Economie
Dans l'hôtellerie post-Covid, l'hébergement va devenir secondaire
Sélection abonnésFlexible, éphémère, ancrée sur son territoire et animatrice d’« expériences », tel est le mantra de l’hôtellerie depuis quelques années. Des évolutions que la crise sanitaire aura accentuées.
Marie Frumholtz
© DR.
Dans un hôtel traditionnel, on pose ses valises, on dort et éventuellement, on prend un petit déjeuner. Aujourd’hui, ces fonctions utilitaires sont passées au second plan dans de nombreux établissements. Les hôtels du XXIe siècle se veulent de vrais lieux de vie, ouverts aux touristes, mais aussi aux locaux.
La prestation – l’hébergement – compte désormais moins que « l’expérience » qu’on peut y vivre. Ces évolutions amorcées depuis une décennie se trouvent renforcées par l’absence actuelle de flux touristiques internationaux.
Au Québec, la crise sanitaire a ainsi redessiné le projet Hôtel Uniq, lancé par Solène April et Myriam Corbeil. Conçu comme un lieu d’hébergement éphémère pour de gros festivals, le village de tentes s’est finalement transformé en un hôtel nomade « relié à la nature ».
Pour sa deuxième saison, de mai à octobre 2021, Hôtel Uniq va sillonner trois régions québécoises grâce à des partenariats avec des parcs régionaux développés au cours du premier confinement.
Dans un hôtel traditionnel, on pose ses valises, on dort et éventuellement, on prend un petit déjeuner. Aujourd’hui, ces fonctions utilitaires sont passées au second plan dans de nombreux établissements. Les hôtels du XXIe siècle se veulent de vrais lieux de vie, ouverts aux touristes, mais aussi aux locaux.
La prestation – l’hébergement – compte désormais moins que « l’expérience » qu’on peut y vivre. Ces évolutions amorcées depuis une décennie se trouvent renforcées par l’absence actuelle de flux touristiques internationaux.
Au Québec, la crise sanitaire a ainsi redessiné le projet Hôtel Uniq, lancé par Solène April et Myriam Corbeil. Conçu comme un lieu d’hébergement éphémère pour de gros festivals, le village de tentes s’est finalement transformé en un hôtel nomade « relié à la nature ».
Pour sa deuxième saison, de mai à octobre 2021, Hôtel Uniq va sillonner trois régions québécoises grâce à des partenariats avec des parcs régionaux développés au cours du premier confinement.
« Pour chaque nouvelle installation, nous tâchons de créer du lien entre les artisans locaux et nos hôtes. Il est important pour nous de participer au développement économique des régions traversées », explique la cofondatrice, Solène April.
C’est le moment d’innover. Les projets en région sont idéals pour retrouver de l’espace, un service authentique et une reconnexion avec la nature.Solène April et Myriam Corbeil,
fondatrices du projet Hôtel Uniq, un hôtel nomade « relié à la nature »
Les touristes étrangers se faisant encore rares, ce sont essentiellement les locaux qui profitent de ce village autonome constitué d’une quinzaine de tentes aménagées comme des chambres d’hôtel.
Le concept a affiché complet tout au long de sa première saison, en 2020, un succès qui se justifie par le contexte actuel, selon les deux fondatrices : « Les gros hôtels de ville ont été fortement touchés par la crise sanitaire et vont avoir du mal à s’en remettre. C’est le moment d’innover. Les projets en région sont idéals pour retrouver de l’espace, un service authentique et une reconnexion avec la nature. »
Nouveau « lifestyle »
La force de ce concept flexible est également de séduire autant un public jeune ou familial que des entreprises en recherche d’expériences originales pour leurs collaborateurs. De quoi donner des envies de développement en franchise aux conceptrices d’Hôtel Uniq.
La crise sanitaire confirme le besoin d’adaptabilité de l’offre d’hébergement.Jean-Michel Chapuis,
maître de conférences à l'Irest.
Pour Jean-Michel Chapuis, maître de conférences à l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme (Irest), « la crise sanitaire confirme le besoin d’adaptabilité de l’offre d’hébergement ».
Les espaces sont désormais multi-usages, exploités parfois sur une courte durée et surtout ouverts à tous, aux touristes comme aux habitants du quartier ou de la région. « On est plus dans un esprit “lifestyle” qu’utilitaire », ajoute le chercheur.
Ces évolutions sont aussi visibles dans les hébergements touristiques urbains, où des restaurants, des bars tendance et des espaces de coworking sont désormais autant mis en avant que les chambres.
Le groupe hôtelier Accor, par exemple, actionnaire de l’opérateur de sites de coworking Wojo, prévoit d’installer 1 200 « Wojo spots » dans son réseau d’hôtels en France et à l’international d’ici à 2022. Plus original, à Paris, un concept de cinéma-hôtel a été inauguré en pleine pandémie, en mars 2021.
Hôtel Paradiso est situé juste au-dessus d’un cinéma appartenant au groupe MK2, dirigé par Elisha et Nathanaël Karmitz. Il comprend 34 chambres et deux suites comportant un écran géant et un projecteur numérique. Le client a accès à une vaste sélection de longs-métrages, plateformes de vidéo à la demande, mais aussi de jeux vidéo.
La fin des indépendants ?
Cette stratégie de diversification, ce sont surtout les grands groupes qui auront les moyens de l’entreprendre.
Une situation qui redessine le marché d’après Jean-Michel Chapuis : « Les hôteliers indépendants vont progressivement disparaître au profit de personnes qui commercialiseront seulement quelques chambres sur des plateformes de type Airbnb. Cette offre sera minime par rapport aux grands groupes, car les indépendants n’ont pas les moyens d’être référencés en ligne, comme sur Booking, par exemple. »
Chiffres : Insee, séries chiffrées sur le nombre d’hôtels. Crédits : Pour l'Éco.
L’avenir de l’hôtellerie se jouerait donc sur la différenciation par le numérique ? Beaucoup d’acteurs du secteur semblent le croire et investissent dans des outils de marketing automatisés, voire des technologies permettant au client de s’enregistrer et d’ouvrir lui-même sa chambre grâce à son smartphone.
240
C'est le nombre de critères établis par Atout France pour évaluer les hôtels et leur donner une ou plusieurs étoiles.
Des évolutions qui, à terme, devraient avoir des conséquences pour l’emploi dans le secteur, avec quelques postes très qualifiés créés dans les bureaux et une diminution très nette des emplois au contact des clients. Ces changements sont déjà en cours, mais la crise sanitaire et économique tend à les accélérer.
Les clients choisissent autrement
À l’image de certains restaurateurs qui renoncent à leurs étoiles au Guide Michelin, jugeant la grille d’évaluation trop contraignante, certains hôteliers refusent toute classification officielle. Il faut dire que les 240 critères établis par Atout France, agence de développement touristique opérée par l’État, ont de quoi en décourager plus d’un.
Ce changement pourrait aussi être impulsé par les consommateurs eux-mêmes, amenés à comparer les prix et les notes assorties de commentaires laissés par les internautes sur les plateformes de réservation en ligne.
Chiffres : Insee, séries chiffrées sur le nombre d’hôtels. Crédits : Pour l'Éco.
Ainsi, selon le cabinet de conseil spécialisé dans l’hôtellerie Coach Omnium, seuls 14 % des clients prendraient en compte le nombre d’étoiles dans leur choix d’hébergement.
L’écologie par la technologie
Hôtellerie et écologie semblent peu compatibles, surtout dans un contexte de tourisme de masse. Mais certains établissements cherchent à démontrer le contraire, en s’appuyant sur les nouvelles technologies pour améliorer leurs performances environnementales et, par la même occasion, leur image.
En Polynésie française, par exemple, l’hôtel InterContinental de Bora Bora fait fonctionner sa climatisation à l’eau de mer. Puisée dans les abysses à proximité, l’eau froide est envoyée dans un circuit chargé de rafraîchir l’ensemble de l’établissement. Ce système permettrait d’économiser 90 % de l’énergie d’une climatisation traditionnelle.
En métropole, plusieurs concepts récents tentent également de verdir leur image à l’aide d’innovations. Les deux hôtels Nomad (groupe Oceania) ont mis en avant le respect de l’environnement dès leur lancement : du choix des matériaux, en passant par la récupération des eaux de pluie ou de l’énergie issue des ascenseurs, jusqu’à une tablette en chambre qui indique sa consommation d’eau à l’occupant.
Gadgets ou tendance de fond ? Pas sûr que cela change les habitudes des touristes, qui renoncent difficilement à faire changer leurs serviettes ou leurs draps tous les jours. Par ailleurs, dans leur choix d’hébergement, le prix reste le premier critère.
Chiffres : Évol. Rev PAR 2020/2019 : MKG_destination, mix clientèle, Eurostat (données 2019). Crédits : Pour l'Éco.
« Il existe une vraie envie de voyager différemment chez les touristes, mais le passage à l’acte d’achat reste rare », note Caroline Mignon, directrice de l’ATES (l’Association pour le tourisme équitable et solidaire). « Les gens ont toujours l’impression que le voyage responsable coûte plus cher, ce n’est pas forcément le cas, loin de là, sauf face au low cost, là on ne peut pas lutter. »
Cette spécialiste remarque également un manque d’information des voyageurs : « Il est compliqué d’identifier les labels environnementaux en matière d’hébergement touristique. Qui plus est, les touristes sont encore assez méfiants envers ce type d’information. »
Côté investisseurs, en revanche, ces critères environnementaux deviennent déterminants. « Aujourd’hui, ce n’est pas la peine d’essayer de faire venir des fonds institutionnels ou de grands assureurs dans un investissement sans être labellisé », estime Dominique Dudan, ancienne directrice du développement du groupe Accor et actuellement senior advisor chez LBO France.
L’experte reconnaît toutefois la difficulté de monter de tels dossiers : « Il est compliqué de répondre à tous les critères pour obtenir ces labels, et surtout de les conserver dans la durée, mais je pense que cela va devenir indispensable, pour satisfaire les investisseurs, comme les clients. »
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