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Les fast-foods constituent le segment de la restauration qui a le moins souffert de la pandémie. À commencer par les grandes chaînes. « La diminution du chiffre d’affaires de McDonald’s sur 2020 n’est que d’environ 10 %, ce qui n’est pas catastrophique par rapport à l’ampleur de la crise », souligne Frédéric Fréry, professeur à l’ESCP Business School et CentraleSupélec.
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Selon Esther Kalonji, déléguée générale du Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (Snarr), « la création d’entreprises s’est même poursuivie », en 2020 et 2021, dans ce secteur.
La raison ? Les acteurs savent s’adapter aux modes de consommation les plus sollicités : « Les grandes chaînes ont été les premières à bénéficier de l’explosion de la vente à emporter, du drive et de la livraison à domicile », affirme Frédéric Fréry.
Le modèle économique des marques de restauration rapide reste inchangé. Pour l’essentiel, elles délèguent la gestion de leurs restaurants à des franchisés, dont elles perçoivent des loyers ainsi que des royalties pour l’exploitation de la marque et des produits qu’elles ont créés.

En revanche, les manières de travailler ont beaucoup évolué, notamment avec le numérique. Par exemple, McDonald’s a ouvert, en 2014, son propre centre de recherche dans la Silicon Valley « pour préparer les trois D : digital, delivery (livraison) et drive, les trois principaux axes de croissance », précise Frédéric Fréry.
L’enseigne de restauration a acquis par la suite plusieurs start-up spécialisées dans les prises de commande par une intelligence artificielle ou la personnalisation de l’offre en fonction de l’historique d’achat des clients.
Un élément identitaire
Mais les géants du secteur ne sont pas les seuls à maîtriser le potentiel du numérique pour encourager à consommer et fidéliser. Cela ne nécessite d’ailleurs pas toujours de gros investissements.

La chaîne française O’Tacos, née en 2007 et qui compte aujourd’hui plus de 300 restaurants, l’a bien montré grâce aux réseaux sociaux, qui ont fondé son succès. Des vidéos d’influenceurs venant relever le défi du Giga Tacos (un taco de 2,5 kg remboursé au client qui parvient à le finir) ont fait le buzz et provoqué de longues files d’attente devant les restaurants de l’enseigne.
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Chaque nouvelle ouverture d’établissement est désormais un événement, sans que le franchisé ni la marque ait besoin de lancer des campagnes de communication, grâce à la communauté en ligne qui s’est formée autour d’O’Tacos.
Ce succès, parmi d’autres, prouve que les fast-foods restent des lieux décisifs de socialisation. « Dans certaines zones rurales ou périurbaines françaises, ce sont parfois les seuls endroits où les jeunes peuvent se retrouver », analyse Pierre Raffard, docteur en géographie et codirecteur du laboratoire de recherche Food 2.0.
« L’enseigne de tacos français ne doit pas son succès à son offre (finalement très simple, grasse et très salée), mais à sa manière de s’implanter sur un segment de marché en visant des personnes jeunes, sans trop de moyens et souvent originaires des banlieues. L’enseigne est un élément de pop culture. Y aller devient une manière d’exprimer son appartenance à une classe sociale, de signifier qui on est. »
La chasse aux protéines animales
La restauration rapide est donc un laboratoire d’innovations technologiques, publicitaires, mais aussi sociétales. « Ces dernières années, les changements les plus marquants concernent l’individualisation des pratiques, grâce à une offre hyper-customisable, laissant par exemple le choix aux clients de composer leurs sandwichs ou leurs salades, ainsi qu’une montée en gamme des produits, avec l’apparition de labels bio ou de viande d’origine France. Tout cela répond aux évolutions de la société », note Pierre Raffard.
La disparition de la viande sera peut-être la prochaine révolution.
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La start-up Beyond Meat, productrice de substituts de viande, fournit déjà des steaks ou des nuggets végans à des chaînes comme KFC et McDonald’s, qui commencent à les mettre à leur carte dans certains pays.
Aux États-Unis, la chaîne Project Pollo, dont toute la carte est dépourvue de protéines animales, s’est également lancée avec succès durant la crise sanitaire. « Je suis prêt à parier que dans 15 ans, on ne verra plus de viande dans les fast-foods. L’augmentation de son prix et la pression de l’opinion seront tellement fortes que si ces restaurants veulent garder une image positive, ils vont devoir adopter ces substituts. Pour l’instant, ils sont encore un peu chers, mais cela va vite se démocratiser », assure Frédéric Fréry.
Le robot cuisinier, un progrès en débat
Remplacer un cuisinier par un robot n’a plus rien d’une fiction, du moins dans la restauration rapide. La start-up française Cook-e a conçu un robot qui ressemble à un gros distributeur automatique. Celui-ci peut contenir dans ses tubes jusqu’à 25 ingrédients et cuisiner, avec toutes les combinaisons possibles de ceux-ci, environ 250 repas.
Les ingrédients doivent être épluchés et découpés au préalable, mais le robot pèse, mélange et cuit à l’eau ou fait sauter les ingrédients comme dans un woke, en fonction de ce que lui indique la recette programmée dans son logiciel. « Niveau performance, il peut produire une centaine de plats individuels par heure, avec une minute et demie de préparation en moyenne pour chacun », souligne Raphaël Théron, son cofondateur.
Relié aux plateformes de livraison comme Deliveroo ou Uber Eats, Cook-e peut recevoir directement les commandes dans son logiciel, sans intermédiaire humain. « Il a la capacité de fonctionner en continu tous les jours et ne nécessite pas l’embauche de quelqu’un à temps plein, puisqu’il suffit de le remplir et de le nettoyer. Un plat préparé par notre robot coûte donc deux fois moins cher que s’il était conçu par des cuisiniers », affirme Raphaël Théron.
Un argument de poids face à la pénibilité des métiers de la restauration rapide et les difficultés de recrutement : selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le secteur de l’hébergement-restauration a perdu 237 000 salariés entre février 2020 et février 2021.
Qui plus est, d’après Ylan Richard, fondateur de Cala (qui commercialise un robot cuisinier préparant des plats de pâtes), « la robotique est un moyen pour rendre accessible à tous une nourriture de bonne qualité ».
Avec un robot, pas d’erreur possible : les plats, définis à l’avance, sont toujours réalisés de façon identique, dans le respect des règles d’hygiène. D’où un prix de 6 euros pour un plat de pâtes basique chez Cala.
Ces arguments séduisent les investisseurs puisque les deux start-up ont respectivement levé 1,15 et 5,5 millions d’euros en 2021. Mais Pascal de Lima, professeur en économie de l’innovation, n’est pas convaincu : « La robotisation de la restauration ne résout pas du tout le problème de la pénurie de candidats à l’embauche. Au contraire, elle affaiblit encore davantage l’attractivité du secteur puisqu’elle dévalorise financièrement ces métiers exercés auparavant par des humains. »
Pour compenser cette montée en puissance des robots, il faudrait que les salariés précarisés puissent profiter d’une montée en compétences pour exercer des fonctions à plus forte valeur ajoutée, lesquelles sont rares dans un fast-food, où la plupart des tâches sont pénibles et répétitives.
Mais Pascal de Lima va encore plus loin : faut il fixer des limites à ces technologies ? « On pourrait imaginer que demain, ces robots se connectent à votre smartphone et votre frigo pour connaître vos habitudes de consommation et vous proposer, le jour où vous passez commande au restaurant, des plats et services qui correspondent exactement à vos habitudes et à votre état de santé. » Cette intrusion dans l’intimité alimentaire pose de nombreuses questions éthiques que peu d’acteurs du secteur ont encore affrontées.