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Coronavirus : les résistants du textile au chevet de la crise sanitaire

Des entreprises du textile s’engagent à corps perdu pour répondre en urgence aux besoins en masques sanitaires créés par la crise du Covid-19. Un petit miracle tant cette industrie a été décimée par les délocalisations. En première ligne, des patrons garants du savoir-faire et des nouveaux entrepreneurs déterminés à faire rayonner le Made in France.

Cathy Dogon et Maxime Hanssen
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© 1083

“Les médecins ne comptent pas leurs heures, il n’est pas question qu’on compte les nôtres”. Thomas Huriez a décidé, mardi 17 mars, de réorienter la production de ses ateliers drômois de jeans éco-responsable pour répondre à une demande vitale : fournir des masques de protection aux populations en première ligne dans la pandémie. “Le CHU de Grenoble avait demandé à ses personnels de coudre leurs propres masques, raconte le fondateur de 1083, “mais ils n’avaient ni le temps ni les moyens techniques pour le faire”

“Rustine”

Le gouvernement a bien réquisitionné par décret l’ensemble de la production nationale de masques homologués, les fameux FFP2 (Filtering facepiece, pièce faciale filtrante), à destination des hôpitaux français. Mardi 17 mars, 30 millions de masques ont été déstockés par le gouvernement. Partout, les besoins se font de plus en plus pressants, de l’ordre de "24 millions par semaine", a estimé ce weekend le ministre de la Santé, Olivier Véran.

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À l’instar du fabricant 1083, de nombreuses entreprises du textile, de la Bretagne à l’Auvergne-Rhône-Alpes, se retroussent donc les manches. Rien que dans cette dernière région, une cinquantaine de sociétés ont répondu favorablement à un appel de la Direction Générale de l'Armement, afin de produire des masques de première nécessité. Pour faire “rustine”, confie Thomas Huriez, 39 ans.

Depuis le début de la semaine, 350 personnes l’ont sollicité pour commander quelques dizaines, parfois même quelques milliers de protections. Une charge énorme pour sa structure. “Mercredi, on en a fabriqué une dizaine, jeudi on en a produit une centaine”. Dans la Loire, les Tissages de Charlieu reconfigurent leurs métiers à tisser, habituellement exploités pour la maroquinerie. Avec des capacités de production bien supérieure :  100 000 masques peuvent désormais sortir quotidiennement de l’usine. Dans le Morbihan, l’atelier du Minor, spécialiste des vêtements marins, espère produire environ 300 unités par jour.
 

Ces masques sont essentiels pour le personnel médical, mais aussi pour garantir la continuité des activités nécessaires à l’approvisionnement du pays ou à la protection sanitaire de la population. “Nous avons par exemple une commande d’un groupement d’Esat, dont l’un des ateliers emballe les gels hydroalcooliques avant leur distribution. Sans masque, ils ne peuvent pas travailler”, détaille Sylvain Flet, co-dirigeant du Minor depuis la reprise en 2018 de cet atelier historique fondé en 1936.

Trente fois plus vite 

Le défi technique, dans des délais aussi courts, est considérable. "Nous avons ajusté nos prototypes au fur et à mesure des demandes et des retours de chacun. Les lignes de production ont été adaptées. Les équipes ont fait en trois jours  un travail de développement qui prend 3 mois habituellement”, raconte à La Tribune Eric Boël, le dirigeant des Tissages de Charlieu, qui a travaillé étroitement avec la Direction Générale de l’Armement et le personnel médical.

Finalement, ce sont des bandes tissées, élastique pour les oreilles inclus, de 50 masques qui sortent de leur usine. Le client doit ensuite découper. Les protections sont vendues entre 0,8 et 1,15 euro le masque. “Il y a eu une mobilisation générale des salariés", poursuit le dirigeant, dont 90% du personnel est à l’oeuvre. L’engagement des salariés est le même partout. Au Minor, certains annulent leur RTT pour venir travailler.

L’effort n'est pas sans frais pour les entreprises. Thomas Huriez a renoncé à  demander le chômage partiel pour une partie de ses employés. Sur la trentaine généralement à l’oeuvre, 10 sont restés à l’atelier. Une activité qui les empêche de toucher cette aide de l’Etat, et 1083 ne demande pas un centime pour ses masques. Pour commander les tissus, les réceptionner, les couper, les coudre puis livrer les professionnels de santé, une vingtaine de couturières locales prête main forte bénévolement. La jeune pousse se réapprovisionne auprès d’acteurs locaux pour la matière première.

Ne pas augmenter les prix 

Dans l’entreprise bretonne du Minor, l’équation est complexe. L’entreprise maintient sa production traditionnelle (marinière, pull, robes) tout en produisant, en plus, des masques. “La continuité de notre activité est vitale. Ayant des commandes à honorer, nous ne pouvons pas prétendre au chômage partiel. Nous devons assurer sur les deux fronts. Si on s’arrête, on ne sait pas si on pourra repartir”, estime Sylvain Flet, rappelant que la sécurité sanitaire de ses salariés est la priorité.

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Ce vendredi, une quinzaine de couturières étaient à pied d’oeuvre pour produire des masques. L’entreprise assurera le paiement des heures supplémentaires. Et facturera à ses clients uniquement le coût de la main d’oeuvre nécessaire à la fabrication des masques, prenant à sa charge les coûts de matière première.

Ateliers le Minor

Pour ces entreprises, les conséquences économiques sont encore difficiles à appréhender “Quand est-ce qu’on reprendra nos activités normales ? Aucune idée, on ne se pose même pas la question”, balaie le patron de 1083. 

25 ans après, la revanche du textile français ?

Chez les patrons sollicités, derrière l’urgence, une réflexion germe. Thomas Huriez, de 1083, s'insurge:  “Cette crise sanitaire révèle les défaillances de notre système. En France, nous n’avons ni autonomie, ni souveraineté, ni stock pour nos hôpitaux, y compris pour les  médicaments. On est incapables d’habiller notre personnel médical. Tout le monde est en train de se rend compte de l’importance de maîtriser l’ensemble d’une chaîne de valeur”.

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L’industrie textile est un parfait exemple de la mutation des chaînes de valeur au cours des 25 dernières années. Entre 1996 et 2015, elle a vu disparaître deux tiers de ses emplois, au grès des délocalisations et de la concurrence chinoise. Mais toutes les pépites françaises n’ont pas disparu. De nouvelles sont apparues, portées par des entrepreneurs déterminés. Vent debout, aujourd’hui, pour répondre à l’effort collectif, alors que la Chine, premier producteur mondial de masques, n’est plus en mesure d’assurer l’approvisionnement.

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De quoi changer de paradigme ? “A vélo, on n’accepte souvent de porter un casque qu’après un accident. Là, c’est un gros accident. On doit en tirer les leçons, mais comment ?” La prise de conscience doit venir des politiques, oui, mais aussi des entrepreneurs et des consommateurs, estime le dirigeant de 1083. Pour construire un monde plus robuste, Il faut développer la décentralisation, la solidarité et la proximité”, conclut celui qui a fait du Made in France son cheval de bataille.

Éco-mots

Délocalisation

Une entreprise délocalise quand elle transfère une partie de ses activités, de ses capitaux ou de ses employés vers un pays autre que celui dans lequel ils étaient présents auparavant.

Les géants français s'engagent aussi

Le géant du luxe LVMH modifie, lui aussi, sa chaîne de production de parfum pour fabriquer du gel hydroalcoolique. Ricard se montre de son côté solidaire en donnant 70 000 litres d’alcool pour la même finalité. Tous s’engagent sur la gratuité de leurs services, profitant au passage d’une exposition médiatique.