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Égalité salariale : les vrais remèdes émergent

Pour réduire l’écart des salaires femmes-hommes dans l’entreprise, redonner confiance aux femmes ne suffit pas. Il faut créer un environnement où leurs demandes sont entendues et acceptées.

Julie Desrousseaux
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« Je pensais qu’il n’y avait pas de risques à demander », déplore W. Quand elle est recrutée par l’Université de Nazareth (États-Unis) en 2014, cette professeure de philosophie négocie par email son futur salaire. Elle suit les conseils donnés aux femmes actives modernes : se mettre en avant, prendre confiance, réclamer son dû. La sanction est immédiate : l’offre d’embauche est rompue 1. Quelle erreur a donc commis W. ?

« Discrimination salariale »

Elle n’ignore pas l’écart salarial entre femmes et hommes qui persiste partout dans le monde. En France, une femme salariée du privé gagne en moyenne 5,3 % de moins qu’un homme, à poste égal et dans la même entreprise2 (voir le graph ci-dessous). « On se rapproche de la mesure de la discrimination salariale », commente Anne Brunner, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités.

Pour de nombreux recruteurs, cet « écart inexpliqué » – selon les termes de l’Insee – provient d’un défaut de confiance typiquement féminin. Les femmes obtiendraient une moindre rémunération, accéderaient moins aux postes les plus élevés, parce qu’elles réclament moins.

Les entreprises offrent d’ailleurs pléthore de formations en prise de parole, négociation, assertivité… qui promettent à leurs salariées les outils pour exiger et obtenir une place et un pouvoir équivalents à ceux des salariés.

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Il y a trois mesures de l’écart salarial entre femmes et hommes. À poste égal au sein de la même entreprise, une femme gagne 5,3 % de moins qu’un homme (zone rouge). Mais l’écart global de revenu entre toutes les femmes salariées et tous les hommes salariés est de 28,5 %, parce que plus d’hommes ont des postes plus rémunérateurs (c’est l’effet « ségrégation professionnelle », zone verte) et parce que les femmes travaillent significativement plus à temps partiel (c’est l’effet « durée du travail », zone bleue)

Normes de genre

Sauf que « l’autorisation à demander n’existe pas forcément », commente Karine Babule, vice-présidente de l’association Business Women Paris. Au contraire, « de nombreuses études attestent que les femmes qui demandent une meilleure rémunération sont perçues par les employeurs comme violant les normes de genre. Résultat : ils ont moins envie de travailler avec elles », explique l’économiste Iris Bohnet3, professeure à Harvard et spécialisée dans les biais de genre.

En Chiffres

5,3%

Une femme salariée du privé gagne en moyenne 5,3 % de moins qu’un homme, à poste égal et dans la même entreprise

En matière de négociation salariale, les femmes demandent moins et moins souvenet, mais font face à une réponse plus souvent négative4. Si W. avait su… De façon similaire, les évaluateurs, comme les évaluatrices, récompensent les hommes qui s’expriment plus que la moyenne lors de réunions, mais pénalisent les femmes qui font de même.

Biais sexistes

"La “façon masculine” de progresser dans l’entreprise – considérée comme normale – non seulement ne fonctionne pas pour les femmes, mais elles sont pénalisées si elles adoptent ces comportements", conclut Iris Bohnet. Les interventions isolées ciblant les femmes, de type coaching, seront alors inopérantes, voire nuisibles, dans un contexte où les biais sexistes opèrent, le plus souvent inconsciemment.

Les femmes questionnent moins le salaire d'embauche. Ce n’est pas par timidité, mais par lucidité.
Iris Bonhet

Professeure à Harvard et spécialisée dans les biais de genre

Comment créer un environnement dans lequel les femmes pourront négocier autant que les hommes, ce qui permettra aux entreprises de capitaliser sur les meilleurs talents ? Il ne faut pas attendre que les mentalités changent. Il faut changer les procédés. C’est plus rapide, moins coûteux et c’est efficace.

D’abord, créer une négociation transparente en mentionnant par exemple : « Salaire à déterminer en fonction du profil ». Les femmes sont moins nombreuses que les hommes à questionner le salaire d’embauche proposé et à postuler aux offres floues sur la marge de négociation salariale5. « Ce n’est pas par timidité, mais par lucidité » commente Iris Bonhet.

Annoncer la négociation salariale comme une étape systématique du processus d’embauche, transformer en norme positive – la femme doit négocier son salaire – ce qui était jusque-là ressenti comme la violation d’une attente genrée.

En Chiffres

17

C'est le nombre d'Etats américains qui ont banni des process de recrutement le sempiternel "quel est votre salaire actuel ?"

Experte des inégalités salariales, Katie Donovan dirige le cabinet de conseil Equal Pay basé aux États-Unis. Elle propose un second remède : bannir du recrutement la question « quel est votre salaire actuel ? ». Elle a réussi à faire inscrire cette interdiction dans une loi passée en 2016 dans le Massachussetts.

Des solutions pour lutter contre l'écart des salaires hommes-femmes

Depuis, 17 autres états américains ont suivi. Il faut dire que l’étude d’impact était convaincante : quand l’employeur n’est pas autorisé à demander au candidat le montant de son salaire actuel, le salaire d’embauche retenu augmente de 2 % pour les hommes par rapport à leur salaire précédent, et de 8 % pour les femmes6.

« Les candidates n’ont rien eu à faire. Il a suffi que l’employeur renonce à une simple question, et le rattrapage salarial a opéré » se réjouit Katie.

Ce n'est pas un problème de confiance, c'est juste des maths
Katie Donovan

Directrice du cabinet de conseil Equal Pay (USA)

C’est aussi valable pour la question rituelle : « Quelles sont vos prétentions salariales ? ». L’experte fait sa démonstration : un homme payé 100 000 euros demandera 120 000 lors de son entretien d’embauche. Une femme, pour annoncer une prétention égale à celle d’un homme, devrait appliquer une majoration de 40 % ou 50 %.

« L’écart salarial, ce n’est pas un problème de confiance, conclue Katie, c’est juste des maths. » Son arme fatale pour le combler : une liste de 14 règles à changer dans l’entreprise.

Quel est le véritable chiffre de l'inégalité salariale ? 

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Sources

Sources

1 “The philosophy smoker”, blog de W., mars 2014

2 Insee Première n°1803, juin 2020

3.4.5 What works : gender equality by design, Iris Bonhet, 2016

6 “Perpetuating inequality : what walary history bans reveal about wages”, Technology & Policy Research Initiative, Boston University, juin 2020