Pas facile, quand on est patron, de se remettre à nouveau dans la peau d’un employé… C’est pourtant ce qui risque d’arriver à bon nombre de distributeurs automobiles dans le monde : Mercedes-Benz, BMW, Volkswagen et le groupe français Stellantis veulent désormais vendre leurs véhicules en passant par des agents et plus par des concessionnaires.
Dans le dispositif actuel, les concessionnaires achètent les voitures aux constructeurs, puis les revendent au client final au prix de leur choix. Avec le contrat d’agent, tout ceci va changer : le concessionnaire deviendra un agent payé à la commission, c’est-à-dire qu’il sera rémunéré sur la base d’une somme fixe ; en revanche, il ne sera plus porteur des véhicules : il n’aura plus à les acheter au préalable à la marque.
Plus qu’une nuance, c'est une révolution : « Les contrats de distribution ne correspondent plus aux nouveaux comportements numériques des consommateurs», considère Christophe Civel, responsable du développement du réseau de Stellantis ( Peugept Citroën, Fiat, Chrysler) dans la publication professionnelle Rugir, même si les ventes en ligne restent marginales.
Pour les consultants britanniques de UHY, spécialistes de l’automobile au Royaume-Uni, la véritable raison de cette refondation se situe ailleurs : « Le changement intervient parce que les constructeurs supportent des coûts lourds de développement des architectures électriques et des batteries, qui ne seront pas couverts si le consommateur ne veut pas payer plus » écrivent-ils dans une récente note d’analyse.
Dès 2023 en France
La passation est déjà en marche. Les revendeurs Cupra (groupe Volkswagen) ont déjà un contrat de distribution qui diffère du schéma classique. Mercedes et Honda ont imposé le contrat d’agence à leurs distributeurs australiens, Toyota a fait de même en Nouvelle-Zélande et BMW en Afrique du Sud.
En Europe et particulièrement en France, le contrat d’agence devrait devenir réalité à compter de juin 2023 pour les marques Alfa Romeo, DS, Lancia et pour tout ce qui concerne la vente des utilitaires du groupe Stellantis. Trois pays (Autriche, Belgique et Pays-Bas) verront tous les distributeurs Stellantis passer au contrat d’agence l’an prochain tandis qu’en France, l’affaire devrait devenir réalité en 2026.
Des distributeurs Stellantis français, triés sur le volet, participent en ce moment à des ateliers de travail avec le constructeur. L’objectif est de parvenir à trouver une formule qui contenterait tout le monde : « Tout dépend de la commission » note Christophe Deluc, le président du groupement des concessionnaires Citroën de France.
Des nouveaux statuts moins protecteurs
Si le montant de la rémunération par voiture vendue est évidemment un point central de la discussion, il est loin d’être le seul : les concessionnaires deviendront-ils "agents commerciaux" ou "agents commissionnaires" ?
La nuance est de taille. Le statut d’agent commissionnaire aurait les faveurs de Stellantis à ce jour : non seulement il permet à la marque de fixer les prix et de capter les données clients mais en plus, il ne prévoit pas d’indemnités particulières en cas de rupture du contrat ou autres vicissitudes, contrairement au contrat commercial. « Le contrat d’agent commissionnaire n’est plus utilisé en France depuis la fin du XIXe siècle, il a été supplanté par l’agent commercial » , observe Marc Bruschet, le président de la branche Concessionnaires de Mobilians (syndicat des professionnels de l’automobile).
Stellantis, comme les autres constructeurs, serait donc gagnant sur tous les tableaux… Car n'oublions pas que les concessions, aujourd’hui désertes, représentent des centaines de milliers d’euros d’investissement pour les concessionnaires, obligés, des années durant, de suivre les standards imposés par les marques : du carrelage au mobilier intérieur en passant par la signalétique, les constructeurs exigeaient des dépenses pharaoniques en échange du droit à vendre la marque X ou Y.
Et il s’agirait désormais de ne point les indemniser pour tout ceci ? Le débat sera vif. Volkswagen, contrairement à Stellantis, s’orienterait plutôt vers un contrat d’agent commercial, qui prévoit quant à lui des indemnisations pour les fonds de commerce.
La plupart des distributeurs automobiles retiennent aujourd’hui leur souffle, mais aussi leurs commentaires. Stellantis a fait signer des clauses de confidentialité à ceux qui négocient avec eux pour le compte des distributeurs.
Éco-mots
Désintermédiation
Diminution du rôle des intermédiaires au profit des transactions directes entre clients et fournisseurs, entre investisseurs et débiteurs. Dans l'automobile, c'est le modèle de développement de Tesla qui utilise une approche de vente directe en ligne et avec un réseau mondial de salles d'exposition appartenant à l'entreprise dans les grandes villes.
En Espagne, les professionnels de l’auto représentés par Fagenauto, sont tendus : « La moitié du délai légal de 24 mois s'est déjà écoulée et compte-tenu du flou de Stellantis sur les futures relations avec les réseaux, les agents et les services officiels ne peuvent pas décider. Ils doivent pourtant continuer de réaliser les investissements exigés par la marque, sans aucune garantie de pouvoir les rentabiliser » dénonce le syndicat.
80% des concessionnaires Mercedes en lutte
En Australie, où Mercedes est parvenu à imposer le contrat d’agent au 1er janvier dernier, l’affaire a pris une autre tournure. Ce sont 80% des concessionnaires de la marque qui ont directement porté plainte auprès des tribunaux compétents.
Les distributeurs à l’étoile dénoncent un schéma « qui réduira leurs bénéfices » tandis que la marque « profitera de leur travail acharné » durant des années sans la moindre compensation : les concessionnaires réclament 650 millions de dollars australiens à Mercedes, désormais.
Toujours en Australie et sur un autre registre, les concessionnaires Honda, eux aussi soumis à un contrat d’agence tout neuf, ont eu la mauvaise surprise de voir leurs ventes s’effondrer. Non seulement les voitures sont vendues à un prix fixe (donc indiscutable), mais en plus, Honda en a profité pour lancer la nouvelle Civic… 16 000 $ plus chère que l’ancienne. Les clients ne se bousculeraient donc plus du tout !
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Pour l’automobiliste lambda, toute cette affaire pourrait être transparente, à ceci près qu’elle aura certainement deux incidences. Une réduction du nombre de points de vente tout d’abord, même si « c’est encore un peu tôt pour le dire » soupire Christophe Deluc (Citroën).
Selon le journal australien Goauto, Mercedes voudrait se séparer de 10% de ses distributeurs dans le monde, et de 20% en Allemagne. Il y aura une probable augmentation des prix de vente : « Comme c’est le constructeur qui fixe le prix de vente, il n’y a plus de remise concessionnaire. Si l’on considère qu’elle est de l’ordre de 7 à 9%, on mesure le gain pour le constructeur » souligne Patrice Mihailov, avocat spécialiste de la distribution automobile.
Les voitures neuves, dont les prix culminent déjà à des sommets à ce jour, pourraient réellement devenir des engins réservés à l’élite : « Au bout d’un moment, la corde finit par casser » rappelle Marc Bruschet, qui se désespère de voir les classes moyennes ne plus être en mesure de s’en acheter.
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