Les « testings sur CV » sont souvent utilisés pour prouver d’éventuelles discriminations à l’embauche. Pour une même offre d’emploi, le principe consiste à envoyer des candidatures fictives avec des CV totalement identiques sauf pour un caractère reflétant sans ambiguïté l’appartenance à un groupe minoritaire.
Un taux de réponses positives pour une convocation à un entretien plus faible pour les candidats du groupe minoritaire s’interprète comme une discrimination envers ce groupe.
Une méthodologie qui a ses limites : les réponses positives ne sont pas suivies d’entretiens avec les recruteurs puisque les candidatures sont fictives. On ne sait donc pas si la discrimination au stade de la convocation à un entretien est véritablement un indicateur de la discrimination à l’embauche.
Une étude récente1 menée en France s’attaque à ce problème. Pour cela, elle a construit deux groupes fictifs de candidats jeunes et peu diplômés qui diffèrent uniquement par des patronymes reflétant une origine française ou nord-africaine.
Ces candidatures ont ensuite été envoyées pour postuler des offres d’emploi émanant du secteur privé et du secteur public. Quel que soit le secteur, chaque offre a reçu, à parts égales, des candidatures issues des deux groupes.

Des stéréotypes discriminants
Il apparaît que dans le secteur privé, les candidatures d’origine nord-africaine reçoivent deux fois moins de réponses positives que celles reflétant une origine française.
En revanche, il n’existe aucune différence significative selon l’origine dans le secteur public. Ces résultats semblent contradictoires avec ceux issues d’études antérieures qui montraient qu’en France, les personnes d’origine nord-africaine étaient autant sous-représentées parmi les embauches du secteur public que parmi celles du secteur privé, en particulier dans la catégorie des jeunes peu scolarisés2.
En matière de discrimination, il y aurait donc des comportements très différents entre le secteur public et le secteur privé au moment de la convocation à un entretien et aucune différence au moment de l’embauche.
Pour comprendre ce paradoxe, le testing sur CV a été complété par une enquête auprès d’un échantillon représentatif des recruteurs des secteurs public et privé. À partir de questions portant sur leurs comportements ou leurs croyances vis-à-vis des personnes d’origine maghrébine, l’enquête a d’abord cherché à déceler si les recruteurs faisaient preuve de « discrimination par le goût » ou de « discrimination statistique ».
Dans l’optique d’une embauche, le premier type de discrimination traduirait une pure aversion pour les personnes d’origine maghrébine, tandis que le second type signifierait que les employeurs fondent leurs décisions sur des stéréotypes qu’ils attribuent à la « productivité » des personnes d’origine maghrébine.
Les résultats de l’enquête synthétisés dans l’infographie indiquent que les employeurs des secteurs public et privé n’expriment quasiment pas de discrimination par le goût. En revanche, les recruteurs des deux secteurs affichent le même stéréotype : ils estiment, qu’en moyenne, les personnes d’origine maghrébine ont une « productivité » plus faible que les personnes d’origine autochtone.
Faible productivité acceptée
Le paradoxe pourrait alors s’expliquer de la manière suivante : dans le secteur public, la création d’un emploi est associée à un budget qui n’est pas payé par le recruteur et qui ne peut être utilisé à d’autres fins si l’emploi n’est pas créé. Ce n’est pas le cas dans le secteur privé où la création d’un emploi dépend de l’état du marché et où les coûts sont intégralement supportés par l’entreprise.
Dans ces conditions, un recruteur du secteur public est prêt à accepter qu’un emploi vacant soit pourvu par une personne ayant a priori une faible productivité. Une telle attitude ne peut se concevoir dans le secteur privé guidé uniquement par un motif de rentabilité.
Le secteur public a donc peu d’exigences sur la productivité supposée d’un individu pour le convoquer à un entretien, ce qui explique l’absence de discrimination dans ce secteur à ce stade.
En revanche, à l’issue des entretiens, seul le « meilleur » candidat est engagé et comme les stéréotypes sur la productivité moyenne des personnes d’origine maghrébine est la même que dans le privé, la même attitude de discrimination à l’embauche y est constatée.
En d’autres termes, le secteur public discrimine plus que le secteur privé après l’entretien et moins dans la phase de convocation à cet entretien (qui est la seule à laquelle s’applique le testing sur CV). Par conséquent, l’absence de discrimination au stade d’une convocation à un entretien dans le secteur public est compatible avec une discrimination importante en matière d’embauche.
Cette étude jette donc un doute sur la capacité des testings sur CV à détecter la discrimination à l’embauche en toutes circonstances.