Economie
Covid-19 : “Dans une entreprise, l’argent fond vite”
Comme des milliers d’entreprises, Alu-Tech doit faire face au ralentissement de l'économie. Entre gestion financière serrée et management paternaliste, son patron Bruno Bidault raconte son quotidien.
Clément Rouget
© ©Stephane AUDRAS/REA
“Personne n’a prévu une trésorerie capable de résister à une pandémie.” L’affirmation de Bruno Bidault, dirigeant d’Alu-Tech, une entreprise de menuiserie aluminium dans l’Hérault, traduit bien l’inquiétude des entreprises de France. Un patron de PME agit souvent prudemment : il s’assure d’accumuler assez de liquidité quand les voyants sont au vert. Mais aucun d’entre eux n’est préparé à un arrêt soudain et prolongé de toute l’économie.
La trésorerie est pourtant un élément essentiel de la gestion financière d’une entreprise, elle permet de régler les factures, les salaires et les charges.
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“J’ai la chance de diriger une entreprise qui a les reins solides, explique le patron dont la société a réalisé plus de 2,2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. “Je renonce à mes dividendes à l’exception d’une fois tous les cinq ans environ. Je préfère me rémunérer correctement quand je suis en capacité de me verser un salaire.”
Une attitude qui permet à l’entreprise qui fabrique fenêtres, portillons et vérandas de voir venir la crise. “J’ai de quoi tenir un siège, s’amuse Bruno Bidault, malgré l’inquiétude qui pointe dans sa voix. J’ai peur que ce ne soit pas le cas pour de nombreuses petites entreprises, particulièrement celle avec seulement un mois de trésorerie.”
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Dividendes
Correspond à une part des bénéfices que l’actionnaire d’une société reçoit chaque année. Les bénéfices de l'entreprise peuvent aussi rester dans l’entreprise en étant investi dans des projets de croissance, augmentant à terme sa valorisation.
Pas d'inquiétude financière à court terme. Mais au delà, les nuages noirs menacent. “Quand tout est à l’arrêt comme aujourd’hui, l’argent d’une entreprise fond comme neige au soleil, explique le dirigeant, qui emploie 14 salariés. Nous ne sommes plus réglés par les clients car les chantiers sont annulés. On ne fabrique plus mais je dois continuer à payer les factures des fournisseurs, les charges... Et il y a surtout les salaires à verser. Chez nous la masse salariale représente un bon tiers des dépenses.”
Le dirigeant est aussi un manager et il doit rassurer les salariés, dont l’activité est suspendue. “Ils sont anxieux à l'idée de travailler avec la circulation de ce virus, c’est légitime, je les comprends”.
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Le patron doit enfin composer avec les annonces gouvernementales, pas toujours claires, particulièrement dans le secteur du bâtiment. “On nous a d’abord dit “tous confinés” ! Puis reprenez le travail. Je suis perdu et mes salariés aussi, raconte Bruno Bidault. Toute la France demande le chômage partiel. Mais est-ce qu’on y ’aura droit dans le bâtiment ?”.
Il salue le travail des experts comptables, fournisseurs indispensables d’informations aux entreprises en cette période. “Ils nous envoient plein d’informations à jour sur les différentes mesures, les reports de charges… C’est précieux !”
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Activité partielle ou chômage partiel
Dispositif où l'État prend temporairement en charge tout ou une partie de la masse salariale des entreprises pour éviter les licenciements économiques. L’entreprise verse d’abord les salaires, avant d’être remboursée si sa demande est acceptée par les services du ministère du Travail.
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Bien que son entreprise soit à l’arrêt depuis deux semaines et malgré l’incertitude, Bruno Bidault pense déjà au redémarrage de l’économie. Il faut remettre la machine en route, peu à peu, en prenant les précautions nécessaires, avec les deux ou trois stocks sanitaires trouvés par-ci par-là, un “sachet de 50 masques et une fiole de gel.” De quoi tenir à quatre ouvriers une semaine.
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La vraie reprise ? Pour lui, sans doute en mai ou en juin. En attendant, les journées vides donnent au dirigeant matière à penser sur notre modèle économique dans son ensemble: “Je constate que nos premiers échanges économiques, nos premières importations sanitaires, viennent de Chine, c’est désespérant. Et puis la guerre des prix doit cesser. Mon fils est parti en avion en Irlande pour 20 euros. Ce monde-là n’est plus possible, il devra changer.”
L'œil de l’expert : Comment s’organisent les entreprises ?
Gérard Simon, expert comptable chez In Extenso, commissaire aux compte à Béthunes (Nord), spécialisé dans les PME, la gestion de trésorerie et les prévisions d’exploitation.
“La première phase a consisté pour les entreprises à réaliser un état des lieux de leur trésorerie et à analyser les opportunités offertes par les pouvoirs publics, dont le chômage partiel, et à savoir si elles étaient éligibles. Ensuite, il a fallu consulter les acteurs économiques : les banquiers pour décaler des échéances d’emprunt par exemple, les propriétaires de surface commerciales pour suspendre les loyers ou les reporter…
Dans une seconde phase, il a fallu gérer la durée : encaissements des clients, paiements des factures des fournisseurs quand c’est possible.
La troisième phase, que nous entamons, c’est la préparation de la sortie de crise. L’établissement des prévisions d’exploitation et de trésorerie intégrant le prêt garanti par l’Etat (PGE) est essentielle à ce stade. Cette mesure permettra de soulager sans délai la trésorerie des entreprises et des professionnels. La reprise pourra être rapide pour des activités de service : les restaurants devraient retrouver très vite leur clientèle. Mais elle sera plus longue dans l’industrie, le temps de remettre une filière en route et de se réapprovisionner en matières premières.”
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