L’essentiel
- De nombreux acteurs économiques s’inquiètent d’une possible désindustrialisation de la France en raison de la hausse du coût de l’énergie.
- Cette dernière fait grimper les coûts de production, et ce, malgré les tentatives d’endiguement de l’État avec notamment le bouclier tarifaire.
- Derrière la question énergétique, le risque existe aussi en raison d’un manque général de compétitivité de l’industrie française.
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Le mot est comme un fantôme du passé. La « désindustrialisation » nous rappelle presque instantanément les bassins miniers, textiles ou sidérurgiques du nord et de l’est de la France, aujourd’hui image d’Épinal des territoires pauvres touchés par le chômage.
Cette ritournelle, qui plane depuis les années 70 sur l’Hexagone, est reparue le 8 novembre dernier, au micro de RTL, dans la bouche de Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, le syndicat du patronat : « La France est voie de désindustrialisation. » Encore. Même cri d’alerte de l’économiste Daniel Cohen dans Les Echos ou de Christian Saint-Etienne sur Radio Classique.
La hausse du coût de l’énergie freine les investissements
La cause de cette inquiétude : la hausse du coût de l’énergie pour les entreprises de l’industrie française de l’agroalimentaire, de l’automobile, de la filière bois, du textile, de l’aéronautique, de l’électronique, du pétrole ou encore du bâtiment.
En effet, en mars 2022, les prix du gaz pour les entreprises ont été multipliés par 7 par rapport à 2021 et ceux de l’électricité par 6 (avec une hausse de 87 % pour les entreprises qui consomment le plus), selon le gouvernement. Ce dernier prévoit même qu’en 2023 ces prix seront 10 fois supérieurs à leur niveau de 2020.
Autant d’argent qui pèse sur les entreprises qui doivent faire tourner les usines. « Il n’y a pas de doute que l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité en Europe et en France a un effet important sur les coûts de production des entreprises industrielles. Alors qu’à l’inverse, les États-Unis, la Chine voire l’Inde ne vont pas connaître ces hausses. C’est donc une perte de compétitivité pour la France », soutient François Lévêque, professeur d’économie à l’école des Mines. C’est particulièrement le cas des aciéries, des fabriques d’aluminium, de verre ou encore de la chimie.
Une production industrielle réduite
Ces coûts supplémentaires ont déjà des conséquences à court terme, « celles de voir des verriers ou d’autres entreprises qui ferment leurs usines pour 6 mois à cause de cette hausse des prix. Et c’est assez violent », poursuit François Lévêque.
En effet, certaines entreprises ont déjà réduit, voire stoppé, leur production. C’est le cas de l’usine Duralex dans le Loiret (prévue pour 5 mois), de l’aciérie LME dans le Nord (depuis le 31 octobre), d’ArcelorMittal ou d’Arc France liste Le Monde. C’est également le cas d’Ascometal à Fos qui chiffrait le coût annuel de l’électricité 80 millions d’euros pour 2023 au lieu de 7 millions en 2022, d’après RMC. De son côté, l’entreprise aéronautique Safran a mis en pause un projet d’ouverture d’usine à Feyzin, dans la banlieue lyonnaise à cause de ces coûts de l’énergie.
Aujourd’hui, une dizaine de secteurs industriels seraient affectés selon France Industrie. Le Mouvement des entreprises de taille intermédiaires, cité par Le Monde, évoque, lui, un risque de réduction de l’activité pour la moitié des entreprises et un arrêt complet pour 7 % d’entre elles.
« Mais la situation aura aussi des conséquences à long terme, ajoute François Lévêque. Le gaz russe est substitué par du gaz liquéfié qui arrive par bateau et qu’il faut regazéifier, cela coûte beaucoup. Et on voit mal l’Europe se réapprovisionner en gaz peu cher dans les années à venir. »
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Désindustrialisation ou moins de réindustrialisation ?
Malgré tout, ces déclarations étonnent Faridah Djellal, professeure en sciences économiques à l’université de Lille, spécialiste de l’économie de l’innovation, des services et de l’économie industrielle. « Cela fait 30 ans que la France est touchée par la désindustrialisation ! »
D’autant plus que ces dernières années l’Hexagone connaît plutôt une phase de réindustrialisation. En marge du salon du Made in France qui s’est tenu à Paris du 10 au 13 novembre, Bruno Le Maire, a mis en avant la création ou le maintien de 100 000 emplois grâce à 782 projets soutenus par France Relance avec une enveloppe de 850 millions de subventions jusqu’en février 2023 notamment dans des secteurs clés comme l’agroalimentaire, la chimie, l’électronique etc.
Le ministre de l’Économie a également noté que des « retours » d’entreprises avaient eu lieu : près d’une centaine en 2022, contre 84 en 2021 et 30 en 2020, et ce notamment grâce à la baisse de l’impôt sur les sociétés.
Les ¾ des richesses sont créées par le secteur tertiaire
Un retour que l’on doit, en effet, « à des baisses d’impôts sur la production », analyse François Lévêque. De plus, le gouvernement tente de venir en aide aux entreprises avec une aide au paiement des factures de gaz et d’électricité prolongé jusqu’en 2023, et simplifiée depuis le 18 novembre, ou encore un bouclier tarifaire lui aussi prolongé l’année prochaine.
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Des mesures qui ne seront pas forcément suffisantes selon le professeur de l’école des Mines. « Il faut surtout mieux cibler les aides aux entreprises soumises à la concurrence internationale et avoir une stratégie de défense de nos intérêts face à nos concurrents comme la Chine. »
Par ailleurs, Faridah Djellal attire l’attention sur un autre aspect du problème. « Aujourd’hui les ¾ des richesses de la France sont produites par le secteur tertiaire, qui consomme le plus d’électricité et de gaz et qui est donc le plus touché par cette hausse des prix de l’énergie. » Selon elle, il faut moins s’inquiéter d’une désindustrialisation de la France que d’une dégradation du secteur tertiaire. « Si l’on veut vraiment s’inquiéter en termes économiques il faut s’occuper des transports, des banques, des écoles etc. »
Enfin, selon la professeure à l’université de Lille, la seule hausse coût de l’énergie n’explique pas ce risque de ralentissement de l’activité industrielle. « Je tiens à rappeler que lors de la fermeture de Bridgestone dans le Nord l’année dernière, Bruno Le Maire avait proposé des aides, mais l’entreprise a tout de même fermé ! Car il y a surtout une question de coût du travail sur le territoire. »
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