits. Certes, le salaire de base d’un ou d’une agent est calculé à partir de grilles indiciaires, en fonction du versant de la fonction publique (hospitalière, d’État, territoriale), de la catégorie (A, B ou C), de son cadre ou corps d’emploi, de son grade ou de son échelon.
Néanmoins, les femmes sont plus nombreuses à travailler dans les filières les moins rémunérées, notamment dans les ministères sociaux : elles représentent par exemple 95,4 % de la filière sociale, 94,8 % du médico-social ou encore 84,1 % des professeures des écoles. Parmi les 10 % des salariés de la fonction publique les moins rémunérés, 70 % sont des femmes. Et a contrario, elles ne représentent que 35,1 % des agents dans le 1 % des agents les mieux rémunérés.
La mobilité, critère décisif
Au salaire de base des fonctionnaires s’ajoute une part variable, devenue de plus en plus forte avec les réformes successives. « Des primes non négligeables : le salaire peut passer du simple au double », précise Marion Demonteil. Or, là encore, le milieu d’exercice est décisif et désavantage les femmes. « Si on se représente la fonction publique comme régie par des principes non discriminants, objectivée par des textes officiels et qui s’appliquerait de façon uniforme à tous les agents, dans les faits, il y a une forte dimension discrétionnaire. » Ces primes sont opaques, ajoute l’experte, mais « on sait qu’elles sont plus avantageuses dans les ministères proches de Bercy. Là où les hommes sont majoritaires. »
Avec le temps, ça ne s’arrange pas. Plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les inégalités salariales se creusent, quels que soient la catégorie et le versant. Alors qu’en théorie, l’avancement se fait de manière un peu mécanique via l’ancienneté, en passant un examen, un concours ou par une promotion au choix, « les femmes ont globalement moins de promotion que les hommes », reconnaît la DGAFP. Schéma classique du plafond de verre. Elles cumulent les difficultés pour progresser : autocensure, carrière hachée, stéréotypes, moins de soutien de leur hiérarchie ou encore, moins de mobilité.
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En Chiffres
4
Postes de direction ou d’encadrement sur 10 sont occupés par les femmes dans la Fonction publique.
Source : rapport annuel sur l’état de la fonction publique de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (édition 2021)
Ce dernier critère est décisif pour évoluer. « Or les femmes sont moins mobiles, géographiquement ou fonctionnellement. La mobilité entraîne systématiquement une négociation salariale. Les femmes passent donc à côté », commente Marion Demonteil. La DGAFP a calculé : l’accès aux 5 % d’emplois les mieux rémunérés est plus de deux fois plus probable pour les hommes que pour les femmes dans l’ensemble de la fonction publique.
Pour lutter contre les inégalités, ce ne sont toutefois pas les outils qui manquent. Ces dernières années, ils ont même fleuri : quotas pour les primo-nominations, mise en place de référents égalité et de plans d’actions « égalité professionnelle » ou encore sanctions. « Ces dispositifs ont assurément eu des effets positifs », se réjouit Jean Gheroldi : la loi Sauvadet de 2012 a par exemple permis une progression du taux de féminisation de l’encadrement supérieur (de 27 % en 2015 à 33 % en 2019). Cette année, pour la première fois depuis 2013, l’objectif de 40 % de primo-nominations féminines a été dépassé pour l’ensemble de la fonction publique.
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Peut mieux faire…
Il n’empêche, « les résultats sont en deçà des attentes », déplore le Haut Conseil à l’Égalité, dans un rapport4 rendu l’année dernière. « Les auditions [réalisées par le HCE] ont montré que les dispositifs paritaires faisaient l’objet de contournements et de résistances, bien que des candidatures féminines soient présentes. »
En témoignent les pénalités financières qu’ont dû payer quatre ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Économie et Armées) et 17 collectivités locales pour ne pas avoir respecté les obligations. Montant de la punition ? 4,5 millions d’euros pour 2017. Et le HCE de conclure : « Difficile de confirmer que cela va encourager les ministères à modifier leurs pratiques. »

1. Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (édition 2021, à partir des données de 2019). Il s’agit des chiffres les plus récents.
2. J. Sanchez Gonzalez et E. Sueur (2021).
3. « Les écarts de rémunérations entre les femmes et les hommes dans la fonction publique sous le prisme des inégalités de genre », étude et résultats du Défenseur des droits (2015).
4. « Parité dans le secteur public : des avancées réelles mais lentes, un levier de transformation publique à saisir », rapport du Haut Conseil à l’Égalité (2021).