
OUI, dans une très large mesure
Grégory Verdugo est professeur des universités en sciences économiques à Paris-Saclay et chercheur associé au sein de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le centre de recherche en économie de Sciences Po. Ses travaux portent sur la recomposition du marché du travail en France.
En deux siècles, le progrès technologique a fortement réduit la pénibilité physique. L’automatisation de la production, la mécanisation, les améliorations ergonomiques et les machines ont allégé le travail manuel et fait diminuer la part répétitive du travail.
Dans l’agriculture, par exemple, les tracteurs, les moissonneuses et robots de traite ont considérablement amélioré les conditions de travail. Il faut se rappeler à quel point, au XIXe siècle, le travail agricole était harassant : on se penchait, on répétait sans cesse les mêmes gestes, on se cassait le dos.
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Dans les usines du début du XXe siècle, sur la chaîne de montage, l’ouvrier passait 12, parfois 15 heures par jour à visser des boulons. Le travail d’aujourd’hui abîme moins. En 45 ans, de 1975 à nos jours, l’espérance de vie d’un ouvrier a augmenté de sept ans.
Le nombre d’accidents du travail a été divisé par trois en 60 ans (de 118 pour 1 000 salariés par an en 1955 à 34,5 en 2018). Certes, la pénibilité n’a pas été totalement supprimée. Dans le secteur des services, elle perdure dans les emplois les moins qualifiés, pour les agents de nettoyage et les aides à domicile, notamment.
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On note également l’apparition de nouvelles souffrances au travail : le stress, le burn out. Toutefois, la situation n’est pas figée. Les acteurs, notamment les entreprises, sont mobilisés. L’employeur est tenu par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Les entreprises sont aussi contraintes d’améliorer la qualité de vie au travail pour rester compétitives. Turnover, absentéisme, mauvaises pratiques managériales, tout cela leur coûte très cher. Des progrès ont été faits, d’autres sont à venir. Ils ne supprimeront peut-être pas la pénibilité, mais pourront la réduire à sa portion congrue.
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NON, car cela dépend de chacun.
Olivier Babeau est le président fondateur de l’Institut Sapiens. Il est également professeur de stratégie d’entreprise à l’université de Bordeaux et essayiste. Il est l’auteur d’Éloge de l’hypocrisie (Les Éditions du Cerf) et de La Nouvelle Ferme des animaux (Manitoba).
La pénibilité est l’exposition d’un actif à un ou plusieurs risques professionnels : contraintes physiques, environnement agressif, rythme de travail. Certains de ces risques, comme le port et le déplacement de charges, le bruit ou les postures pénibles, ont disparu, ou ont du moins été réduits.
Toutefois, il est impossible de supprimer certains risques, comme ceux induits par le travail de nuit ou celui en milieu hyperbare lors de travaux pétroliers ou le percement de tunnels. On peut uniquement agir en diminuant leur impact sur la santé par un aménagement des temps de repos, notamment.
Ensuite, malgré l’identification de ces facteurs à risque, il est très difficile d’évaluer la pénibilité et donc de la supprimer. C’est une notion imprécise. Ce qui est pénible pour l’un ne le sera pas pour un autre. Nous n’avons pas tous la même tolérance au stress ni la même capacité physique à récupérer.
Prenons l’exemple du modèle de l’entreprise libérée. Pour certains salariés, cette nouvelle liberté et cette grande autonomie sont sources d’épanouissement et de bien-être. D’autres, à l’inverse, le vivent très mal. L’absence de cadre et de directives crée chez eux du stress et un sentiment d’insécurité.
Dès lors, le seul moyen de supprimer la pénibilité serait de créer les conditions pour que chacun puisse choisir le travail, l’environnement et les conditions lui convenant le mieux. Cela suppose une fluidité du marché du travail.
Or en France, on en est loin. Le marché du travail est dual. Il y a d’un côté les insiders, ces talents très recherchés et très protégés, de l’autre les outsiders qui multiplient les temps partiels et contrats précaires. La révolution numérique a plutôt eu tendance à renforcer ce dualisme.