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Coopératives : le défi permanent de bien... coopérer

Certaines Scop ou Scic, ces entreprises « démocratiques » gérées par le consensus des « sociétaires », appartiennent à leurs salariés. Mais comment se passent les relations de travail quand tout le monde est copropriétaire ?

Aude David
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Ici, impossible de dire que les salariés ne sont pas assez productifs ou que le patron n’a pas pris les bonnes décisions. Sauf à être schizophrène. Car le salarié et le patron, c’est la même personne !

Dans les coopératives de salariés – Scop ou Scic –, une personne égal une voix, peu importe le capital investi. « Ce qui change, c’est l’implication personnelle dans le travail et la société. Une part de la coopérative m’appartient, c’est le projet d’une vie. Créer son emploi et être autonome est une super-motivation, une émancipation », témoigne Rim Hidri, comptable et membre du Conseil d’administration (CA) de Scop Ti, qui produit du thé et des infusions.

Éco-mots

Scop

Société coopérative de production, entreprise coopérative (sous forme de SA, SARL ou SAS) dont les salariés sont associés majoritaires.

Éco-mots

Scic 

Société coopérative d’intérêt collectif, entreprise coopérative (sous forme de SA, SARL ou SAS), qui comporte comme associés au moins les salariés ou producteurs, les bénéficiaires et une troisième catégorie. Contrairement aux mutuelles, les coopératives de production peuvent intervenir dans tout domaine sous toute forme.

L’assemblée souveraine des 56 coopérateurs prend un maximum de décisions (une nouvelle gamme de produits, par exemple) et peut révoquer celles du comité de pilotage ou du CA. 

Une part de la coopérative m'appartient, c'est le projet d'une vie
Rim Hidri,

Comptable de Scop Ti

À La Fabrique du Sud, Scop de 24 salariés qui fabrique des glaces, la plupart des décisions sont prises par les deux cadres dirigeants chargés de l’opérationnel, ou par le CA.

« Il existe une hiérarchie, comme dans toute entreprise », explique Matthieu Sala, responsable logistique. « Mais il est plus facile d’aborder un sujet avec le DG, il n’y a pas de mur entre responsables et ouvriers ». 

L’entreprise, reprise en 2014, a d’abord délégué l’application de la stratégie aux cadres dirigeants pour plus d’efficacité, mais augmente maintenant l’implication des salariés.

Mobicoop, coopérative de covoiturage de 18 salariés, complète le CA par des « cercles de gouvernance consultatifs ». Côté salariés, on y trouve un président, un directeur et quatre équipes avec, depuis peu, un coordinateur « pour plus de communication entre équipes », explique Madeleine Canavesio, chargée de la vie coopérative, « et une prise de décision opérationnelle plus collégiale ».

Enercoop Aquitaine, Scic productrice d’électricité de 2 300 sociétaires, fonctionne aussi avec des « cercles » dans son équipe de 10 salariés (Énergie, Commercial…) autogérés et reliés par un coordinateur.

Un engagement à géométrie variable

Pour Christophe Barbier, président de La Fabrique du Sud, c’est à l’équipe encadrante de faire que chacun s’investisse. Amélie Artis, chercheuse en économie à l’IEP de Grenoble, confirme que des problèmes peuvent survenir quand les heures consacrées au « collectif » ne sont pas comptabilisées dans le temps de travail obligatoire.

De fait, ces heures sont souvent prises sur le temps libre et sur la base du volontariat, d’où un engagement variable. La Fabrique du Sud lance d’ailleurs, sur le temps de travail, des Journées de sociétariat pour débattre sur les grands enjeux stratégiques choisis par les sociétaires.

Mais Christophe Barbier assume aussi qu’une partie du temps de gestion soit bénévole. « Ce n’est pas toujours évident de faire vivre la gestion coopérative », admet Olivier Leberquier, président de Scop Ti, « la majorité joue le jeu, mais quand certains se laissent porter, cela peut créer des tensions ».

Ce fonctionnement freine-t-il le processus décisionnel ? « Au début oui, mais plus aujourd’hui », confie Olivier Leberquier. Chez Mobicoop, « la consultation est réelle », assure Maxime Bardot, développeur web et représentant du cercle salarié au CA, « mais à un moment, il faut décider, même si tout le monde n’a pas tous les paramètres ». 

Pour Amélie Artis, « la diffusion du savoir économique par l’expérimentation est un levier décisif pour que la coopérative soit une réalité. Il faut des moyens, une formation régulière sur les enjeux et la stratégie de l’entreprise ». Mais au fond, cette gestion démocratique et transparente – les salariés de ScopTi et Mobicoop ont tous planché sur la grille de salaires – fait que les décisions sont mieux acceptées. Y compris les plus difficiles durant la crise actuelle.

Hiérarchie, mais autonomie

Les relations avec la hiérarchie, quand il y en a une, sont différentes. Pour Christophe Barbier, « certains salariés ont besoin qu’on soit plus directif. Mais le but reste l’autonomie ».

Les managers et leurs équipes ont le même pouvoir de décision au sein de la Scop durant les assemblées, mais, poursuit le dirigeant, « il faut bien distinguer gouvernance et travail : on ne peut pas refuser la demande de son manager sous prétexte qu’on est tous les deux sociétaires ».

Certes, ScopTi a choisi de ne pas avoir de manager, mais cela « entraîne certains retards, des problèmes entre salariés », reconnaît Olivier Leberquier.

L’alignement n’est pas parfait : « Certains demandent un chef pour organiser. D’autres préfèrent un coordinateur tournant qui ne soit pas un contrôleur, ils ont peur de se retrouver avec un petit chef. Mais évidemment, quand on a passé 30 ans chez Unilever, on n’est pas habitué à être totalement autonome. »

Des salariés polyvalents

La Fabrique du Sud et Scop Ti sont nées d’un combat contre un employeur (Pilpa-Unilever) qui voulait délocaliser. Une partie des salariés a repris l’usine, presque tous des ouvriers et des techniciens : certains ont donc dû se former aux fonctions support ou au management.

La polyvalence domine. La comptable peut ainsi aider aux préparations de commandes pour le site d’e-commerce, et même faire des remplacements sur la ligne de production.

À ScopTi, la polyvalence a permis à l’usine de continuer à tourner en période de Covid : « On a établi un plan de continuité avec des horaires adaptés et une heure de battement pour que les ouvriers ne se croisent pas dans les vestiaires, raconte Olivier Leberquier. Du coup, de 11h à 12h, les salariés du bureau, anciens techniciens ou ouvriers, descendaient faire tourner les machines, pour ne pas les stopper. »

Aller plus loin :

Le documentaire 1 336 jours, des hauts, débats, mais debout (2015) retrace le combat qui a conduit à la création de ScopTi