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Débat. Avec Amazon, a-t-on créé un monstre ?
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Débat. Avec Amazon, a-t-on créé un monstre ?
Aux États-Unis, le géant du commerce en ligne a profondément transformé des régions entières, comme le montre le journaliste Alex MacGillis dans son livre Le système Amazon, paru en juin. Creusement des inégalités, concentration économique, politiques publiques modifiées… Qu’en est-il en France et en Europe ? Deux élèves de prépa en ont débattu.
Anne Neymann, professeure d’économie en CPGE ECT au lycée Chevrollier, à Angers
© Getty Images
Les exposés de ces pages s’inscrivent dans un cours de rhétorique, ils ne reflètent en rien les idées et opinions des étudiants concernés.
Oui, il est impératif de dompter cette entreprise, par Anne-Lise Marimbert
Depuis sa création, en 1994, Amazon n’a cessé de croître. Ce mastodonte du e-commerce affiche un chiffre d’affaires de 106 milliards de dollars en 2020. Sa valorisation boursière dépasse les 1 700 milliards de dollars. La firme multinationale, qui fait partie des Gafam, est le troisième employeur au monde.
Éco-mots
Acronyme désignant les cinq entreprises américaines les plus populaires qui dominent le Big Data. Aussi appelées « Big Five », elles regroupent Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft.
Elle est puissante de 175 centres de distribution et constitue aujourd’hui un empire tentaculaire présent sur des marchés très diversifiés, du streaming à la santé en passant par la grande distribution alimentaire, le sport ou la culture. Et en plus, la crise sanitaire lui a profité : son résultat opérationnel a augmenté de près de 58 % l’an dernier.
De quoi effrayer, donc, bien au-delà des gouvernements et des concurrents.
Car le géant est commercialement agressif. Il grille la priorité aux soldes en France, comme dans 19 autres pays, avec ses ventes privées nommées « Prime Day », ce qui nuit aux petits commerces. Les entreprises qui commercialisent leurs produits sur sa plateforme sont tenues de respecter des clauses contractuelles qui les empêchent de vendre à un prix inférieur à ceux pratiqués, sous peine de sanction, et elles paient des commissions pouvant dépasser les 40 %.
Fiscalement, Amazon n’est pas plus coopératif. Grâce à sa filiale luxembourgeoise, l’entreprise échappe à tout impôt sur les sociétés en Europe. Elle bénéficie ainsi d’externalités positives liées au niveau économique et culturel de la population, sans contribuer équitablement.
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Socialement, Amazon est un créateur d’emplois… précaires – en 2019 les équipes du géant du web étaient composées à 44 % d’intérimaires. Elle n’a besoin que d’un salarié, là où les autres entreprises en emploient deux, d’où la formule : un emploi créé, deux détruits. En outre, même en France, où les syndicats sont très présents, les conditions de travail au sein des entrepôts sont critiquables (cadences soutenues, faibles salaires…).
Écologiquement, enfin, l’entreprise a enregistré une hausse de 20 % de ses émissions de CO2 en 2020 (60 tonnes au total), alors même que l’entreprise s’était fixé un objectif de neutralité carbone pour 2040.
Une question se pose alors aux gouvernements, aux commerces et aux partenaires de l’entreprise : qui freinera Amazon ?
Anne-Lise Marimbert est étudiante en deuxième année de CPGE ECT au lycée Chevrollier, à Angers.
Non, Amazon mérite vraiment son succès, par Noïra Le Lièvre
Bien sûr, Amazon effraie, mais est-ce pour de bonnes raisons ? Certes, l’entreprise américaine, numéro un de l'e-commerce mondial, s’attaque au divertissement en rachetant les droits de diffusion de la Ligue 1 française. Mais son succès vient avant tout de son modèle économique. Elle a su exploiter les nouvelles technologies, la mondialisation et s’adapter aux changements structurels de la consommation, passant d’une « norme magasin » à une « norme livraison ».
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Amazon ne fait que répondre aux besoins des consommateurs avec ses 120 millions de produits à des prix très bas et livrés en un temps record. Amazon nous fait gagner du temps et de l’argent ! L’économiste Joseph Schumpeter ne verrait pas cette supériorité économique comme un dysfonctionnement du marché, mais comme une « destruction créatrice », car elle incite les autres acteurs du secteur à l’imiter et à innover. C’est le principe des grappes d’innovation.
Éco-mots
Joseph Alois Schumpeter
Économiste autrichien du XIXe siècle, auteur de Business Cycles, dans lequel il cite les grappes d’innovation et le principe de destruction créatrice comme étant l’essence de la croissance à long terme. Les innovations détruisent les activités anciennes, rendues obsolètes, mais par les opportunités de profit qu’elles créent, elles poussent les entreprises à innover à leur tour pour ne pas laisser l’avantage à d’autres.
De plus, il n’est pas exclu qu’Amazon se fasse dépasser d’ici à quelques années, notamment par le géant chinois Alibaba. En Europe, peut-être y a-t-il trop peu d’investisseurs capables de mobiliser les ressources nécessaires et d’accepter de perdre d’abord de l’argent – pendant dix ans, Amazon n’a pas été rentable.
L’un des principaux arguments contre Amazon, c’est la quasi-impossibilité pour les commerces de proximité de lui faire concurrence. Pourtant, l’e-commerce ne représente que 10 % du commerce en France et Amazon n’en contrôle que 20 %.
Le véritable concurrent des commerces de proximité ne serait-il pas la grande distribution ? Car être référencé sur Amazon peut permettre de gagner en visibilité. Ce dernier argument est d’autant plus probant qu’en temps de Covid, sur internet, aucun « magasin » ne ferme.
Amazon est un créateur d’emplois (1,3 million dans le monde), un booster de vente et une plateforme quasi indispensable en temps de crise. Et tout cela grâce, notamment, au fondateur Jeff Bezos, qui a imposé des partis pris comme celui de ne pas verser de dividendes pour réinvestir les profits dans le développement de l’entreprise.
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Finalement, ce qui est monstrueux chez Amazon, n’est-ce pas son talent ?
Noïra Le Lièvre est étudiante en deuxième année de CPGE ECT au lycée Chevrollier, à Angers.